La “loi sur les nouvelles en ligne” ne passe pas au Canada, où Google a décidé de ne plus diffuser les articles des médias. L’échec dans les négociations entre Ottawa et le géant du numérique s’est soldé par une décision forte, identique à celle du groupe Meta avec Facebook et Instagram il y a dix jours. “Nous avons été forcés à prendre cette décision par cette nouvelle législation, nous aurions souhaité ne pas être dans cette position”, déclarait une porte-parole de Meta au Canada dans une audition fin juin.
C’est la deuxième fois après l’Australie qu’une loi cherchant à protéger la presse produit l’effet inverse. Google et Facebook sont, dans de nombreux pays, forcés à devoir reverser aux médias une rémunération pour les soutenir ; les législateurs voyant dans la presse une contribution au succès des réseaux sociaux et à la pertinence de l’information de Google. Or les géants du web ne sont pas du même avis et préfèrent radier de leur liste de diffusion les médias du pays concerné pour peser dans les négociations.
1/ La France est concernée, mais résiste
En Europe, le droit voisin s’applique et suit cette même logique de protection et de rémunération. Les négociations sont davantage équilibrées et Google comme le groupe Meta se plient plus facilement aux demandes des législateurs. La mise en application a pris du temps, mais Google a commencé depuis 2021 à signer des contrats, notamment en France où les titres de la presse traditionnelle sont rémunérés. Une manne financière restée très confidentielle jusqu’alors, tant elle serait différente en fonction de chaque média.
Du côté du groupe Meta, l’accord de rémunération à la suite du droit voisin a été mis en place plus tard, en 2022. Celui-ci faisait suite au lancement de Facebook News, qui est un espace dédié à l’actualité sur le réseau social par “un large éventail de sources d’informations fiables et pertinentes”, annonçait il y a un an et demi l’entreprise. Dans le même genre, des contrats à la carte ont été signés avec chaque éditeur, comme le groupe Altice Média France dont son DG Arthur Dreyfuss déclarait vouloir “renforcer notre leadership sur le digital et les réseaux sociaux”.
L’équilibre reste pourtant fragile alors que l’Union européenne condamnait Google en 2021 à 500 millions d’euros d’amende pour ne pas avoir correctement négocié avec les différents médias pour une rémunération correcte. Même si Google et Facebook ont besoin des médias pour continuer à générer du trafic, leur revient toujours le pouvoir de ne plus fragiliser le modèle d’affaires des éditeurs.
2/ 3,6 milliards de liens par an
Si Google peut le faire au Canada, alors il pourrait le faire ailleurs. Le pays limitrophe des États-Unis n’est pas un petit marché : l’année dernière, pas moins de 3,6 milliards de liens vers des articles d’actualité de la presse canadienne ont été affichés, déclarait Richard Gingras, vice-président de Google News. Au même moment, dans le pays, les législateurs appelaient à un passage forcé de la loi alors que 450 médias ont disparu entre 2008 et 2021.
En Australie, Google avait carrément utilisé comme menace la suspension complète de son moteur de recherche. En Espagne, l’application d’un droit voisin local, avant celui de l’Union européenne, avait laissé Google prendre la décision d’écarter Google News, sa principale plateforme diffusant les articles de presse et permettant aux internautes d’accéder à l’information. Vous l’aurez compris, à l’échelle d’un pays, les géants du web n’hésitent pas à attaquer, quant à l’échelle d’une union comme l’UE, les risques sont plus éloignés.
3/ Deux points de vue différents
Pour que Google et Facebook rémunèrent les médias, il leur a fallu tailler dans leurs revenus publicitaires. C’est de ces revenus qu’il est question quand les géants du web se rémunèrent d’un volume de trafic sur leurs plateformes. Or, selon les pays à l’origine des textes de loi pour la rémunération des éditeurs de presse, il est tout à fait légitime de forcer la main de Google et Facebook tant les médias leur apportent justement le contenu nécessaire pour qu’ils puissent générer du trafic.
Tout le monde n’utilise pas Google et son moteur de recherche pour lire un article, même chose pour Facebook et Instagram, mais l’information reste l’une des plus importantes raisons des visites quotidiennes des internautes, et de la raison d’être des plateformes. Sans les médias, Google et Facebook verraient de facto leur nombre de visites quotidiennes baisser, et par conséquent leurs revenus publicitaires.
Du point de vue adverse, c’est Google et Facebook qui aident les médias. Loin du journal papier, les médias en ligne comptent en grande partie sur Google pour pouvoir diffuser leurs articles et toucher une audience. Les réseaux sociaux étant pour leur part le meilleur théâtre pour les partages et une nouvelle forme d’agrégateur aussi, à l’image de Facebook News.
Une interdépendance donc qui a de quoi expliquer le bras de fer et la difficulté de reconnaître pour les géants du web que le partage du contenu des médias peut aussi être vu comme du vol en l’absence de rémunération.
“Pour Google, comme pour Facebook, dont l’essentiel des revenus vient de la publicité en ligne, le fait de reverser une partie de leurs recettes aux médias traditionnels est une perte de revenus même si leurs profits sont supérieurs à 20% chaque année, ce qui est considérable“, expliquait David Fayon, le co-auteur de ”Facebook, Twitter et les autres…” aux éditions Pearson. De quoi créer “de l’incertitude pour nos produits et nous expose à une dette financière illimitée”, déclarait Alphabet, la maison mère de Google, suite à la situation actuelle, inédite au Canada.
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Source : Radio-Canada