Février 2010. Le site WikiLeaks réalise le plus gros scoop de l’histoire en publiant 251 287 messages diplomatiques américains… qui auraient dû rester secrets. Un véritable tsunami pour les médias du monde entier. Car ces révélations ne proviennent pas d’un journal reconnu… mais d’un site bidouillé par un hacker : WikiLeaks. Lancé en 2007 par Julian Assange, ce portail garantit l’anonymat de ses sources pour inciter à divulguer des secrets d’Etat et protéger les lanceurs d’alerte. C’est sur la genèse passionnante de WikiLeaks que revient le film de fiction Le Cinquième pouvoir, qui sort ce mercredi 4 décembre sur les écrans français.
Un hacker paranoïaque et manipulateur
Le réalisateur Bill Condon (Twilight) s’est focalisé sur les relations complexes nouées entre Julian Assange et son bras droit Daniel Domscheit-Berg. L’Allemand fut son premier collaborateur, puis le porte-parole du site avant que les deux hommes ne se fâchent. C’est d’ailleurs le livre de Daniel Domscheit-Berg Inside WikiLeaks qui a servi, en partie, de support au film.
L’autre source d’inspiration émane de La face cachée de Wikileaks, une enquête de David Leigh et Luke Harding, deux journalistes du quotidien anglais The Guardian qui ont aussi collaboré avec Assange. Des témoignages de première main et des sources forcément critiques envers le lanceur d’alerte australien. Et une occasion de dévoiler la face sombre de ce hacker de génie.
Manipulateur et distant, Assange se confie peu à son entourage et n’hésite pas à mentir sur sa vie personnelle pour brouiller les pistes. Comme lorsqu’il apitoie Daniel Domscheit-Berg en lui faisant croire que ses cheveux ont blanchi en une nuit à cause d’un choc psychologique.
Sauf qu’en réalité, il se décolore soigneusement ses racines restées brunes. Marginal sans gêne qui parfois arbore un look de SDF, Assange a passé trois années de son enfance en cavale au sein d’une secte que sa mère avait rejointe. Malgré plusieurs enfants essaimés dans le monde, ce mathématicien de formation ne semble pas avoir d’attache et n’hésite pas à lancer de véritables fatwas sur le web contre tous ceux qui le remettent en question. Ce qui fut le cas avec Daniel Domscheit-Berg, accusé d’être un traître et un dangereux psychopathe.
Idem avec le réalisateur Bill Condon et son long métrage. Assange a tout fait pour mobiliser ses groupies afin de faire mauvaise presse à cette fiction. Allant même jusqu’à faire réaliser son propre film rival sur Wikileaks : le documentaire Mediastan. « Plutôt que de perde votre temps et votre argent dans de la propagande hollywoodienne, pourquoi ne pas réunir vos amis pour regarder Mediastan ? » avait-il lancé dans un communiqué.
En accès libre sur le web depuis le jour de la sortie américaine du « Cinquième pouvoir » le 13 octobre dernier, il a enregistré 500 000 téléchargements en quelques heures. Depuis, il faut payer pour le voir sur le site de Vimeo, par exemple. C’est tout le paradoxe de Julian Assange : vouloir voler les secrets des autres en protégeant farouchement les siens.
Voir la bande-annonce du film Le Cinquième pouvoir :
Assange, le Robespierre du web ?
Mais le plus problématique reste son extrémisme. Assange fait figure de Robespierre du web et réclame sans cesse des têtes à couper. En 2008, il n’hésite pas à dévoiler les noms et coordonnées de tous les membres du British National Party, un parti anglais d’extrême-droite. En 2010, il se moque de mettre en péril les sources du renseignement américain vivant en Afghanistan en publiant l’intégralité des documents détournés par le jeune analyste militaire Bradley Manning. Seuls les patrons des journaux du Guardian , du Spiegel et du New York Times qui collaborent avec lui supprimeront dans leurs pages certains détails permettant d’identifier ces informateurs.
Enfin, se pose le problème de la vérification des informations collectées par WikiLeaks. La petite équipe du site ne pouvait analyser les centaines de milliers de pages diplomatiques héritées de Manning. Ce sont bien des journalistes spécialisés qui au final ont accompli cette tâche. Et c’est là qu’on voit toutes les limites de ce genre de croisade menée par des hackers qui n’ont ni les moyens ni les compétences de recouper et décrypter des informations complexes.
Il a donné le pouvoir aux internautes
Pourtant ce n’est pas un portrait complètement à charge de Julian Assange que dresse le film. Bien au contraire. On y voit comment cet anarchiste et programmeur de génie défend depuis de longues années la liberté d’information dans le monde. Ce qui lui vaut d’être adulé par une communauté de geeks très active. Des fans inconditionnels prêts à se mobiliser pour le défendre depuis qu’il s’est retranché dans l’ambassade de l’Equateur à Londres pour échapper à la justice. Il est en effet poursuivi pour agressions sexuelles sur deux jeunes femmes suédoises.
Voir la bande-annonce du documentaire We Steal Secrets :
Bien sûr, le film reste une fiction et prend quelques libertés avec l’histoire dont il est tiré, tout comme le fit le long métrage The Social Network avec Facebook. Si Bill Condon n’a pas le génie cinématographique de David Fincher, il a le mérite de tirer de cette histoire une fiction très documentée et réfléchie sur les conséquences de l’aventure WikiLeaks.
Les médias traditionnels, parfois compromis avec des politiques ou des grandes entreprises, ne remplissent plus suffisamment leur rôle de contre-pouvoir. Certains citoyens (le cinquième pouvoir) ont décidé de jouer ce rôle. Et Assange leur a fourni un formidable outil pour le faire avec WikiLeaks. Les Etats n’ont jamais eu autant de moyens pour espionner les gens. Grâce à lui, les internautes savent enfin qu’eux aussi peuvent faire trembler ceux qui les dirigent en exigeant le devoir de transparence.
Le Cinquième pouvoir a été le plus gros flop cinématographique de l’année selon le magazine Forbes. Et c’est précédé de cette triste réputation qu’il sort sur les écrans français. Un film qui méritait mieux que cette carrière fulgurante et catastrophique en salles.
Voir la bande-annonce du documentaire Mediastan :
A voir :
– Le Cinquième pouvoir, film de fiction de Bill Condon, avec Benedict Cumberbatch et Daniel Brühl, sortie le 4 décembre en salles
– We Steal Secrets : The Story of WikiLeaks, documentaire d’Alex Gibney
– Mediastan documentaire à l’initiative de Julian Assange
A lire :
– Inside Wikileaks : dans les coulisses du site Internet le plus dangereux du monde de Daniel Domscheit-Berg, Editions Grasset.
– La fin du secret, Julian Assange et la face cachée de Wikileaks, de David Leigh et Luke Harding (The Guardian), Music and Entertainment Book.
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