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Pourquoi votre appareil photo est japonais et pas (encore) chinois

Si les groupes chinois ont rapidement dominé les marchés de la téléphonie et de l’informatique, il en ira autrement dans le domaine de la photo, archi-dominé par le Japon. L’arrivée du premier appareil photo 100% chinois, le Yi M1, en est la parfaite illustration.

Informatique, télévision, téléphonie mobile : les secteurs dans lesquels le Japon s’est fait supplanter par les Coréens puis par les Chinois sont nombreux. Plus dynamique, plus jeune, l’Asie continentale a pris le relais du vieillissant Japon et il est assez improbable que le pays du Soleil Levant redevienne à nouveau, dans un futur proche, un champion de l’électronique de masse.

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Il est cependant un domaine où l’archipel brille toujours : la photographie. Aussi, l’arrivée à la rédaction du Yi M1, un appareil d’une marque 100% chinoise, a suscité notre interrogation. Hybride compatible avec le standard Micro 4/3 et lancé avec deux optiques, le Yi M1 est le premier appareil grand public qui n’ait pas de lien avec le Japon ou l’Allemagne (Leica). Cette arrivée tardive peut paraître surprenante au regard des succès de la Chine sur d’autres marchés. Mais contrairement au domaine de l’électronique, la photo porte le poids écrasant de son histoire, étroitement liée à celle du Japon.

Un savoir-faire centenaire

Domaine public – Point de vue du Gras, la plus ancienne photographie conservée, réalisée par Nicéphore Niépce en 1827.

La première photographie a été prise en 1827 par le français Nicéphore Niepce. Sous ce regard, la photographie est la « grand-mère » des nouvelles technologies, l’existence des ordinateurs n’étant, à l’époque, même pas un rêve (même si C. Babbage concevra la première machine analytique en 1834).

Ce rappel historique permet de remettre en perspective le chemin parcouru, qui prend doucement la direction de l’archipel nippon. A la suite de son ouverture (forcée) par les navires de guerre américains lors de l’ère Meiji, le royaume insulaire cherche à s’ouvrir au Monde. A la fin du XIXe siècle, le Japon s’intéresse à l’optique, à la mécanique, la chimie, les moteurs, etc. Des domaines dans lequel l’archipel est toujours un poids lourd aujourd’hui.

Domaine public – Illustration japonaise de 1854 relatant l’arrivée de l’expédition du Commodore Matthew C. Perry.

La domination des appareils photo japonais débute paradoxalement après la seconde guerre mondiale, où les industries optiques européennes, notamment allemande, pays qui dominait le secteur à l’époque, sont dévastées. Profitant à la fois de la scission entre les deux blocs européens et d’accords commerciaux avantageux avec les USA (qui utilisaient le Japon comme base avancée contre l’URSS), les japonais, pourtant perdants et balayés par deux bombes atomiques, se retroussent les manches et mettent leur savoir-faire optique au service… de la copie d’appareils allemands.

Des copies qui supplantent, au fil du temps, les originaux. Coupé de la production soviétique –  qui profite lui aussi de l’héritage allemand – l’Occident s’équipe petit à petit d’appareils japonais à partir de la guerre de Corée puis de celle du Viêt Nam. Un conflit qui marque le succès des appareils Nikon, qui viennent rejoindre les traditionnels Leica aux cous des reporters.

Les années 60/70 seront décisives pour la photo japonaise, qui balaye toute concurrence et permet à l’archipel d’asseoir sa domination. Domination qui se poursuit aujourd’hui. Jugez plutôt : Canon, Casio, Fujifilm, Nikon, Olympus, Panasonic, Sigma et Sony sont tous des fabricants de boîtiers japonais. Sans même parler des opticiens purs que sont Tamron et Tokina, du maître du verre Hoya ou du champion de la sous-traitance qu’est Cosina (qui conçoit et fabrique les optiques Zeiss et Voigtländer). Ou encore du champion absolu de la production de capteur CMOS qu’est Sony.

Le Canon AE1 est le premier boîtier reflex de l’histoire à être équipé d’un microprocesseur. Il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires entre 1976 et 1984.

