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Numérique : quelles sont les propositions des principaux partis en lice pour les européennes ?

Malgré certaines disparités, la transformation numérique affecte l’ensemble des pays européens. Ce qui fait des nouvelles technologies un enjeu stratégique pour les élections du 26 mai 2019. Décryptage de 12 programmes au filtre du numérique. 

Neutralité du net, RGPD, réforme du droit d’auteur sur Internet, lois anti-trust, fiscalité des Gafa, cybersécurité, directive de protection des lanceurs d’alerte… De règlement en règlement, l’Union Européenne s’est imposée comme l’entité régulatrice du numérique dans l’espace communautaire.

Du 23 au 26 mai, tous les citoyens européens sont appelés à choisir les nouveaux 751 députés qui siégeront à Strasbourg. Parmi lesquels, 79 Français -4 sièges supplémentaires à cause du Brexit- qui seront élus lors du scrutin à un tour, dimanche 26 mai. À l’heure du renouvellement de l’hémicycle européen, la question du numérique est un des enjeux prioritaires pour les cinq ans à venir.

Pour y voir plus claire, nous avons donc comparé et classé les 11 premières listes françaises** – selon le sondage en « temps réel » de l’IFOP – en fonction de leurs propositions relatives au numérique, de ceux qui paraissent les plus avertis dans ce domaine à ceux qui le sont moins.
Nous avons décidé, néanmoins, d’étudier les propositions du Parti Pirate, dont la spécificité est de faire du numérique la colonne vertébrale de son programme, malgré les 0,4% d’intentions de vote.
Découvrez ci-dessous notre mise à plat de ces 12 programmes politiques au travers du prisme technophile et selon leur positionnement vis-à-vis de l’UE.

Ils sont euro-technophiles

Ils en sont certains, le numérique est un enjeu primordial et son périmètre d’action politique est européen. Ils tendent à des degrés différents vers une vision fédéraliste de l’Europe.

Parti Pirate : le numérique à l’abordage de l’UE
Au contraire des autres partis, les propositions pirates sont essentiellement… numériques. Se revendiquant pro-européens, les Pirates s’opposent aux dernières directives européennes relatives au numérique. Outre la réforme du droit d’auteur, ils s’opposent à la collecte systématisée des données qui servent à la surveillance de masse comme le règlement e-Privacy ou encore l’obligation de l’enregistrement des empreintes digitales pour tous les citoyens européens.

Les Pirates exigent, par ailleurs, une meilleure application du RGPD. De plus, ils fustigent les directives de limitation des contenus sur le Web, « sous couvert de la lutte contre le terrorisme ». Plus généralement, ils veulent inscrire le droit à la « participation numérique » dans la Charte européenne des droits fondamentaux, garantissant la neutralité du net et le droit à l’anonymat sur Internet. Concernant les droits numériques, ils souhaitent également donner le droit d’asile aux lanceurs d’alerte.

Enfin, la liste pirate propose la création d’un traité de « guerre électronique » répertoriant toutes nouvelles armes issues de la « révolution numérique ».

Lire ici l’intégralité du programme. 

Europe Écologie Les Verts (EELV) : la technologie verte

La liste menée par Yannick Jadot consacre un volet entier de son programme au numérique, intitulé « Qu’est-ce qu’on attend pour mettre le numérique au service des libertés ? ». Il est élaboré autour de quatre axes essentiels : l’accès et l’autonomie de chacun sur la Toile, la régulation des géants extra-européens, le numérique comme moyen pour lutter contre le changement climatique et la double protection des citoyens et d’Internet.

Parmi les 27 propositions, une attention particulière est accordée à la lutte contre l’illectronisme et l’enseignement avec, par exemple, la proposition d’un « plan d’éducation à la grammaire des images, son, information » pour les Européens, dont le financement sera tiré d’une taxation des Gafam.

Les Verts proposent également une série de mesures pour conjuguer numérique et changement climatique : lutter contre l’obsolescence programmée, optimiser le cycle de vie des données et la répartition des data centers, miser sur le recyclage électronique et développer les smart grids dans les villes européennes. 

