La toute puissance de Google et d’Apple sur les magasins d’applications est-elle en train de perdre de son éclat ? La question se pose avec l’annonce de la deuxième mauvaise nouvelle du mois pour Google et son Play Store. Après avoir été reconnu coupable de violation du droit de la concurrence dans l’action en justice qui l’opposait à Epic Games, on apprend ce mardi 19 décembre que le géant du numérique a aussi dû lâcher du lest dans une autre affaire. Cette fois, Google était accusé d’étouffer la concurrence de son magasin d’applications.
Le litige est en voie d’être conclu à l’amiable : l’accord (provisoire) trouvé en septembre, n’a été rendu public que lundi 18 décembre, justement pour ne pas influencer les jurés qui devaient trancher l’affaire Epic Games/Google. Pour commencer, le géant de Mountain View s’est engagé à verser 700 millions de dollars pour mettre fin à cette action en justice : 630 millions de dollars seront reversés aux consommateurs américains (qui seraient près de 102 millions), et 70 millions de dollars destinés à un fonds aux mains des 50 États américains, peut-on lire dans le règlement. Initialement, les États demandaient à Google 10,5 milliards de dollars de dommages-intérêts : on est donc loin du compte. L’affaire avait commencé en juillet 2021, lorsque des citoyens et des États américains avaient formé un recours collectif contre le Play Store et ses commissions prélevées par Google sur tout paiement passé par le magasin d’applications.
Les commissions de Google, des hausses de prix pour les consommateurs, selon les procureurs américains
Comme Apple qui est régulièrement attaqué sur ce terrain, Google est accusé de contraindre les utilisateurs et les développeurs à passer par son Play Store et son système de paiement, toute alternative étant bannie ou difficilement atteignable… Conséquence : les développeurs doivent verser à Google des commissions qui peuvent représenter jusqu’à 30 % des paiements en jeu, ce qui se répercute sur les prix payés par les consommateurs. Selon les procureurs américains qui attaquaient Google, ces commissions ont entraîné des hausses des prix qui n’auraient jamais existé, si le marché pour les systèmes de paiement était ouvert. Au total, ces commissions représenteraient pour Google des milliards de dollars de bénéfices par an.
À côté de ce chèque qui représente « 21 jours du bénéfice d’exploitation de Google pour la seule boutique d’applications », Google a fait quelques concessions – extrêmement minimes, notent nos confrères de The Verge, ce mardi 19 décembre. Pour commencer, tous les engagements de Google contenus dans le règlement à l’amiable sont limités dans le temps, allant de quatre à sept ans – et pour rappel, ils sont bien limités au territoire américain.
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Google promet de simplifier le sideloading
Google s’engage ainsi à autoriser et à simplifier ce qu’on appelle le chargement latéral ou « sideloading », qui permet de charger une application autrement que via le Play Store, pendant sept ans. Aujourd’hui, lorsque vous essayez d’installer une app en dehors du Play Store – comme lorsque vous téléchargez une app sur votre téléphone directement à partir du site Web d’un développeur – une pop-up apparaît. Elle indique : « Pour votre sécurité, votre téléphone n’est actuellement pas autorisé à installer des applications inconnues provenant de cette source. Vous pouvez le modifier dans les Paramètres ». Il faut alors se rendre dans ses réglages et autoriser l’option « Installer des applications inconnues » pour arriver à ses fins. Désormais, l’utilisateur américain n’aurait plus à activer ce changement latéral.
Le message suivant s’affichera : « Votre téléphone n’est actuellement pas configuré pour installer des applications à partir de cette source. Si vous autorisez cette source à installer des applications, votre téléphone et vos données risquent d’être endommagés » – un message qui ne peut qu’inquiéter l’utilisateur, même s’il s’agit d’une « source » officielle d’un développeur. Le règlement précise aussi, et c’est une bonne nouvelle, que Google ne pourra pas « introduire une complexité matérielle ou une charge supplémentaire » si une application a été chargée autrement que sur Google Play.
Un système de facturation alternatif possible pendant cinq ans
De même, et cette fois pendant cinq ans, Google laissera les développeurs proposer un système de facturation in-app alternatif à Google Play. En novembre 2022, Google avait fini par lancer aux États-Unis un projet pilote permettant aux développeurs d’utiliser d’autres méthodes de paiement pour les achats in-app. La société annonce dans un billet de blog, ce mardi 19 décembre, qu’il sera étendu dans tout le pays. Les développeurs auront aussi la possibilité d’afficher les différents coûts d’un achat dans l’application en fonction de la méthode de facturation choisie par le client.
D’autres engagements temporaires ont été pris, comme le fait de ne pas obliger les entreprises à placer exclusivement Google Play sur un téléphone sous Android ou sur son écran d’accueil (pendant cinq ans). Le géant du numérique n’exigera pas non plus de donner son accord si un fabricant de smartphones installe une boutique d’application tierce… encore pendant cinq ans.
Mais certains engagements, qu’on attendait, n’ont pas été pris, souligne The Verge. « Google n’est, (par exemple), pas tenu d’autoriser les développeurs à inclure des liens qui amènent un utilisateur à effectuer un achat en dehors d’une application distribuée par Google Play », détaille le règlement. Traduction : Netflix ne pourra pas par exemple utiliser un lien vers son propre site Web, afin d’offrir à ses utilisateurs un tarif réduit. L’autorisation des liens et des boutons vers des systèmes de paiements alternatifs ne semble pas non plus faire partie des engagements de Google – or ces moyens faciliteraient l’accès de ces alternatives aux utilisateurs de smartphones.
Est-ce réellement une victoire pour les consommateurs américains ?
Pour les États qui attaquaient Google, ce règlement est, malgré tout, une véritable victoire pour les consommateurs. « Nous avons intenté cette action en justice parce qu’il est illégal d’utiliser un pouvoir monopolistique pour faire monter les prix et limiter le choix des consommateurs », rappelait Phil Weiser, procureur général du Colorado, dans un communiqué publié avant la publication du contenu de l’accord. D’autres estiment que petit à petit, la mainmise de Google (et d’Apple) sur leurs magasins d’applications est en train de s’amoindrir.
Mais pour Corie Wright, vice-présidente de la politique publique chez Epic Games, l’accord trouvé et le versement des 700 millions de dollars n’apporteront « aucun véritable soulagement » aux consommateurs. Ces derniers « continueront à payer trop cher les produits numériques en raison de la commission de 30 % pour la facturation Google Play (…). Les développeurs continueront également d’être limités dans la manière dont ils distribuent leurs applications. Les développeurs qui choisissent d’utiliser une option de paiement tierce seront forcés d’utiliser le système de “facturation au choix de l’utilisateur” de Google, au lieu d’avoir une liberté créative sur la conception de leurs systèmes de paiement », déplore-t-elle dans un article de blog du 19 décembre.
Désormais, écrit Epic Games dans son communiqué, il faudra chercher, à la place de ce type de compensation et de mesures temporaires, « des remèdes significatifs pour vraiment ouvrir l’écosystème Android ». Ce règlement amiable n’est pas définitif : il doit encore être approuvé par le juge américain James Donato début février. C’est ce même juge qui doit décider des mesures que Google doit concrètement prendre pour remédier aux différentes violations du droit de la concurrence jugées lors de l’affaire Epic Games / Google. Ses deux décisions seront scrutées de près : elles permettront réellement de mesurer à quel point Google est réellement contraint d’ouvrir son Play Store et son système de paiement sur Android.
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