Tissu industriel & protectionnisme nippon

Le point de la démonstration ? Les japonais sont maîtres de la photographie mondiale depuis bientôt 60 ans et ont bâti ce savoir-faire sur des savoirs acquis depuis la fin du XIXe siècle. Cette antériorité est d’autant plus difficile à remettre en cause qu’en plus de l’histoire, il faut compter sur une puissance invisible qui conjugue maîtrise de la chaîne de production… et un fort protectionnisme.

Domaine public – Un samurai en armure avec son sabre, vers 1860.

Pour bien comprendre ce qui rend le Japon unique, remontons le temps de quelques mois. En avril 2016, un séisme frappe la préfecture de Kumamoto. Dans cette région, une usine Sony produit des capteurs CMOS (1 pouce, APS-C) et se voit mise à l’arrêt pour plusieurs mois. Une convalescence qui pénalise toute l’industrie, Sony fournissant presque 50% des capteurs CMOS de la planète (et la grande majorité des CMOS haut de gamme). C’est notamment à cause de cet incident que Nikon a décidé de ne pas commercialiser ses compacts experts DL.

Adrian BRANCO – Capteur du Sony Alpha A6500

Le tissu industriel très dense du Japon et la tradition de préférence nationale de l’archipel a toujours été un bouclier de protection pour ses entreprises. Certains jusqu’au-boutistes comme Sigma sont d’ailleurs tellement attachés à leur « devoir », qu’ils produisent presque tous les composants dans leurs usines. Et si Canon, Nikon, Olympus et consorts fabriquent essentiellement en Chine et en Thaïlande, un petit passage dans les usines (nous avons visité les usines de Shanghaï de Nikon en 2011) ne ment pas : bien qu’assemblés hors du pays, la majeure partie des composants (verre, capteurs, processeurs d’image, obturateurs, etc.) des appareils photo sont toujours made in Japan.

A cela s’ajoute une omerta autour des technologies, une forme de pacte de non-agression nippo-nippon : chaque constructeur dispose d’un portfolio de brevets qui crée une forme d’équilibre entre les différentes entreprises. Et gare au non japonais qui s’aventurerait sur leurs terres : un responsable d’une entreprise optique européenne nous confiait en 2012 que l’absence d’optiques avec autofocus dans son catalogue n’était pas dû à un manque de savoir-faire… mais à une peur de procès groupé de la part des groupes nippons. Pour percer dans la photo sans être japonais, il faut donc être très puissant.

Samsung, l’échec coréen

À lire : Pourquoi Samsung pourrait fermer sa division photo

Un acteur non japonais a bien essayé de s’attaquer à cette coterie de samouraïs : Samsung, mastodonte qui pèse pas moins de 25% du PIB de la Corée du Sud. Un Chaebol (conglomérat) dont le portfolio d’activités va des réfrigérateurs aux téléviseurs en passant par les smartphones ou les services bancaires.

Adrian BRANCO

Malgré sa puissance, le titan a pourtant jeté l’éponge début 2016 en enterrant définitivement sa division photo – et sa gamme d’hybrides NX avec.

Cette tragédie d’ingénierie – son NX1 était un monstre technologique –  a commencé par un partenariat avec Pentax en 2005. Pour entrer dans le club « photo », Samsung pressentait l’importance de l’appui et du savoir-faire d’un groupe japonais. Déjà en difficulté à l’époque, Pentax (passé depuis dans les mains de Hoya puis Ricoh) a permis à Samsung d’apprendre à concevoir des reflex. Le partenariat a fait long-feu, mais Samsung a poursuivi l’aventure en profitant du savoir-faire acquis dans l’imagerie (via sa branche défense) jusqu’à développer le NX10 en 2009, l’un des tous premiers hybrides de l’histoire. Une histoire qui connaîtra son point d’orgue avec l’annonce, 5 ans plus tard, du NX1. Présenté à la Photokina 2014 de Cologne, cet appareil disposait d’années d’avance sur la compétition – son capteur APS-C CMOS rétro-éclairé est toujours une exclusivité mondiale demeure le plus défini à ce jour ! Après une histoire assez erratique, la lignée d’hybrides NX voyait, avec le NX1, arriver son champion. Qui ne fut – hélas – qu’un magnifique chant du cygne.

