« Avec le Snapdragon 888, nous n’avons fait l’impasse sur aucune technologie, nous avons mis tout ce que nous avions ». Ces mots, prononcés par Ziad Ashgar, VP chez Qualcomm et grand chef de la feuille de route du développement des puces Snapdragon, expliquent en partie pourquoi après quatre années allant du Snapdragon 835 au Snapdragon 865, la nouvelle puce phare prend “888” comme suffixe. Du modem 5G directement intégré, en passant par l’extrême finesse de gravure, des 26 TOPS de la puce IA jusqu’à l’introduction du premier hyperviseur de l’histoire des smartphones, le Snapdragon 888 est une puce majeure et méritait donc de sortir (un peu) du cadre. Anatomie de la bête.
Le modem 5G enfin intégré à la puce
Si Qualcomm avait déjà intégré un modem 5G au Snapdragon 765G, que l’on retrouve par exemple dans le Google Pixel 5, l’arrivée du modem X60 au sein même du « die » de la puce du Snapdragon 888 marque une première pour son SoC haut de gamme.
Qu’apporte l’intégration du modem ? Beaucoup de (bonnes) choses. Pour les constructeurs, cela permet de simplifier un peu le design des cartes mères des terminaux. De la place gagnée pour affiner les designs, ajouter des composants, comme des modules caméra, ou faire grossir la batterie.
Du point de vue énergétique, le modem intégré évite des allers-retours d’informations entre deux composants différents. De quoi — on l’espère — limiter un peu l’impact de la 5G sur la durée de vie de la batterie.
Dans le domaine des SoC très haut de gamme, Qualcomm est le seul à proposer une puce tout-en-un incluant le modem 5G.
En plein développement de son propre modem, Apple fait pour l’heure appel à un modem externe de… Qualcomm (le X55 de la plateforme Snapdragon 865). HiSilicon (Huawei) lui, l’avait certes déjà intégré au Kirin 990, mais Huawei est non seulement privé des services de Google, mais aussi des fonderies de dernière génération de TSMC et autres. Quant à MediaTek (Dimensity 1000) et Samsung (Exynos 1080) il s’agit là de puces premium façon Snapdragon 765. Dans l’écosystème iOS/Android-avec-Google, Qualcomm est donc le seul à commercialiser un SoC haut de gamme à modem 5G intégré.
Cette intégration ne fut pas une mince affaire et outre les standards 5G qui se sont stabilisés, le changement majeur entre 2018 et 2020 qui a poussé Qualcomm à se lancer, c’est l’arrivée d’un nouveau procédé de gravure.
Gravure 5 nm
Seules trois entreprises font partie du « club 5 nm » : Huawei/HiSilicon avec le Kirin 9000 (Mate 40), Apple avec ses A14 (iPhone 12) et M1 (Macbook Pro, Macbook Air, Mac Mini) et Qualcomm avec son Snapdragon 888. Cette finesse de gravure permet aux concepteurs de puces d’intégrer jusqu’à 173 millions de transistors par millimètre carré. Vu la taille de la puce de Qualcomm sur les photos, il faut compter sur un ordre de grandeur de plusieurs milliards de transistors (aux alentours d’une dizaine), même si les cadres de l’entreprise ne souhaitent pas communiquer dessus.
Sur lesdites photos, la puce semble être de dimensions proches du SD865 sans son modem, on peut donc présumer d’une consommation énergétique en baisse à tâche égale… et de plus de performances à durée de vie de batterie constante.
Comme à l’accoutumée lors d’une diminution de la finesse de gravure, Qualcomm en a profité pour monter d’un cran en matière de complexité de puce. Et intégrer la toute dernière architecture d’ARM avec le nouveau « super » cœur.
Premier sur le cœur ARM Cortex X1
Le Snapdragon est le premier SoC au monde à s’appuyer sur les nouvelles « briques » que l’anglais ARM a annoncées en mai dernier. Et notamment le « super » cœur Cortex-X1 qui promet d’accélérer significativement temps de chargement et lancement d’applications. Tous les CPU intégrés dans les SoC de smartphones sont peu ou prou conçus autour d’une architecture big. LITTLE, où des cœurs haute performance (big) en charge des applications gourmandes en puissance sont épaulés par des cœurs basse consommation (LITTLE) qui font tourner les processus les moins gourmands.
