Les fournisseurs de contenu sur le web s’acheminent peut-être vers des jours moins roses. Depuis quelques années, ils s’écharpent avec les opérateurs télécoms sur une question cruciale : qui doit payer pour l’acheminement de leurs données ? La semaine dernière, Tom Wheeler, nouveau président du régulateur télécoms américain (Federal Communications Commission, FCC), a provoqué un petit séisme en affirmant dans un discours qu’il n’était pas impossible qu’à l’avenir « des acteurs tels que Netflix paient pour que les abonnés puissent jouir d’une transmission la meilleure possible ». Jusqu’à présent, la FCC était opposée à ce type de relation commerciale, estimant que cela introduirait une discrimination de certains acteurs par rapport à d’autres.
Ce message a été reçu cinq sur cinq par les opérateurs, avec un sentiment de grande satisfaction. « Cette annonce est très importante, car elle préfigure la manière avec laquelle la FFC va désormais arbitrer les futurs conflits sur cette question. Cela va faire bouger les lignes dans ce pays », estime Alexandre Pébereau, directeur de l’activité « International Carriers » chez Orange. Mais pourquoi les opérateurs veulent-ils absolument faire payer les fournisseurs de contenu ? L’origine du problème se trouve dans la croissance exponentielle des données vidéo dans les réseaux de l’Internet.
La vidéo inonde la Toile
Aux Etats-Unis, YouTube et Netflix accaparent déjà plus de la moitié de la bande passante en période de pointe. En Europe, YouTube en squatte 28 %, contre seulement 3 % pour Netflix. En effet, ce dernier n’a encore qu’une présence marginale sur le Vieux Continent, mais une montée en puissance est prévue (notamment en France). Face à ces fournisseurs de services gloutons, les opérateurs ont l’impression d’être les dindons de la farce et de devenir petit à petit les soutiers du web. « En peu de temps, ces acteurs de l’Internet sont devenus des géants, beaucoup plus riches et globaux que les opérateurs qui les servent », souligne Alexandre Pébereau.
Pour contrecarrer cette tendance, les opérateurs sont entrés dans un mode de résistance passive. Quand les flux vidéo deviennent trop importants, ils refusent d’ajouter des capacités, ce qui entraine des effets de saturation. Côté utilisateur final, les services deviennent rapidement indisponibles. Aux Etats-Unis, l’opérateur Verizon est actuellement dans une telle guerre des tranchées face à Cogent, un opérateur dit « de transit » qui véhicule les flux de Netflix. En France, Free a adopté une attitude similaire pour faire plier YouTube.
Premières victoires
Cette stratégie du pourrissement n’est pas dénuée d’un certain succès. Une passe d’armes a eu lieu en 2010 entre Comcast et Level3, qui achemine les flux de Netflix. Un accord a été renégocié cette année, au profit de Comcast. En 2011, Orange a fermé le robinet à Cogent qui faisait passer des flux issus des serveurs de Megaupload. Cogent a porté plainte, mais c’est Orange qui a gagné. En 2012, l’Autorité de la concurrence a jugé que l’opérateur historique était dans son droit et pouvait réclamer le paiement d’une augmentation des capacités si les flux entrants sont trop importants par rapport aux flux sortants.
En effet, l’interconnexion entre les opérateurs s’effectue généralement selon des accords dits de « peering » : à partir du moment où les échanges de flux sont plus ou moins équilibrés, pas la peine d’exiger quelconque paiement. Cette façon de faire à la fois flexible et non formelle a permis à l’internet de se déployer très rapidement sur la planète. C’est donc une caractéristique essentielle du web. « Au début, le peering était gratuit. Mais depuis quelques années, les échanges deviennent tellement asymétriques que ce n’est plus tenable », précise Alexandre Pébereau. Conforté dans sa stratégie par l’Autorité de la concurrence, Orange fait désormais payer le peering si les flux entrants sont 2,5 fois plus importants que les flux sortants. Et ça marche. Même Google crache au bassinet de l’opérateur historique.
Quelles conséquences pour l’utilisateur final ?
Cette situation est loin de plaire aux organisations représentatives des éditeurs et fournisseurs de contenu. Celles-ci estiment que la multiplication de ces paiements croisés va nuire à l’innovation. « Internet doit rester un espace d’innovation économique et social parfaitement ouvert. Un internet à péage favorisera les grands acteurs qui seront les seuls à pouvoir payer », expliquer Loïc Rivière, délégué général de l’Afdel, avant d’ajouter : « Si les utilisateurs achètent des abonnements Internet, c’est en particulier parce qu’ils veulent accéder aux services des fournisseurs de contenu. En réalité, les FAI ne vendent pas seulement des accès à un réseau, mais surtout des accès aux services de YouTube, Dailymotion, Netflix, etc. Il n’y a donc pas lieu à faire payer cet accès aux deux faces du marché [utilisateurs finals et fournisseurs de contenu, ndlr].»
Quoi qu’il en soit, les opérateurs semblent désormais avoir le vent en poupe et se retrouver en position de force vis-à-vis des fournisseurs de contenu. Le problème, c’est que cela pourrait se faire au détriment des utilisateurs finals. Le fournisseur de contenu qui sera contraint de contribuer au financement des opérateurs, aura envie de répercuter ce surcoût quelque part. Et ce sera peut-être sur le consommateur en bout de chaine.
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