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La LEN à l’épreuve de la comparaison européenne

La France est l’un des derniers pays européens à transposer la directive de juin 2000 sur le commerce électronique. Les points sensibles actuellement discutés dans l’Hexagone ont déjà été adoptés chez nos voisins.

Ce n’est pas un scoop, la France est le retardataire de l’Europe concernant la transposition de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Le texte devait entrer dans les droits nationaux avant le 17 janvier
2002. Soit deux jours après que la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LEN) a été présentée en Conseil des ministres… Elle ne doit revenir devant les sénateurs, pour une deuxième lecture, que les 6 et 7 avril prochains (voir
notre dossier
LEN : la loi du Net divise).Mais les Pays-Bas et le Portugal sont également en retard. Tous les autres ont transposé le texte, avec une mention spéciale pour le Luxembourg : le 14 août 2000, la directive était adoptée au sein d’une loi nationale.Tour d’horizon avec Jean-Louis Fandiari, consultant NTIC et collaborateur au site d’information juridique
Juriscom.net, des dispositions réglementant l’économie numérique chez nos voisins de l’Union.

Le petit monde des prestataires techniques

En France, la LEN pose plusieurs problèmes de définition : celle de l’Internet, du courrier électronique, mais aussi celle de prestataire technique.Jean-Louis Fandiari précise : ‘ En général, voici les termes qui sont définis dans tous les pays service de société de l’information, fournisseur de service, prestataire établi,
utilisateur ou destinataire du service, communication commerciale… Rarement plus que ce que demande la directive. ‘
L’article 2 de cette dernière explicite toute une série de termes : services de la société de l’information, prestataire, prestataire établi, destinataire du service consommateur, communication commerciale…Au contraire, la LEN s’en tient du début à la fin au terme de ‘ prestataire technique ‘, sans faire de distinction entre hébergeur, opérateurs de télécommunications, FAI, éditeurs…
‘ L’Allemagne reste attachée au terme générique de prestataire, ajoute Jean-Louis Fandiari. Mais, fort heureusement, la loi allemande fonde le niveau de responsabilité du prestataire sur sa capacité
technique à retirer ou non du contenu. ‘
D’après le juriste, tous les autres pays différencieraient les simples conduits (opérateurs et FAI), des opérations de caching et de l’hébergement. Ce que fait la directive.‘ L’Autriche, l’Espagne, et bientôt le Portugal, ajoutent les notions de moteurs de recherche et de fournisseurs d’hyperliens, auxquels ils attribuent un régime de responsabilité similaire soit à celui des FAI,
soit à celui des hébergeurs. ‘

Les prestataires face aux contenus illicites

C’est le point le plus discuté de la loi française : les prestataires techniques (sans dictinction explicite) sont responsables au civil ou au pénal des contenus illicites présents sur le Web. Pour ceux qui soutiennent ces
dispositions, il s’agit ni plus ni moins que de transposer ce qu’il y a dans la directive, aux articles 12, 13, 14 et 15.L’article 15 décrète une ‘ absence d’obligation générale en matière de surveillance ‘ (sauf exception pour des cas particuliers et sur demande des autorités). Le texte français reprend
ce principe dans les mêmes termes (article 2 bis 7), sauf que, de fait, il impose le contraire aux prestataires techniques s’ils ne veulent pas être exposés à des poursuites.‘ Il n’y a que le Luxembourg qui a adopté une disposition de ce type (article 63.2 de la loi du 14 août 2000), précise Jean-Louis Fandiari. La France s’en est visiblement, et
maladroitement, inspiré. Mais le Grand Duché est actuellement en train de revoir certaines dispositions et, dans l’attente de l’adoption de sa nouvelle loi, la Commission ne prévoit pas de le sanctionner. ‘
Ensuite, la notion de responsabilité est plus détaillée dans le texte européen que dans la LEN. Un distinguo est fait entre celle des opérateurs de stockage (article 13) et celle des hébergeurs (article 14). Dans le premier
cas (qui concerne les FAI), le prestataire est censé agir ‘ promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à
l’origine de la transmission a été retirée du réseau ou du fait que l’accès à l’information a été rendu impossible, ou du fait qu’un tribunal ou une autorité administrative a ordonné de retirer l’information ou d’en rendre l’accès
impossible. ‘
C’est-à-dire que le prestataire est responsable s’il stocke un contenu déjà reconnu illicite. Il n’a donc pas à agir a priori, à juger lui-même de la légalité du contenu. Or, à force de raccourcis, c’est ce
qu’impose la version française.L’hébergeur, lui, est plus exposé : on ne précise pas comment il est censé savoir qu’il abrite des contenus illicites. A charge aux Etats membres de le détailler.

De la manière de combler les manques

Si on reproche à la LEN de n’être pas très claire et de laisser libre court à beaucoup d’interprétations quant à la responsabilité des prestataires, la directive ne brille pas non plus par sa limpidité. Du coup, d’après Jean-Louis
Fandiari, certains pays, comme le Danemark, l’Italie, le Luxembourg, auraient transposé quasi-littéralement certains aspects.D’autres se sont attachés à combler les manques. La loi espagnole de juillet 2002 explique ainsi comment un prestataire technique accède à la connaissance d’un fait illicite. Ce que ne fait pas la loi française, aboutissant, de fait, à
une surveillance générale des contenus.Une procédure de notification est bien prévue dans la LEN (article 2 bis, 5), mais elle ne clarifie rien : ‘ Tout le débat semble porter sur le fait de savoir si la procédure de notification est
facultative ou obligatoire,
note Jean-Louis Fandiari. La question est idiote, selon moi, car le respect d’une telle procédure me semble essentiel pour faire apparaître à l’hébergeur ce que la loi appelle ” le
caractère illicite ” d’un contenu, sauf en matière de contenus manifestement illicites, pour lesquels il suffirait normalement de désigner la page. ‘
Dans sa loi du 5 juin 2002, la Finlande instaure un système dit de notice and take down (notification et retrait), pour les atteintes à la propriété intellectuelle. Le principe ? L’éditeur d’un site peut
exiger de son hébergeur le maintien d’un contenu illicite, même si celui-ci fait l’objet d’une demande de retrait. La démarche implique qu’il fournisse toutes les données permettant de l’identifier. Du coup, seul cet éditeur assume la responsabilité
du contenu. L’hébergeur est mis hors cause. En cas d’action en justice, les ayants droit doivent poursuivre l’éditeur du site.Autre exemple de complément à la directive, la Belgique et sa loi du 11 mars 2003. ‘ Il est prévu que l’hébergeur coupe simplement l’accès à des informations illicites lorsqu’il a connaissance de leur
existence et non leur hébergement.

Il doit ensuite les communiquer au procureur du Roi qui doit prendre une décision sur le retrait définitif des documents hébergés. Ainsi, n’est-il pas possible de prétendre que l’hébergeur se
substitue à la justice en Belgique. ‘

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Arnaud Devillard