C’est un petit séisme technico-légal qui pourrait remuer le monde des smartphones. Le britannique ARM, qui conçoit le jeu d’instruction et les grandes lignes de la structure des puces qui animent la majorité de nos appareils mobiles, veut changer de modèle de licence. Et ça pourrait nous coûter cher.
Consoles de salon et PC Intel et AMD mis à part, l’écrasante majorité des appareils électroniques autour de vous sont propulsés par des processeurs utilisant différentes versions de cœurs CPU dit « ARM ». Sise à Cambridge, au Royaume-Uni, ARM ne construit pas de puce, mais vend des plans et des outils pour permettre à d’autres de concevoir leurs propres puces. Ces « autres », vous en connaissez beaucoup : ce sont Apple, Qualcomm, MediaTek, Unisoc, Broadcomm ou encore Nvidia. Autant d’acteurs qui utilisent les plans d’ARM sur lesquels s’appuient tout ou partie de leurs puces. Ces plans, ARM les fait payer évidemment. Mais l’anglais fait aussi payer une commission sur chaque puce vendue. Un modèle de business établi, qui voit ARM récupérer de 1 % à 2 % de la valeur de chaque puce vendue.
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Seulement voilà, ARM voudrait plus d’argent. Et a décidé pour cela de changer son mode de licence en profondeur pour prendre sa part sur la valeur finale du téléphone. En effet, à l’heure actuelle, les licences sont octroyées à un tiers comme Qualcomm. Celui-ci produit ou fait produire ses puces, les vend et paye, sur cette vente, les redevances négociées avec ARM. Ce qui représente finalement assez peu de la valeur d’un smartphone : selon le Financial Times, le prix moyen d’une puce Qualcomm serait de 40$ (17$ pour MediaTek et 6$ pour Unisoc). Ce qui ne ferait que 40 cents dans la poche d’ARM pour la moyenne des terminaux vendus (les puces très haut de gamme comme le Snapdragon 8 Gen 2 coûtent souvent plus de 100$).
Avec un prix de vente moyen de 335$/€ en 2022, même un passage à 0,5 % de la valeur du terminal permettrait à ARM de dégager bien plus de marges. Et c’est là que nous pourrions passer à la caisse : il semble logique que les constructeurs, qui sont en première ligne et dégagent moins de marge que les fournisseurs de puces, seront forcés de répercuter ce supplément. Ce d’autant plus qu’ils devraient, si ARM arrive à ses fins, montrer patte blanche.
ARM veut plus de contrôle sur l’écosystème
Le modèle de licence qu’ARM souhaite désormais adopter lui offrirait plus de contrôle sur qui vend quoi à qui. Jusqu’à présent, le concepteur de puce payait les redevances à ARM et on n’en parlait plus. Dans son nouveau plan, ARM fait uniquement payer les plans à Qualcomm et aux autres, mais il les oblige à ne vendre leurs puces qu’aux constructeurs qui ont contrat avec ARM. Ce afin qu’ARM puisse aller récupérer sa dime.
Plusieurs problèmes se dressent sur la route d’ARM. Tout d’abord, il est en conflit avec son principal client Qualcomm qui dénonçait déjà ce changement de licence et qui conteste son interdiction d’utiliser ses propres cœurs CPU.
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Ensuite, selon nos confrères du Financial Times, les constructeurs de smartphones ne sont pas contents. Et un acteur chinois aurait déjà refusé les nouvelles clauses d’ARM. Finalement, comme nous le verrons plus loin, ce changement de licence s’apparente une forme de clé de bras qui pourrait avoir un impact moyen terme mauvais pour ARM.
La question qui vous brûle les lèvres est peut-être de savoir pourquoi ARM agit de manière aussi brutale. S’il est tout à fait concevable qu’une entreprise souhaite améliorer sa rentabilité, la réalité est que son action fait grincer des dents toute l’industrie. En partie parce qu’il ne s’agit pas d’une simple amélioration de livret comptable. Mais d’une rapide recherche de grosses marges pour un intérêt particulier…
ARM a besoin d’argent pour… être mieux vendu !
