A 36 ans, Mark Shuttleworth a réalisé ce dont plus d’un homme rêve. Il est multimillionnaire et s’est offert, en 2002, un voyage dans l’espace à bord de Soyouz. Aujourd’hui, ce Sud-Africain est également célèbre pour le rôle qu’il a joué dans le monde de l’open source. On lui doit le projet Ubuntu (lancé en 2004 à travers la société Canonical), qui a donné naissance à l’une des distributions Linux les plus appréciées à travers le monde.
Il était à Paris pour la plus importante Ubuntu Party (*) jamais organisée en France. Cette manifestation d’évangélisation du grand public, dans le but de le convertir à Linux, s’est tenue les 28 et 29 novembre à la Cité des sciences et de l’industrie à la Villette. Entretien.
01net. : Pour quelles raisons avez-vous lancé le projet Ubuntu, en 2004 ?
Mark Shuttleworth : Sur un plan personnel, j’avais trois motivations principales. L’une d’elles était la philanthropie. Je pensais, et je le pense toujours, qu’il est possible de rendre la technologie accessible au plus grand nombre, pas seulement pour la Nasa ou Wall Street, mais aussi pour l’éducation dans les pays pauvres. Je crois que ce futur est possible et je voulais apporter ma pierre à l’édifice.
Bien entendu, j’avais aussi une motivation d’ordre financier. Mais, plus que le simple investissement, ce qui m’a intéressé avec l’open source est l’alternative qu’il représente face au modèle classique des logiciels vendus en licence. Il y avait beaucoup d’innovation au niveau du modèle économique. En tant que business man, cela m’a beaucoup motivé.
Enfin, la troisième raison d’être d’Ubuntu était de proposer une plate-forme couvrant une grande variété d’usages et qui soit accessible aux plus novices. Ce sont ces trois raisons, d’importance équivalente, qui m’ont poussé à fonder Ubuntu. Je cherchais un projet qui soit un vrai challenge pour moi et qui, s’il était une réussite, aurait un impact fort sur le marché.
Quelles sont aujourd’hui les bases de votre modèle économique ?
Nous avons une multitude de sources de revenus. Par exemple, dans la prochaine version d’Ubuntu [Ubuntu 10.04, attendu pour avril, NDLR], nous allons proposer une plate-forme de type music store Elle permettra, nous l’espérons, d’accéder à un vaste catalogue de morceaux d’EMI, de Sony ou d’Universal, avec qui nous sommes en cours de discussion. D’un point de vue financier, nous toucherons une petite commission sur les ventes de ces morceaux.
Aujourd’hui, les fabricants de PC nous payent pour les aider à faire en sorte que leur matériel fonctionne parfaitement avec Linux. Nous proposons aussi des services payants aux entreprises autour d’Ubuntu, dont le support technique, avec des partenaires. Notre modèle économique est une combinaison de tout cela et reste en constante évolution.
En juin dernier, vous avez signé un contrat avec Google pour participer au développement de Chrome OS. Quel est le rôle exact de Canonical dans ce projet ?
Nous jouons un petit rôle dans le développement de l’infrastructure de Chrome. Nous apportons à Google notre expertise technique dans le développement d’OS Linux, et il nous paye pour cela.
N’y a-t-il pas un risque que Chrome concurrence Ubuntu ?
Chrome demeure un produit Google, qui correspond à sa propre vision de l’univers des technologies de l’information. Son objectif est de permettre un accès plus rapide et mieux sécurisé à Internet et aux services en ligne. Si accéder au Net est tout ce que vous voulez faire avec un ordinateur, alors Chrome sera la meilleure solution pour ce type d’usage.
Il ne s’agit donc pas d’un concurrent direct pour Ubuntu, dont les usages sont bien plus larges. De plus, je vois dans l’arrivée de Chrome OS des répercussions très positives pour Ubuntu. Ce sera une nouvelle raison pour que les fabricants de PC fassent en sorte que leur matériel fonctionne avec Linux. Plus les fabricants feront figurer dans leurs contrats que leurs machines doivent pouvoir accueillir Linux, plus ce sera positif pour nous. Si un PC est prêt pour Linux, il est prêt pour Ubuntu.
Windows Vista n’a pas suscité une forte adhésion du public, et bon nombre d’utilisateurs ont cherché des alternatives. Pourquoi cela n’a-t-il pas plus profité à Linux ?
Il est vrai que Linux n’a pas assez profité de l’échec de Vista. S’il avait été prêt à être utilisé par n’importe qui, même les plus novices, alors nous aurions bénéficié davantage de la situation. Nous continuons à travailler en ce sens.
Ce qui est positif, c’est que nous faisons des progrès constants. Linux devient de plus en plus abordable et intéresse de plus en plus d’utilisateurs. Et la porte ouverte par Vista n’est pas encore fermée. Beaucoup d’utilisateurs se sont effectivement demandé s’il n’y avait pas d’alternative à Windows. Et l’effet de ce questionnement est encore palpable.
L’arrivée de Windows 7 ne va-t-elle pas effacer l’échec de Vista ?
Windows 7 est un meilleur OS que Vista. Mais c’est toujours Windows, toujours cette vieille façon d’aborder la technologie. Je reste convaincu que Linux et son modèle de développement open source offrent plus d’avantages en termes d’innovation, de performances ou de sécurité. Et chaque jour de plus en plus d’utilisateurs s’en rendent compte.
(*) Cette manifestation a pour objectif de faire découvrir au grand public toutes les facettes du logiciel libre à travers une série de conférence. Des ateliers permettent également aux utilisateurs d’installer Ubuntu sur leur PC et de s’initier au fonctionnement de ce Linux.
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