Tout a commencé avec un tweet de Changpeng Zhao (CZ), le PDG et fondateur de Binance, la plate-forme d’échange numéro Un du marché des cryptomonnaies. Le milliardaire chinois a jeté un pavé dans la marre en annonçant que Binance allait vendre l’intégralité de ses FTT. Il s’agit d’un token utilitaire émis par la plate-forme FTX. La cryptomonnaie permet par exemple de régler les frais de trading et de profiter de rendements élevés en déposant des actifs. On peut rapprocher son fonctionnement du BNB de Binance ou du CRO de Crypto.com.
« En raison de récentes révélations, nous avons décidé de liquider tout FTT restant dans nos comptes. Nous essaierons de le faire d’une manière qui minimise l’impact sur le marché. En raison des conditions du marché et de la liquidité limitée, nous prévoyons que cela prendra quelques mois », déclarait Changpeng Zhao, assurant qu’il s’agit d’une simple mesure de gestion des risques.
Entre les lignes, Zhao laissait entendre que FTX, l’exchange numéro deux du secteur crypto, pourrait rencontrer un grave problème de liquidités. En clair, l’exchange américain n’aurait pas assez d’argent en stock pour faire face à ses engagements. C’est la voie de la faillite. Début de l’année, FTX était pourtant évalué à 32 milliards de dollars.
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Les erreurs de FTX
Le fondateur de Binance faisait référence à un rapport du média CoinDesk. Celui-ci pointait du doigt les pratiques financières douteuses de FTX. Il s’est avéré que FTX s’appuyait financièrement sur Alameda Research, une société sœur qui appartient au même propriétaire : Sam Bankman-Fried.
De plus, le média a découvert que la majorité des fonds de cette entreprise de trading étaient des FTT. Encore plus inquiétant, elle détenait 60 % des tokens en circulation. Les sociétés de Sam Bankman-Fried utilisaient le FTT en guise de garantie pour obtenir des prêts et financer leurs activités. Une pratique que Changpeng Zhao n’a pas hésité à fustiger :
« N’utilisez jamais un jeton que vous avez créé comme garantie… N’empruntez pas si vous dirigez une entreprise de cryptomonnaies ».
Lorsque le cours du token encaisse une forte baisse, les deux entreprises se retrouvent mécaniquement à court de liquidités. Vous l’aurez compris : la situation n’était pas viable sur le long terme, sauf si le cours du token FTT repartait à la hausse. L’interdépendance des deux sociétés a fini par creuser un trou de plusieurs milliards de dollars dans les caisses de FTX.
Pour éviter la banqueroute, FTX utilisait les fonds de ses utilisateurs pour soutenir financièrement le fonds d’investissement d’Alameda. D’après un rapport de Reuters, Sam Bankman-Fried aurait transféré « au moins 4 milliards de dollars » de fonds appartenant à FTX pour renflouer Alameda.
Une partie de cet argent appartenait à la clientèle de la plate-forme FTX. Grâce à ces fonds détournés, la société de trading a échappé de peu à la faillite au printemps dernier, après la débâcle de Voyager Digital. Le courtier en cryptomonnaies s’est déclaré en faillite en juin dernier, dans le sillage de la mort du Luna, laissant Alameda dans un gouffre financier.
Panique chez les clients FTX
Après que Binance a annoncé la vente de ses FTT, un vent de panique s’est propagé parmi les utilisateurs de FTX, dont les détenteurs du token de la plate-forme. Ils sont nombreux à avoir liquidé leurs crypto-actifs, anticipant un effondrement inévitable du cours. La valeur du FTT a d’ailleurs commencé à s’évaporer.
En parallèle, une pléthore d’investisseurs a retiré les avoirs stockés sur la plate-forme en guise de précaution. Toujours dans les mémoires, le spectre de Celsius, un exchange ayant déclaré faillite au début de l’été, a poussé les usagers à prendre des mesures d’urgence.
Dans un premier temps, Sam Bankman-Fried, PDG et fondateur de FTX, a fermement démenti les rumeurs évoquant une crise de liquidités. Sur son compte Twitter, le milliardaire, dont la fortune s’est considérablement réduite en l’espace d’une semaine, assurait encore :
« FTX va bien. Les actifs vont bien. FTX peut couvrir tous les avoirs de ses clients ».
Quelques jours plus tard, quand la situation s’est aggravée, l’homme d’affaires révélait la vérité. A savoir que FTX ne dispose effectivement pas d’assez d’argent pour permettre à tous ses usagers de retirer leurs avoirs.
« FTX International a actuellement une valeur marchande totale des actifs/garanties supérieure aux dépôts des clients. Mais c’est différent de la liquidité disponible – comme vous pouvez le constater à partir de l’état des retraits. La liquidité varie considérablement », explique Sam Bankman-Fried.
1) I'm sorry. That's the biggest thing.
I fucked up, and should have done better.
— SBF (@SBF_FTX) November 10, 2022
Binance vole au secours de FTX
Après plusieurs jours de tension, Binance a finalement annoncé son intention de racheter FTX. Le numéro un expliquait avoir signé « une lettre d’intention non contraignante, dans le but d’acquérir entièrement FTX.com ».
This afternoon, FTX asked for our help. There is a significant liquidity crunch. To protect users, we signed a non-binding LOI, intending to fully acquire https://t.co/BGtFlCmLXB and help cover the liquidity crunch. We will be conducting a full DD in the coming days.