Car en plein changement avec les problèmes de santé de son CEO en 2014, la nouvelle direction de Samsung décide au même moment d’en finir avec les appareils photo. En déficit permanent, la branche est dissoute, ses ingénieurs intégrés dans la division téléphonie mobile, un domaine que Samsung maîtrise. Et dans lequel son savoir-faire photographique est reconnu.

Outre les différences culturelles qui font que, d’inspiration plus américaine, les groupes coréens sont plus pragmatiques, moins fiers et plus prompts à changer de direction quand la sauce ne prend pas, une autre réalité est apparue à Samsung : en dépit de sa puissance de frappe, le Coréen était incapable de lutter contre l’histoire et le savoir-faire nippon… ni contre l’affect et les habitudes des photographes et des revendeurs, qui font de la photographie l’un des secteurs les plus conservateurs des nouvelles technologies. 

Yi Camera, le chinois qui va avoir du mal

Le Yi M1 est le premier appareil photo à optiques interchangeables développé par une marque chinoise sous une marque chinoise et distribué mondialement.

La Chine n’est pas pas tout à fait absente de la photo grand public : le sino-taïwanais Asia Optical produit les appareils photo estampillés Kodak après en avoir acquis la licence en 2011. Ce groupe a aussi fabriqué des millions d’appareils d’entrée et milieu de gamme pour des marques comme Olympus, ou Pentax.

Mais Yi Technology, qui s’est fait connaître grâce à ses caméras d’action, a une tout autre ambition : il s’attaque désormais au produit le plus noble du segment de l’image : l’appareil photo. Et c’est la première marque à lancer un appareil à optiques interchangeables 100% chinois.

Actuellement en cours de test à la rédaction, le Yi M1 est un appareil grand public dépourvu de viseur électronique et doté d’une interface 100% tactile. Mais ce boîtier n’échappe cependant pas à l’influence industrielle nippone : son capteur Micro 4/3 de 20 Mpix est conçu et fabriqué par Sony – la mention “Sony IMX269” est même largement mise en avant sur le site officiel de la marque chinoise.

Sans faire le test de l’appareil ici, on se rend compte dès la prise en main d’une foule de défauts : il ne peut shooter en RAW et Jpeg de manière simultanée, la prise en main est glissante, l’autofocus est lent et imprécis, le rendu des couleurs parfois hasardeux, et l’ergonomie logicielle est perturbante. 

Contexte difficile pour un challenger

Yi trébuche non seulement sur son manque de savoir-faire, sur les habitudes des utilisateurs, mais aussi sur un contexte difficile : le marché de la photo va mal.

Quelle serait la solution pour que Yi puisse s’imposer ? Casser les prix ? Difficile, voire impossible : le marché a vu ses volumes s’effondrer, il est donc difficile de produire à peu de frais.

Innover à fond ? Infaisable : l’effondrement des volumes et la réorientation vers le haut de gamme imposent des investissements colossaux pour rattraper et dépasser les groupes japonais déjà en place depuis des décennies.

La jouer tenace et s’imposer en quelques années ? Compliqué, car il faudrait que cette petite entreprise ait plus de détermination – et de cash – que n’en a eu… Samsung. Il faudrait donc que l’entreprise chinoise soit pilotée par une passion fiévreuse de la photographie… et qu’elle s’appuie sur d’autres branches pour faire rentrer de l’argent.

Car il faut bien comprendre que les appareils photo sont devenus des produits de prestige pour les groupes industriels – l’argent, la croissance, se trouvent ailleurs. A l’instar du football, où de riches milliardaires et fonds dépensent sans attendre de vrais retours sur investissement, la production d’appareils photographiques est devenue une affaire de passion. Et d’égo.

Les groupes chinois réussiront-ils à supplanter les entreprises japonaises dans la photographie ? C’est très improbable, mais si c’est le cas, la route sera longue. Et l’argent ne saurait être leur moteur.

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