Il est « le fruit d’un très long travail ». Après des mois de négociations, Google et l’organisme de gestion collective Droits voisins de la presse (DVP) ont signé un accord. L’annonce a été faite par la firme américaine et l’organisme français, dans des communiqués de presse distincts publiés le mardi 17 octobre. Désormais, « les accords en France couvrent plus de 350 sites d’éditeurs de presse », souligne Google, ajoutant être « la seule (entreprise) en France à avoir autant d’accords ». Cela faisait près de vingt mois que les deux parties discutaient.
Bien que Google ait déjà conclu d’autres contrats avec des éditeurs de presse ou des syndicats, c’est la première fois que ce type d’accord est signé dans l’Hexagone. DVP, en tant qu’organisme de gestion collective, va fonctionner un peu comme la Sacem, pour la musique. C’est DVP qui collectera les droits auprès de Google, et qui les redistribuera ensuite à ses membres. « Ce résultat devrait entraîner de nouveaux accords avec d’autres plateformes » a estimé Jean-Marie Cavada, président de DVP, ancien journaliste et eurodéputé, cité dans le communiqué de DVP.
L’accord avec cet organisme de gestion collective s’ajoute aux nombreux autres contrats déjà conclus entre Google et des syndicats ou des éditeurs de presse. La firme californienne avait conclu des accords individuels, comme avec l’Agence France Presse ou avec Le Monde. Elle avait aussi signé un accord cadre avec en mars 2022 avec l’APIG, l’Alliance pour la presse d’information générale qui comprend près de 300 titres. Même topo un mois plus tard avec le SEPM, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (qui englobe 80 éditeurs pour plus de 400 titres).
L’application de cette directive : un parcours semé d’embuches
Ce type de contrat-cadre définit, comme son nom l’indique, un cadre dans lequel un éditeur va négocier une rémunération pour la réutilisation de ses contenus journalistiques, sur le moteur de recherche. À l’origine, la directive transposée par la loi du 24 juillet 2019 devait s’appliquer à partir du 24 octobre 2019. Elle devait permettre aux éditeurs de presse de toucher une partie du gâteau que se partagent les géants du numérique. Alors que ces derniers reprennent une partie des contenus journalistiques dans leurs pages de résultats de recherches ou sur les fils d’actualité de leurs plateformes, ils captent l’essentiel des recettes publicitaires en ligne. Mais jusqu’à il y a peu, cette loi était restée lettre morte. Les éditeurs de presse ont dû batailler ferme devant les tribunaux pour que les géants du numérique jouent le jeu et finissent par l’appliquer. Et pour beaucoup, le compte n’y est toujours pas.
Initialement, Google avait commencé par proposer aux éditeurs de presse de continuer à utiliser gratuitement leurs articles ou de vidéos, sous peine de voir leurs contenus disparaître de Google actualités. La firme a finalement été contrainte de rentrer dans le rang, après avoir reçu une amende de 500 millions d’euros de l’Autorité de la concurrence. Meta a conclu des accords avec les quotidiens français, mais toujours pas avec les magazines. Pour LinkedIn et Microsoft, les discussions sont toujours en cours. Quant à Twitter, il a été assigné en référé en juillet dernier par neuf éditeurs de presse, dont Le Monde, Le Figaro et Les Échos-Le Parisien. Le réseau social refuse toujours toute discussion sur le sujet – il sera jugé les 4 décembre et 16 janvier prochain devant le tribunal judiciaire de Paris, précise Contexte.
Ce mercredi 18 octobre, l’Alliance de la presse d’information générale (Apig), qui représente environ 300 titres d’information quotidienne nationale, régionale et locale, a expliqué, dans un communiqué, avoir confié à la Sacem la négociation de ses droits voisins avec les sociétés récalcitrantes, à savoir Microsoft, Apple, LinkedIn et X.
Un contrat similaire conclu en Allemagne
Pourquoi l’application de cette directive met-elle autant de temps ? Outre la mauvaise volonté des Gafam et le rapport de force disproportionné, le texte repose sur la coopération des géants du numérique. Pour calculer la rémunération à reverser aux éditeurs de presse, ces sociétés doivent en effet communiquer « tous les éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération » qui est « assise sur les recettes de l’exploitation de toute nature, directes ou indirectes » – informations que les Gafam ne souhaiteraient pas partager.
Dans les communiqués de Google et de DVP, aucun montant ou principe de rémunération n’est donné. Le 13 octobre dernier, un accord similaire avait été conclu en Allemagne entre Google et Corint Media, un organisme de gestion collective allemand qui regroupe 300 éditeurs de presse. Et outre Rhin, les montants négociés ont été publiés. Google devra payer une licence annuelle de 3,2 millions d’euros « au moins jusqu’en 2026 », ainsi qu’un montant de 8,2 millions d’euros pour les mois rétroactifs passés entre l’entrée en vigueur de la loi (2021) et la date de la négociation (2023).
À peine appliqué, un droit voisin à adapter à l’ère de l’IA ?
Reste que malgré ces progrès, la loi, qui commence à peine à être appliquée, pourrait bientôt être obsolète. Début 2024, Google prévoit de mettre en place en Europe sa nouvelle version de son moteur de recherche, avec intégration de l’IA générative – la « Search Generative Experience » ou SGE. La nouvelle interface prévoit, lorsque l’utilisateur pose une question, que l’IA fasse elle-même un résumé des informations clés, avec seulement les trois premières sources citées, et les liens hypertextes classiques relégués en bas de page. Or, si toutes les sources ne sont pas divulguées, comment appliquer le droit voisin ?
Autre problème, de taille pour tous les éditeurs de presse : l’utilisateur va-t-il se contenter de lire le résumé, ou continuera-t-il à cliquer sur les sources ? Comment ces dernières seront-elles présentées ? Google a d’ores et déjà expliqué que les paywalls ne seraient pas contournés – cela signifie-t-il que les médias payants ne seraient pas pris en compte dans les résumés de l’IA – ce qui les rendrait invisibles ? Pour les pure-players gratuits, on peut imaginer que si la SGE donne directement la réponse, les internautes n’iront pas chercher l’information à la source, sur le site Web du média en question – ce qui réduirait d’autant la fréquentation du site. Les éditeurs pourront alors toujours faire valoir que l’IA s’est servie de leurs contenus pour le résumé de l’IA… Bref, la bataille sur le partage de la valeur à l’ère de l’IA ne fait que commencer.
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