Si Qualcomm avait déjà proposé une structure intégrant un « Golden Core », il s’agissait en fait d’un des quatre cœurs « big » un peu surcadencé. Le Kryo 680 du Snapdragon 888 est basé sur la même conception Gold/big/LITTLE avec un Cortex-X1, trois gros cœurs Cortex-A78 et quatre petits cœurs Cortex-A55.
Mais contrairement au cœur « gold » des générations précédentes, le Cortex-X1 est un cœur vraiment différent. Il est conçu pour les applications — ou les moments — où la montée en fréquence d’un seul cœur aura plus d’impact que plusieurs cœurs cadencés moins rapidement. Il dispose d’une fréquence supérieure (2,84 GHz contre 2,4 GHz pour les A78) et de sa propre mémoire cache dédiée (1 Mo). Capable de fonctionner de pair avec jusqu’à 16 Go de LPDDR5, le Snapdragon 888 promet jusqu’à 25 % de performances en plus à consommation égale — ou 25 % de consommation énergétique en moins à performances égales.
2,7 gigapixels et trois modules caméra en simultané
Le Spectra 580, à qui nous consacrerons un article à part, est le premier processeur d’image (ISP) au monde à être capable d’enregistrer les flux photo/vidéo de trois modules caméra de manière simultanée. On ne parle pas ici d’affichage des informations des capteurs, mais bien d’enregistrer et traiter (balance des blancs, exposition, mise au point, reconnaissance des visages, etc.) trois flux allant chacun jusqu’à 28 Mpix !
Si cela peut être utile pour enregistrer trois photos à trois focales différentes, cela semble surtout utile en vidéo, notamment pour les mécanismes de zoom optique. Jusque-là, dans un système à triple module caméra (ultra grand-angle, grand-angle, téléobjectif), l’ISP devait tenter de prédire dans quelle direction va l’utilisateur. En restant « branché » en direct sur les trois modules, on devrait voir arriver des « zooms optiques » plus progressifs.
Capable de digérer 35 % de pixels en plus que le Spectra 480 de l’an dernier, le Spectra 580 nouveau affiche une vitesse de 2,7 milliards de pixels par seconde. Une puissance qui lui permet notamment de gérer une rafale d’un autre monde de 120 images de 12 Mpix en une seconde ! Et aussi de prendre en charge, pour la première fois, les capteurs d’image « staggered » qui capturent trois images simultanément à trois expositions différentes pour étendre la plage dynamique.
Le Spectra 580 gère toujours la vidéo 8K30p, la 4K120p HDR, le format HEIF 10 bit HDR et plusieurs combinaisons de modules caméra — jusqu’à 200 mégapixels en mode simple module ! Sans parler de nombreuses petites améliorations comme une sensibilité accrue avec un autofocus possible jusqu’à 0,1 lux. Il ne reste plus aux constructeurs qu’à le dompter et lui offrir les bons modules caméra.
Un GPU beaucoup plus puissant
Après avoir racheté une licence Radeon à AMD en 2009, Qualcomm développe depuis son propre GPU sans faire appel au Mali d’ARM. La nouvelle mouture intégrée dans le Snapdragon 888 s’appelle Adreno 660 et si elle ne semble qu’une simple évolution architecturale de la précédente version, elle affiche un gain théorique maximal de performance de pas moins de 35 %. Est-ce dû à la gravure ? À des améliorations majeures du point de vue du logiciel et des drivers ? En tous les cas, nous garderons en tête ce chiffre pour les comparaisons avec la génération précédente.
Outre la puissance pure, Qualcomm a martelé son discours habituel de performances maintenues (le terme sustained performances doit revenir au moins dix fois dans la présentation !). Et a publié des graphiques analysant le nombre d’images par seconde non pas sur quelques minutes, mais sur une heure. Arguant que si les benchmarks donnent parfois Apple (jamais nommé) devant, leur GPU part fort, mais se voit contraint de baisser en intensité dans le temps.
L’Adreno 660 profite en sus du Variable Rate Shading et d’une technologie de réduction du temps de latence lors de l’utilisation de l’écran tactile. Des améliorations taillées pour les gamers, la première apportant un gain de performances, l’autre plus de réactivité, critique pour les titres les plus nerveux — qui a parlé de Fortnite ?