Lire ici l’intégralité du volet numérique

Parti Communiste Français (PCF) : le « communisme 2.0 »

La tête de liste du PCF, Ian Brossart s’est fait remarquer sur l’aspect numérique, ce qui lui a valu d’être surnommé le « Communiste 2.0 ». Et pour cause, son programme contient 25 propositions pour une « Europe numérique humaine et indépendante » avant tout centrées sur la protection des travailleurs à l’ère du numérique. Entre autres, les communistes proposent un droit à la déconnexion, doublé -plus novateur- de celui à la dégéolocalisation, à savoir ne pas être traqué par des dispositifs électroniques. Ils veulent également proscrire tout travail sans aucun rapport humain, dans lequel l’employé serait toute la journée seul face à une machine.

La liste d’extrême gauche propose aussi de conjuguer écologie et numérique, en taxant les data centers installés sur le territoire européen. Au niveau sectoriel, ils souhaitent créer une plate-forme de coopération appelée « Industrie 4.0 » et une « Agence européenne dédiée au numérique » pour chapeauter cette filière communautaire.

Au niveau institutionnel, ils proposent la généralisation des logiciels libres et l’exclusion de cookies sur les sites officiels de l’UE. Seuls à le mentionner, les communistes veulent créer des synergies européennes dans les recherches sur l’informatique quantique.

Lire ici l’intégralité du volet numérique

Ils sont eurosceptiques… mais technophiles

Ils en sont certains, le numérique est un enjeu primordial, mais son périmètre d’action politique est national. Ils rejettent le cadre institutionnel européen actuel et ont une vision souverainiste de l’Europe -voire veulent quitter l’institution pour certains.

Les Patriotes et Gilets Jaunes : le Frexit d’abord, le numérique ensuite

Sur le volet numérique, les propositions abondent du côté de la liste menée par Florian Philippot. Résumées dans trois « cahiers d’agora » (des livrets thématiques qui alimentent le programme) les 48 propositions sont axées autour de trois grands thèmes : la France face au Gafam, l’IA et les bouleversements qu’elle entraîne -notamment dans le travail- et enfin, la cybersécurité. Attention, toutes ces propositions sont sous-tendues par la sortie prochaine de l’UE. 

Côté entreprise, les Patriotes proposent, par exemple, de mettre en place une politique protectionniste au profit des acteurs numériques français. Par exemple, baisser la TVA à 5% pour tous les produits technologiques «fabriqués en France».

Concernant les droits numériques, ils proposent d’établir une « citoyenneté numérique », en inscrivant le droit d’accès à Internet libre pour tous dans la Constitution française. Plus étonnant, enfin, la liste patriote envisage de soumettre par voie référendaire un traité « transitoire » pour lutter contre les cyberattaques, mais ce, avant de sortir de l’UE.

Intégralité des réflexions dans les « cahiers d’agora » [1] [2] [3].

Debout la France (DLF) : la souveraineté numérique avant l’Europe

Le cœur des 28 propositions numériques de Debout la France vise à assurer la souveraineté numérique, à l’échelle nationale en priorité. La liste de Nicolas Dupont-Aignan met en avant deux lanceurs d’alerte en deuxième et troisième place : Stéphanie Gibaud (UBS) et Jean-Philippe Tanguy (abus du droit extraterritorial américain).

Debout la France s’oppose ainsi à toute législation européenne qui sacraliserait le « secret des affaires ». Pour faire « ré-émerger » des champions français du numérique, le parti propose ensuite la renationalisation temporaire de grandes entreprises comme Orange et le rachat de Nokia-Alcatel. L’ambition souverainiste s’illustre également dans leur volonté de développer des logiciels souverainistes afin de garantir la sécurité de l’État en ligne.

Inédit dans cette campagne : la liste souverainiste propose le renforcement du crédit d’impôt pour soutenir la production de jeux vidéo en français, s’ils sont produits en France. Debout la France souhaite également l’émergence d’un « Netflix européen ».

Lire ici l’intégralité du manifeste.  

Ils sont pro-européens… mais pas obnubilés par le numérique 

Ces partis prônent une UE forte, mais ne font pas du numérique leur thématique primordiale. 

« Renaissance » (LREM, MoDem, Agir) : l’UE comme l’extension des ambitions gouvernementales sur le numérique

Le numérique occupe en ce moment beaucoup le gouvernement, et cela se répercute sur le programme de Nathalie Loiseau, désignée tête de liste par le président de la République. 14 propositions sur 79 traitent des thématiques numériques. Alors que la loi sur les mobilités est en débat à l’Assemblée, la liste « Renaissance » propose un plan de 1 000 milliards euros d’ici 2024 alloués à des transports propres, qui s’inscrit notamment dans le plan « Airbus des batteries électriques » annoncé récemment par Bruno Le Maire. Contrairement à cet élan fédéraliste, Renaissance prévoit, en parallèle, d’établir une préférence nationale pour le numérique « Made in France » pour favoriser les start-up de la French Tech.