Cette recherche d’une rentabilité qui fait courir le risque moyen et long terme d’une accélération du développement d’alternatives à ARM (comme RISC V) ne tombe pas du ciel, mais provient d’un échec dont vous avez sûrement entendu parler : celui de la vente d’ARM à Nvidia. ARM n’est en effet pas un acteur indépendant : il a été racheté au japonais Softbank en 2016 pour la coquette somme de 32 milliards de dollars.
Dirigé par l’insatiable Masayoshi Son, le groupe d’investissement nippon (et saoudien) se préparait à faire une jolie culbute en 2021 quand il annonçait son accord de revente à Nvidia pour 40 milliards de dollars. Un accord commercial qui a explosé en plein vol en 2022 à la suite de plusieurs enquêtes des différentes autorités de la concurrence, à la fois au Royaume-Uni, en Europe ou aux USA. En cause : la mainmise qu’aurait un acteur non neutre (Nvidia, un vendeur de puces) sur un acteur jusqu’ici neutre et vendant des plans à tout le monde (ARM).
Outre une rentabilité en berne avec une hausse des coûts internes, qui peuvent tout à fait expliquer une recherche d’amélioration des performances, ce que M. Son et Softbank recherchent aussi, c’est améliorer la valorisation d’ARM. Si, comme le soulignent certains acteurs de l’industrie, les redevances pourraient être multipliées de manière significative, la position quasi monopolistique et une rentabilité améliorée d’ARM lui confèrerait plus de valeur. Qui oscillerait entre 40 milliards (coût initial de rachat par Nvidia) et 70 milliards de dollars.
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Or, SoftBank a cramé beaucoup d’argent ces dernières années dans des investissements infructueux – 42 milliards au premier semestre 2022, dans des sociétés comme WeWork. Le fonds d’investissement a donc besoin d’argent frais et la vente de tout ou partie d’ARM lui permettrait de largement renflouer les caisses. Si on parle de « tout ou partie » c’est que selon les dires de la direction de SoftBank, le groupe pourrait conserver le contrôle d’ARM en conservant la majorité des actions.
Si le changement de type de licence pourrait, sur le papier, permettre à ARM à d’améliorer sa rentabilité et d’être plus « sexy » lors d’une revente, sur le moyen terme de coup de force pourrait être un coup d’accélération supplémentaire à RISC V. Une architecture processeur concurrente ouverte.
Un sabordage sur le long terme ?
ARM est tellement omniprésent dans les appareils au travers non seulement des complexes microprocesseurs, mais aussi des microcontrôleurs (bien plus simples), que le jeu d’instructions ne va pas disparaître du jour au lendemain. Mais cela n’empêche pas à son alter ego RISC V de se développer… de plus en plus vite.
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Alter ego, car basé lui aussi sur des instructions RISC très simples, RISC V est pourtant très différent d’ARM dans le système de gouvernance. Parce qu’il s’agit non pas d’une entreprise, mais d’une fondation sise en Suisse. L’argent dont RISC V dispose provient des sponsors. Et, ô surprise (non), on retrouve des acteurs d’importance parmi ceux-ci comme… Qualcomm, Huawei ou Andes technology, de grands noms du monde ARM qui commencent tous à coopérer pour formaliser et renforcer ce jeu d’instructions. Qui permet à chaque partenaire de s’emparer de l’architecture et d’en faire ce qu’il veut pour, par exemple, vendre ses propres cœurs à d’autres – c’est que fait SiFive qui a vendu ses cœurs CPU à la Nasa par exemple.
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De la variété des cœurs à la maturité des écosystèmes (conception, logiciels, etc.), ARM est pour l’heure très loin devant RISC V. Mais alors que RISC V n’était vu que comme une petite architecture alternative, les champs d’application dans laquelle elle est citée ne fleurissent plus : ils explosent. IA, centres de données, espace, etc. Ce n’est plus qu’une question de temps (et d’argent) pour qu’elle se développe. Et chaque « mauvais coup de pub » d’ARM semble à chaque fois amplifier l’accélération de RISC V. L’amélioration de la rentabilité du groupe britannique ne sera-t-elle qu’un passage avant la chute ?
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Source : Financial Times