Le ton monte dans le petit monde des serveurs. “Nous allons montrer à Sun que nous savons chiquer et tirer en même temps”, clamait Lew Platt, ex-PDG de HP. “Nous avons délaissé le marché Unix à Sun. Maintenant, nous sommes de retour. Et ça va barder”, menace, à son tour, Rod Atkins, grand patron des serveurs IBM. Depuis qu’il trône en tête du marché Unix, Sun agace. Et il y a de quoi. Il y a encore cinq ans, la firme de Scott McNealy ne vendait que des stations de travail. A l’époque, les champions des serveurs Unix s’appelaient Digital, HP, ou IBM. Aujourd’hui, c’est le monde à l’envers. Dès qu’un appel d’offres mentionne Unix, Sun est inscrit d’office, HP, IBM et Digital/Compaq étant relégués au rôle de challengers.
En fait, HP, IBM et Compaq se sont laissé endormir par les sirènes du monde Wintel. Tous pensaient qu’Unix allait être balayé par la tornade Windows NT. Ils ont eu tort. Avec l’explosion d’Internet et du commerce électronique, les serveurs Unix se vendent comme des petits pains (voir 01 Informatique n?’1564). Sun, qui n’avait rien d’autre, s’est donc trouvé au bon endroit au bon moment. Il est, du coup, devenu l’entreprise à battre.
Maintenant, les champions d’hier sont décidés à récupérer leur titre. L’enjeu est tel que le haut de gamme Unix est devenu emblématique du savoir-faire technologique d’un constructeur. Alors, personne ne lésine sur les moyens : investissements colossaux en marketing et en R&D, florilège de technologies de pointe, offres commerciales agressives… Tout est bon pour gagner des parts de marché.
Jusqu’à l’année dernière, Sun et les soixante-quatre processeurs de son Ultra Entreprise 10000 ne trouvaient quasiment aucune concurrence. Le superserveur paraissait intouchable avec ses fonctions de grand système et ses 115 Ktpm (milliers de transactions par minute TPC-C).
Sun a de quoi s’inquiéter
Mais, depuis neuf mois, le fleuron de Sun subit les assauts de machines plus jeunes et mieux dotées techniquement. C’est IBM qui a tiré le premier en lançant, l’automne dernier, le RS/6000 S80. Puce à technologie cuivre, bus ultra-performant, fonctions de tolérance de pannes, la machine dépasse les 135 Ktpm avec seulement vingt-quatre processeurs. IBM revendique même un rapport prix/performances deux fois inférieur à celui de Sun.
Le mois dernier, ce fut au tour de Compaq d’entrer en scène. Sa nouvelle gamme Alpha Server GS adopte une architecture Numa et accepte jusqu’à trente-deux processeurs pour une performance qui atteindrait 150 Ktpm (résultat non validé par TPC). C’est 30 % de plus que la référence E10000 pour une fraction du prix. Désormais, tous les regards sont tournés vers HP, qui renouvellera son haut de gamme cet été. Connus sous le nom de code de Superdome, ces serveurs d’architecture Numa, successeurs des HP 9000 série V, devraient frôler les 200 Ktpm.
Sun a donc de quoi s’inquiéter. Non contents de rattraper leur retard, les concurrents l’ont laissé sur place. La firme de Scott McNealy a beau être leader du marché, elle est celle qui dispose aujourd’hui de la moins bonne technologie. Ses processeurs UltraSparc II se font doubler par de simples Pentium III. Quant à l’E10000, après trois ans
d’existence, il commence à accuser le poids de l’âge. Sun a bien dans ses cartons le projet Serengeti, une nouvelle architecture qui le remettrait à niveau. Mais son moteur, la puce UltraSparc III, joue l’arlésienne depuis un an. Résultat, les nouvelles machines ne verront pas le jour avant l’année prochaine. Une aubaine pour ses concurrents.
D’autant que, à y regarder de plus près, Sun n’est pas si présent qu’il y para”t dans les centres de calcul des grands comptes. “Si Sun est devenu leader sur Unix, c’est parce qu’il réalise le gros de ses ventes avec de petits serveurs chez les “points com ” et les fournisseurs d’accès Internet, deux marchés à très forte croissance”, explique Tom Henkel, analyste au Gartner Group. Frédéric Léonetti, chef de produits serveurs chez HP France, y voit donc une excellente opportunité. “Ce sont des marchés où l’adhérence à Sun est assez faible. Les acteurs sont sans cesse à la recherche de performance. Ils passent facilement d’un fournisseur à l’autre.”
L’utilisateur, grand gagnant
Pourtant, Sun reste serein. Il préfère ironiser sur l’opportunisme des concurrents, qui ont laissé dépérir leur gamme Unix, et dont la stratégie future en matière de système d’exploitation ou de choix de processeurs para”t encore floue. “La concurrence a sous-estimé notre capacité à monter en puissance. Maintenant, il faut rester humble et travailler si nous voulons garder notre place, se défend Dario Wiser, directeur marketing de Sun. Notez enfin que les utilisateurs ne sont pas idiots. Si les concurrents étaient vraiment deux fois plus rapides et deux fois moins chers, nous ne vendrions pas autant.” Or, Sun prétend avoir plus de 1 milliard de dollars de commandes en attente. Sa plus grande inquiétude est donc plutôt de produire suffisamment que de répondre aux attaques de la concurrence. “L’offre Sun a beau accuser un retard technologique, elle reste considérée comme un standard sur le marché”, remarque Tom Henkel. Une dynamique qu’il sera difficile d’inverser, même avec la meilleure technologie.
Alors Compaq, HP et IBM ont décidé de se livrer une guerre totale. Tous ont créé des fonds d’investissement pour aguicher les fameuses “points com “. Le moindre échec ou succès est largement médiatisé. Les serveurs Sun d’eBay connaissent des problèmes de fiabilité ? HP et IBM sautent sur l’occasion pour prévenir les journalistes et mettre en avant leurs solutions. Network Solution, le gardien des adresses en . com, a abandonné Sun pour se laisser séduire par les S80 d’IBM. Quant à Amazon. com, c’est HP qui a réussi à évincer Compaq et Sun.
Comme dans toute guerre à outrance, les coups bas ne manquent pas. Les commerciaux de HP accusent ainsi IBM de gagner des parts de marché en accordant d’énormes remises sur le matériel en échange de services. Ceux de Sun accusent IBM de l’utiliser comme lièvre pour faire baisser ses prix. Enfin, les analystes financiers se demandent jusqu’où HP est prêt à sacrifier sa marge pour doubler Sun.
Pour une fois, le grand gagnant de cette foire d’empoigne n’est pas Microsoft, mais l’utilisateur. En deux ans, les prix ont été divisés par deux, et les performances multipliées par trois. Une jeune pousse peut aujourd’hui acquérir un superserveur d’une trentaine de processeurs sans débourser des millions de francs. Elle ne paiera que pour les deux ou quatre puces utilisées en se ménageant une réserve de puissance. Les fournisseurs n’ont jamais autant été aux petits soins pour les utilisateurs. Garanties de puissance, de protection des investissements, de disponibilité, de sécurité, etc. Tous se mettent en quatre pour gagner et conserver les clients… Pour le plus grand bonheur de ces derniers
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