En droit, même les plus belles lois peuvent être les graines du pire. C’est ce que craint Wikimedia avec le projet SESTA (Stop Enabling Sex Trafficking Act). D’allure pourtant vertueuse il est conçu pour faciliter les poursuites à l’encontre des sites facilitant le travail sexuel et les dérives qui l’entourent. Un texte soutenu, comme le rappelle The Verge, par les géants de l’industrie IT mais qui circonscrit un peu trop une loi précédente (la section 230 du « Communication Decency Act, CDA 230). Ce qui pourrait mettre en danger les petits sites et même les géants indépendants comme Wikimedia, la maison mère de Wikipedia.
Les raisons de cette menace ? Le caractère vague de certaines formulations, un nouveau fardeau juridique et des réflexes de poursuites gênants pour les sites.
Selon la responsable juridique de l’association Wikimedia, Leighanna Mixter, la notion de « responsabilité étendue » en cas de ‘’connaissance’’ d’une activité criminelle est dangereuse de par le caractère vague du mot « savoir » (knowing) qui pourrait imputer des textes publiés sur Wikipedia à Wikimedia elle-même. Et la rendre ainsi complice de crime au simple motif qu’un rigolo – ou un vrai criminel – a publié des éléments sur le site.
L’autre menace juridique qui pèserait sur Wikimedia – et encore plus sur les petits sites – est que si le SESTA passe tel quel, chaque site devrait non seulement se conformer aux lois fédérales mais aussi simultanément aux lois « locales » des 50 états américains. On comprend que cela ne gêne pas trop les Google, Apple, Facebook et consorts mais dans leur soutien au texte ils semblent avoir un peu oublié que tous les sites, notamment personnels et de petites entreprises, ne réalisent pas plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaire par an et ne peuvent se payer un service juridique capable de définir un cadre adapté – sans parler, dans le cas de Wikimedia/pedia, du fait que le contenu n’est pas le fruit du travail des équipes mais des utilisateurs.
Finalement, Leighanna Mixter considère que, en général, les « plaignants contre des écrits en ligne s’en prennent plus volontiers au site (sur lequel ils sont publiés, ndlr) plutôt qu’au vrai émetteur du message ». C’est d’autant plus facile que le site est clairement identifiable, au contraire du rédacteur, potentiellement anonyme. Selon la responsable juridique, la CDA 230 protège de cet effet pervers mais le SESTA pourrait remettre cette protection en cause.
Selon The Verge, sans la protection du CDA 230, « les petits sites et les entreprises telles que Wikipedia pourraient crouler sous les menaces de poursuites, et pourraient prendre des mesures de protection (…) qui augmenteraient les coûts d’opération ».
Une menace qui affaiblirait le Web « libre » traditionnel et qui renforcerait, par ricochet, l’influence des gros portails. Ce danger conduit de nombreuses ONG et autres associations américaines comme l’Electronic Frontier Foundation (EFF), le Committee for Justice (Comité pour la justice) ou Archive.org à lancer une pétition pour bloquer la publication en l’état du projet SESTA. Encore une belle bataille juridique pour les associations de la société civile américaine en perspective… et d’Europe car nombre de disposition du Vieux continent sont inspirées des précédents états-uniens…
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.