Autre exemple qui suit les ambitions actuelles du gouvernement : pousser en faveur de l’adoption de la directive européenne sur la suppression des contenus haineux en moins d’une heure, qui s’inspire de la proposition de loi de Laetitia Avia étudiée en ce moment par l’Assemblée. 

Capitalisant sur le succès du RGPD, la liste Renaissance veut aussi ouvrir le débat sur un modèle d’impôt minimal des multinationales à l’échelle de la planète. Outre l’aspect financier, elle souhaite également initier une réflexion sur un « statut juridique propre » au mastodontes du Net. Enfin, la liste soutenue par Emmanuel Macron suggère également la mise en place d’un « parcoursup » européen pour candidater aux 20 nouvelles universités de l’UE, qu’ils proposent de créer. 

Lire ici l’intégralité du programme [PDF].

Envie d’Europe (PS, Nouvelle Donne et Place Publique) : le numérique au service d’une « Europe sociale »

Alliée au Parti Socialiste, la liste menée par Raphaël Glucksmann est articulée autour de deux axes : l’un social et l’autre écologique. Le programme est constitué de 199 propositions, dont sept traitent des questions numériques.

Concernant les travailleurs des plates-formes, Envie d’Europe propose le vote d’une directive pour réglementer ces « nouvelles formes de travail ». Ce cadre social européen serait complété par l’établissement d’un « parcours éducatif universel » pour tous les élèves européens grâce à une plate-forme de mise en relation entre les pays volontaires.

À propos de la constitution du marché numérique, les candidats socio-démocrates suggèrent une taxation des Gafam « au même titre que les PME » et de réfléchir à leur démantèlement – séparer leur activité support (moteur de recherche) des activités marchandes (ventes de données).
Sur l’aspect cybersécurité, ils souhaitent la réforme de l’Agence européenne de défense pour relever les « défis » numériques et faire de l’UE une pionnière du droit international pour cadrer les nouvelles formes de menaces dans un traité.

Lire ici l’intégralité du programme [PDF].

Printemps européen (Génération.s et DiEM 25) : vers l’Europe fédérale, qui régule le numérique
Le programme défendu par Benoît Hamon est inédit car il est le seul à dépasser le cadre français. Écrit grâce à une consultation citoyenne en ligne, il est rigoureusement le même dans 11 autres pays membres. Cette vision fédéraliste de l’UE sous-tend toutes les propositions du « Printemps européen ». Sur les 21 engagements mis en avant pendant la campagne, trois propositions ont trait au numérique.

Point phare du programme : la mise en place d’une « taxe robot » pour déplacer l’assiette de cotisation traditionnelle vers la valeur ajoutée créée par les machines. Un pas « inéluctable » vers l’établissement d’un système fiscal au niveau communautaire, pour éviter le dumping fiscal effectué par les géants du Net.

Cette uniformisation ne sera pas que fiscale puisqu’elle veut s’étendre à l’industrie, notamment dans le domaine du numérique. Créer une filière communautaire du numérique pour faire émerger un « Google européen », en ciblant les investissements R&D. En outre, ils proposent le développement d’un « socle numérique pour chaque citoyen » européen pour lutter contre l’illectronisme. 

Lire ici l’intégralité du programme [PDF].

Les Européens (UDI) : un « droit de propriété » sur les données des utilisateurs européens

Sur les cinq grandes propositions numériques – parmi les 37 qui composent le programme, la mesure phare portée par l’UDI est l’établissement du droit de propriété sur les données personnelles.

Ce concept implique la valorisation financière des informations individuelles regroupées sur Internet. Deux scénarios sont évoqués : le premier envisage que les services deviennent payants, ce qui interdirait la marchandisation des données par les grandes entreprises du web. Le second scénario voit les plate-formes rémunérer les utilisateurs si elles utilisent leurs données. En raison de la variabilité de la valorisation financière des données, les Européens de la liste UDI n’évoquent pas de prix contre un ensemble de données. Concernant leur stockage, ils veulent obliger les entreprises à s’assurer que les données ne quittent pas l’UE. 