Des performances IA qui explosent
Vous rappelez des 15 000 milliards d’opérations par seconde (15 TeraOps ou TOPS) du Snapdragon 865 ? Et bien le Snapdragon 888 fait exploser ce chiffre et pousse jusqu’à 26 TOPS, soit 60 % de performances en plus. Au cœur de ce déluge de calcule, l’Hexagon 780, chef d’orchestre des applications liées à l’intelligence artificielle. S’il dispose bien de ses propres unités de calcul, il a l’autorité pour aller puiser dans les ressources du processeur (CPU) et de la puce graphique (GPU) quand ils sont le plus adaptés aux calculs.
Du côté de sa structure interne, au lieu de séparer les différentes unités de calcul — scalaire, tenseurs, vecteurs — il fusionne pour la première fois tous ces éléments pour accélérer les échanges mémoire et profite d’une quantité de mémoire multipliée par 16 ! Les gains théoriques sont impressionnants, même s’ils dépendent évidemment des usages, très variés. Les performances par watt peuvent être triplées, les tenseurs sont jusqu’à deux fois plus efficaces, etc.
Donnons du crédit à Qualcomm dans le domaine de sa communication autour de l’IA : quand Apple et Huawei ne donnent que des chiffres vagues, le géant américain offre beaucoup plus de détails. La puissance affichée de 26 TOPS ? Il s’agit bien de la puissance combinée du DSP, du CPU et du GPU dans des opérations 8 bit. Quel genre d’unités sont intégrées et combien ont-elles de mémoire ? Tout est marqué dans les diapositives de présentation. Comment la puce se comporte-t-elle dans les différents outils de mesure de performance ? Il y a une slide pour ça (mais bon, on aimerait bien voir le nom des puces concurrentes !)
Si la jeunesse des puces IA fait que tout change très vite, le grand public a besoin de quelques repères communs pour avoir au moins l’occasion de s’intéresser et comparer les évolutions technologiques. Et à l’heure actuelle, aussi succinctes soient-elles, les informations de Qualcomm sont les plus riches de l’industrie.
Du côté de l’IA, une seconde puce virtuelle vient renforcer l’Hexagon 780 : le Sensing Hub de 2e génération. Cette petite puce ultra basse consommation (moins d’un milliampère) a pour but de décharger l’Hexagon dans les applications les moins gourmandes en énergie. Comme, par exemple, l’analyse en permanence et en temps réel du microphone pour activer le plus vite possible les assistants vocaux. À l’instar de l’organisation big. LITTLE du CPU, cette organisation permet d’éviter d’épuiser la batterie en faisant cavaler un processeur certes plus puissant, mais bien plus gourmand.
Sécurité (ultra) renforcée
Si les enclaves sécurisées existent déjà, le Snapdragon 888 est le premier SoC grand public au monde à intégrer un hyperviseur, un outil dit de « virtualisation » qui peut exécuter plusieurs systèmes d’exploitation simultanément. Il ne s’agit pas ici de lancer plusieurs instances d’Android pour avoir des fonds d’écran différents, mais d’isoler les applications en leur donnant leur propre OS. Ainsi, si une app de type Facebook est compromise, elle ne l’est que dans son OS à elle et ne peut pas, par exemple, accéder à l’application en charge de votre carte bancaire comme Google Pay, ou à vos emails, etc.
Déjà disponible sur les ordinateurs — notamment les CPU professionnels — la virtualisation est un des piliers fondamentaux de la sécurité. Tous les services cloud s’appuient sur cette conception de ressources partagées entre plusieurs services, mais isolées d’un point de vue logiciel. Il reste désormais à voir comment Android prendra en charge cette technologie. Car contrairement à Apple qui annonce des technologies directement mises dans la main des utilisateurs, Qualcomm vend ses puces et si une partie du travail logiciel est réalisé par l’entreprise, sa bonne implémentation et son bon usage dépend de Google et des autres…
À la lecture de cette présentation et au visionnage de la conférence, on sent que Qualcomm a vraiment mis le paquet sur son SoC, autant du côté de l’intégration (modem 5G, coeur X1), de la fabrication (5 nm) ou de la horde d’améliorations (ISP, DSP, etc.). Il ne reste plus qu’à l’ensemble de l’industrie — les constructeurs pour la partie matérielle, Google et les développeurs d’apps pour le logiciel — à tirer pleinement parti de cette puce. Une tâche ardue face à la complexité de l’écosystème Android en comparaison de celui d’iOS. Mais les promesses sont belles.
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