La réalité augmentée ou AR, vous l’avez déjà peut-être utilisée dans les filtres amusants de vos applications de smartphones. Mais pour Donatien Bozon, directeur du tout nouveau AR Studio de Snapchat à Paris, il faut élargir notre vision de l’AR. « La réalité augmentée n’est pas qu’une technologie rigolote, elle va avoir un vrai impact sur les comportements et la culture », déclare-t-il. Il faut dire que le quadragénaire a sur les épaules la réussite du premier et seul studio au monde dédié entièrement à la promotion et au développement de l’AR.
Promesse du patron Evan Spiegel au président Macron en 2021, l’ouverture du studio qui s’est fraîchement ouvert à la Station F de Xavier Niel dans le 13e arrondissement de Paris semble ne pas être un hasard. Car si l’équipe parisienne a des liens avec les différentes équipes de développement technique de l’AR dans le monde – Snapchat a lancé ses lunettes AR de développement il y un an et demi – ce n’est pas pour la partie hardware que ces 14 premiers employés sont attendus. « Il y a en France un vivier de talents autour de la culture, de l’animation ou du jeu vidéo. Une concentration unique qui a rendu tout naturel l’ouverture de ce centre ici », explique cet ancien de Google.
Une vision partagée par son responsable des relations avec les développeurs AR, Oscar Falmer. « Non seulement il y a les talents, mais il y a aussi les plus importants studios. Des entreprises parisiennes comme Atomic Digital Design ou Busterwood sont à la pointe de l’AR », assure M. Falmer, qui vient, lui, d’Apple. Alors s’il y a les talents et les studios, où est le problème ? « Il n’y a pas encore de cursus ou de voie toute tracée. Et l’écosystème reste balbutiant ». Mais Snapchat a décidé de prendre les devants en la matière. Car elle a un temps d’avance en matière d’usages.
Snapchat, champion de l’AR du quotidien
Snapchat est le grand titan caché de l’AR. L’application « qui ne se définit pas comme un réseau social », comme le défend Donatien Bozon, est une véritable usine à réalité augmentée. « Nous avons plus de 300 000 créateurs qui ont créé aux alentours de trois millions de lens », nous explique le duo. Profitant du fait que l’application s’ouvre automatiquement sur la caméra et de la puissance des puces de smartphones actuels, Snapchat est devenu un terreau de développement de ces lens, des apps de réalité augmenté. Déformations de visages en temps réel ou filtre ajoutant des dinosaures flottant autour des sujets que vous photographiez, les lens sont essentiellement ludiques à la base… mais le business a vite compris que les 600 millions d’utilisateurs dans le monde étaient une précieuse audience à toucher.
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Précieuse, car entre la « saga » Twitter, les complotistes de Facebook et les « dangers » de TikTok pour la jeunesse, si les réseaux et applications sociales sont sous le feu depuis un moment déjà, Snapchat passe toujours entre les gouttes. Outre l’usage en cercles plus limités et le fait que « Snapchat soit en fait cinq apps une », comme nous la décrit M. Falmer, Snapchat est surtout une app avec un plus grand niveau de contrôle. La partie média « Discover » n’est pas la foire d’empoigne, mais résulte d’une curation bien plus draconienne. L’appli offre également depuis août dernier un centre de contrôle parental (Family Center), un outil pour permettre aux parents de savoir en partie ce que font leurs enfants sur le réseau. Et le réseau fait tout pour compartimenter les âges afin de protéger les plus jeunes.
Voilà pourquoi l’entreprise est choyée par les marques. Car sur ces fondations plus « saines » que la concurrence, l’entreprise utilise l’image – et donc l’AR – de manière unique. « De nombreuses lens sont développées autour de la mode avec la possibilité d’essayer des vêtements ou des styles différents », explique l’équipe. Et au-delà du bénéfice immédiat de savoir si on aime tel ou tel t-shirt, certains bénéfices s’inscrivent dans le réel. « Les marques ont ainsi constaté que le taux de retour des vêtements est nettement inférieur quand ils ont d’abord été ‘’essayés’’ en AR » nous explique-t-on. La raison étant que certaines marques conçoivent des biens numériques réellement calqués sur les dimensions des produits physiques. Mais pour cela, il faut avoir conscience des différents besoins, problématiques et autres enjeux autour de l’AR. Et c’est là que l’AR Studio veut intervenir.