Au niveau sécuritaire, les centristes souhaitent la création d’une cyberarmée pour lutter ensemble contre les nouvelles formes d’attaques. Enfin, plus étonnant : l’UDI propose un quota de 40% d’œuvres européennes sur des plates-formes comme Netflix.  

Lire ici l’intégralité du programme [PDF].

La France Insoumise (LFI)** : les Gafam, ennemis publics numéro 1

Dans le programme fourni – 182 propositions – de la liste menée par Manon Aubry, neuf évoquent les problématiques numériques.

La priorité absolue est accordée à la régulation de ce que la France Insoumise appelle la « colonisation » des Gafam. Les candidats rejettent la taxe Gafam portée par le gouvernement français (calquée sur le modèle européen), et proposent à la place un système de taxation « ventilé » selon les bénéfices par pays des géants du Net.

Les Insoumis veulent protéger les industries stratégiques à l’échelle européenne, notamment les télécommunications et le numérique. Par ailleurs, de leur point de vue, le RGPD ne va assez loin. Pour lutter contre la « prédation » des données personnelles, ils brandissent l’interdiction de tout export hors de l’UE et de toute marchandisation de leur collecte. Enfin, les Insoumis refusent tout partenariat public avec les Gafam et prônent l’utilisation de logiciels libres dans les administrations communautaires. 

Lire ici l’intégralité du programme [PDF].

Le numérique n’est pas leur priorité

La priorité est de repenser l’UE. Dans ce cadre-là, le numérique n’est pas la thématique primordiale. Ils tendent à des degrés différents à une vision souverainiste de l’Europe.

Union de la droite et du centre (LR et Les Centristes)** : de maigres propositions numériques

La liste menée par François-Xavier Bellamy, soutenue par Laurent Wauquiez, propose cinq propositions -assez vagues- qui ont trait au numérique sur 75 propositions. Elles ne semblent n’être que des pistes de réflexion. 

La première concerne l’utilisation d’outils numériques (sans préciser lesquels) pour transmettre « le sens de la civilisation européenne » aux élèves européens, dès le collège.

Ensuite, les candidats de droite proposent d’établir une liste dérogatoire de secteurs stratégiques, comme le numérique, pour contourner la politique de concurrence européenne considérée comme un frein à l’émergence de « champions européens ». Au même titre, ils  proposent également un plan Marshall Euro-Africain pour investir entre autres dans le numérique sur le continent africain.

Enfin, ils veulent « mettre en place une taxe d’égalisation des géants extra-européens du numérique », sans plus de précision sur le système fiscal imaginé.

Lire ici l’intégralité du programme [PDF].

Le Rassemblement National (RN)** : l’ « Europe des nations » sans numérique ?

Au coude à coude avec la liste Renaissance en tête des sondages, la liste Rassemblement national, soutenue par Marine Le Pen, n’aborde que vaguement les questions du numérique. La pierre angulaire du RN est de transformer en profondeur l’UE au profit d’une «Alliance» des nations, en supprimant notamment la Commission européenne. 

Il est difficile de trouver des propositions relatives aux nouvelles technologies au fil des 76 pages du manifeste porté par Jordan Bardella. Quand la problématique est soulevée, les propositions sont assez globales, voire fourre-tout. Par exemple, la liste RN propose de renforcer le cadre national afin d’affirmer la souveraineté numérique de la France contre les cyberattaques, sans mesures précises.

Concernant l’exploitation des données personnelles, le parti suggère un contrôle renforcé et une garantie offerte aux citoyens sur leur utilisation, par un renforcement du RGPD,  sans précision là encore. Une piste originale évoque l’idée d’utiliser les nouvelles technologies pour relocaliser les entreprises sur le territoire national, sans expliquer comment. 

Lire ici l’intégralité du manifeste [PDF].

* Le classement pris en compte a été établi le 13 mai 2019.

** Contactés par 01net.com, ces partis n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

*** Les thèmes comparés dans ce tableau ont été choisis selon leur récurrence dans les douze programmes analysés. Certaines propositions ont été retenues pour leur aspect novateur. Ce tableau étant une synthèse, les catégories de propositions sont volontairement généralistes. Les partis ont été classés par ordre d’apparition dans l’article ci-dessus.

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Marion SIMON-RAINAUD