— CZ 🔶 Binance (@cz_binance) November 8, 2022
Ce type d’accord n’engage Binance en rien. Il permet à la firme d’examiner la situation financière de l’entreprise dans les détails avant de poursuivre un éventuel rachat. L’opération devait permettre de venir à bout de la crise de liquidités de FTX. Sam Bankman-Fried s’est donc montré enthousiaste au sujet du rachat.
Pour certains observateurs, Binance a volontairement orchestré les déboires financiers de FTX afin d’engloutir un concurrent aux dents longues, devenu gênant pour son développement. Dans une lettre adressée à ses employés, et partagée sur Twitter, Changpeng Zhao dément fermement avoir fomenté l’opération en amont :
« Nous n’avons pas planifié cela ou quoi que ce soit qui s’y rapporte. Il y a moins de 24 heures que SBF m’a appelé. Et avant cela, j’avais très peu de connaissances sur l’état interne des choses chez FTX ».
L’acquisition tombe à l’eau
Dans le cadre du processus de rachat, Binance s’est penché sur les comptes de FTX. L’acheteur a trouvé des éléments troublants lors de l’examen, indiquant que les fonds des utilisateurs ont été mal gérés par la plate-forme. C’est pourquoi Binance a préféré annuler l’opération, laissant FTX dans l’impasse.
Binance semble également conscient qu’une opération de cette ampleur aurait rapidement attiré l’attention des autorités de régulation, dont des organismes américains. Gary Gensler, le président de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis, a d’ailleurs révélé son intention d’enquêter sur l’affaire et sur l’acquisition.
En engloutissant FTX, Binance aurait cependant consolidé sa position de numéro 1 du marché. L’opération aurait permis à l’exchange d’asseoir sa domination sur l’industrie, au détriment des valeurs de décentralisation de Changpeng Zhao.
Néanmoins, Binance a profité de la situation pour lancer une astucieuse opération de communication. La plate-forme a annoncé la création de la preuve de réserve. Il s’agit d’une analyse qui démontre que Binance dispose bien des actifs de ses utilisateurs.
Publiée ce 10 novembre, la première analyse de Binance révèle que l’entreprise est assise sur 71 milliards de dollars de réserve. Pour prouver ses dires, le groupe a publié la liste de ses adresses sur la blockchain. En consultant ces adresses, on découvre que Binance détient 475 000 bitcoins, 4.8 millions d’Ether, 17.6 milliards d’USDT, 21.7 milliards de son stablecoin BUSD, 601 millions d’USDC et 58 millions de son token BNB.
L’exchange assure qu’il ne peut donc pas détourner les fonds de ses clients pour soutenir ou financer des projets. Le message est clair : Binance se présente comme la plate-forme la plus sûre de l’écosystème et ne doit pas être mis dans le même panier que FTX. D’autres plates-formes de taille, comme Kraken et Crypto.com, ont décrété une mesure analogue pour rassurer les investisseurs.
Une faillite devenue inévitable
Privé du soutien de Binance, Sam Bankman-Fried a refusé d’abandonner ses entreprises. Le trentenaire est entré en contact avec plusieurs investisseurs de Wall Street pour lever 8 milliards de dollars, de quoi rembourser les clients de FTX.
Dans une lettre adressée à ses employés, l’ancien chevalier blanc de la crypto disait vouloir sauver FTX. Il précise cependant que sa priorité reste de rembourser les clients. Lucide, Sam Bankman-Fried s’attend néanmoins à une faillite imminente si « aucune injection de trésorerie » n’est réalisée, rapporte Bloomberg.
Sans surprise, FTX a finalement déclaré faillite ce vendredi 11 novembre 2022. Éclaboussé par les révélations de ces derniers jours, Sam Bankman-Fried a quitté son poste de PDG. L’entreprise se place sous le chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites. En clair, le groupe pourrait continuer ses activités en cherchant un accord avec les créanciers. Les retraits restent bloqués : les fonds des usagers sont toujours inaccessibles.
Le marché des cryptos dégringole
Sans surprise, ces événements ont considérablement affecté le marché des cryptomonnaies. Ces dernières années, FTX et Alameda ont financièrement soutenu de nombreux projets d’ampleur, dont la blockchain Solana (SOL), la douzième cryptomonnaie la plus valorisée au monde.
Peu après l’annulation du rachat, le cours de ces cryptomonnaies, liées de près ou de loin à Sam Bankman-Fried, a brusquement dévissé. En l’espace de quelques jours, le cours du SOL a d’ailleurs été divisé par trois, fragilisant une pléthore d’autres acteurs.
Plus largement, la chute de FTX a plombé l’entièreté de l’écosystème, toujours fragilisé par le krach de l’UST de Terra Labs en mai dernier. Le Bitcoin est rapidement repassé sous le seuil des 16 000 dollars, atteignant un plus bas annuel de 15 682 dollars, selon les données de CoinMarketCap. Comme toujours, la reine des cryptomonnaies a entraîné toutes les autres devises numériques dans son sillage.
À l’heure où cet article est rédigé, la capitalisation boursière du marché des cryptomonnaies s’est contractée sous le seuil des 900 milliards de dollars. L’an dernier, la valorisation de l’industrie avait atteint les 3 000 milliards de dollars.
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