Créer la première école de la réalité augmentée
« La France a une place d’importance pour Snapchat ! », assure Oscar Falmer. Et pour cause, derrière les États-Unis et l’Inde, la France représente la troisième communuaté mondiale avec 27 millions d’utilisateurs uniques par mois – chiffre Médiamétrie. Et son taux d’adoption par les 15-24 ans est ahurissant : 94% ! Si on ajoute à cela les atouts culturels que l’on connaît – vraie politique avec un ministère dédié, capacité d’exportation des modèles comme le Louvre d’Abou Dabi, etc. – ainsi que l’écosystème d’animation et de graphisme, la France a deux masses critiques pou justifier la présence du studio sur ses terres.
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« À l’heure actuelle, quand les annonceurs ou marques veulent concevoir des lenses, ils peuvent passer par nous qui orientons vers des studios ou trouver des studios de conception eux-mêmes », décrit Donatien Bozon. « Le souci est que les studios de conception sont sous l’eau et ont du mal à recruter parce qu’il faut identifier des talents qui sont souvent autoformés ». Il n’y a en effet aucun cursus dédié à la conception d’apps et d’expériences AR. « D’une part, il y a des concepteurs de lenses qui sont de simples amateurs. Et parmi les experts, voire les pros, c’est une horde de profils provenant des mondes de l’animation, du jeu vidéo, du graphisme, etc. Notre but est de faire de l’AR Studio non seulement un point de rencontre autour de l’AR, mais aussi de proposer des cursus de formation à la carte pour les différents profils », poursuit le patron du studio.
Quelles seront exactement les formations, tant dans la durée, dans les modalités que les contenus ? « Nous sommes toujours en train de travailler dessus », nous explique l’équipe. Une équipe constituée ainsi logiquement plus de créatifs – producteurs, concepteurs 3D, spécialiste des effets spéciaux – que de développeurs (même s’il y a en a).
La demande (et le business) sont bien là
Si les projets de lenses réalisés avec la BnF ou le centre Pompidou participent à la création d’une aura culturelle autour l’entreprise, il est logique que Snapchat n’ouvre pas une telle entité par simple altruisme. Il est dans son intérêt de développer et choyer un écosystème où son application est en pointe. Et où le potentiel business est déjà là… et ne demande qu’à exploser, avec déjà six milliards de lenses vues/consommées… par jour !
« Les demandes des annonceurs autour de la conception des lenses sont énormes. Et nous ne voulons pas nous limiter à ces usages ludiques ou d’essayages : certains partenaires mettent en place des écosystèmes avec de la vente de biens numériques virtuels. Et nous voulons aussi favoriser le développement d’expériences qui sont non seulement consommables sur smartphones, mais aussi avec nos lunettes », décrit Oscar Falmer.
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Lancées en mai 2021, la quatrième génération de lunettes « Spectacles » n’est pas un produit final, mais un kit de développement à destination des développeurs et autres créateurs de contenus. Et quand on regarde en coulisses ce que Snapchat prépare, on sent que la firme est sérieuse : la longue liste de ses acquisitions montre qu’elle est en pleine construction d’un arsenal technologique. Matériel d’une part, avec l’acquisition de WaveOptics pour 500 millions de dollars, qui fournit les écrans de ses lunettes. Mais aussi logiciel ou technologique, avec les rachats de Vocai.ai (assistant vocal), Voisey (publication audio), Ariel AI (modélisation 3D automatique en temps réel), etc. De la cartographie à la modélisation en passant par les outils de plate-forme, Snapchat veut devenir un roi de la révolution AR.
Et quoique modeste avec sa centaine d’employés dont quatorze à l’AR Studio, la France a un rôle à jouer dans la stratégie de Snapchat. « Si l’AR Studio de Paris réussit, alors nous pourrons répliquer le modèle pour renforcer les écosystèmes locaux dans d’autres pays », s’enthousiasme Donatien Bozon. Il semble vouloir prouver au monde que la ville Lumière a de quoi devenir la capitale de l’AR.
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