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Des réseaux sociaux coupés en cas d’appel à la révolte ? Après la lettre ouverte des ONG, Thierry Breton publie une « clarification »

Le 10 juillet dernier, Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, avait affirmé que les plateformes en ligne devaient supprimer immédiatement tout contenu haineux ou appelant à la révolte, sous peine d’être interdites dans l’UE, en raison du règlement européen sur les services numériques, le DSA. Cette déclaration avait suscité l’inquiétude d’ONG, qui ont demandé au Commissaire européen, dans une lettre ouverte, de publier un démenti. Ce dernier leur répond : une telle mesure ne pourra, en effet, être décidée qu’après une (très) longue procédure, et seulement en dernier recours, pour les cas les plus extrêmes.

Les plates-formes en ligne pourront-elles, oui ou non, être interdites en Europe, parce qu’elles n’auraient pas supprimé des messages contenant des appels à la révolte ? Moins de 24 heures après la demande de démenti de 67 ONG et associations, Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur a publié jeudi 27 juillet une longue réponse, décrivant dans quelle situation un réseau social pouvait être temporairement débranché en Europe selon le règlement européen sur les services numériques (le Digital Services Act ou DSA). « L’Europe défend la liberté d’expression et un internet neutre et ouvert », écrit le commissaire européen, avant de se lancer dans une longue et complexe explication du DSA et de ses garde-fous dont certaines dispositions permettraient, en bout de chaîne et après moult procédures, de rendre une plate-forme en ligne inaccessible sur le territoire de l’Union européenne.

La veille, 67 associations et ONG militant pour la liberté en ligne dont la Quadrature du Net, Internet sans frontières ou encore Mozilla avaient publié une lettre ouverte, mercredi 26 juillet. Elles demandaient directement à Thierry Breton que ce dernier clarifie ses propos du 10 juillet dernier, prononcés chez nos confrères de France Info – des propos qui avaient suscité une vive polémique.

La menace d’interdiction d’exploitation en Europe de Thierry Breton

Lors de cette interview, le responsable européen avait déclaré que les très grandes plates-formes comme Google ou TikTok, qui doivent appliquer le DSA dès le 25 août prochain, devraient supprimer « dans l’instant » tous les « contenus haineux ou qui appellent par exemple à la révolte, qui appellent à tuer des individus ou à brûler des voitures», sous peine d’être sanctionnées par une amende, et par « une interdiction d’exploitation sur le territoire » de l’Union européenne (UE). Le commissaire européen sous-entendait que si les réseaux sociaux ne supprimaient pas assez rapidement ou pas du tout ce type de contenus, ils pouvaient être rapidement exclus du marché européen.

De quoi susciter l’inquiétude des défenseurs des libertés en ligne : l’ONG Access Now a par exemple tenu à rappeler que « le DSA n’est pas un outil de censure ». La déclaration de Thierry Breton avait été faite à la suite de plusieurs jours d’émeutes en France. Pendant cette période, des images et vidéos de violences urbaines avaient été massivement diffusées sur TikTok, Snapchat et d’autres réseaux sociaux, après la mort du jeune Nahel. Le gouvernement français avait demandé aux plates-formes de supprimer de nombreux contenus, ce qu’elles avaient fait, mais pas de manière assez efficace pour le commissaire européen. Ce dernier expliquait qu’avec le DSA, le nouveau règlement européen, les choses seraient différentes, cela ne pourrait pas se reproduire. Peu avant cette déclaration, Emmanuel Macron avait, lui aussi, suggéré de bloquer les réseaux sociaux dans un tel contexte pour éviter les rassemblements, avant que la Première ministre, Elisabeth Borne, et le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, ne tempèrent ses propos.

Les coupures temporaires des plates-formes ne sont que des mesures de dernier recours, rappellent les ONG

Que disent les 67 ONG dans leur lettre ouverte ? Ces dernières déplorent les mots de Thierry Breton qui « pourraient renforcer l’instrumentalisation à des fins répressives des coupures d’internet, ce qui comprend le blocage arbitraire de plates-formes en ligne par des gouvernements du monde entier ». Or, ces coupures « ont de graves conséquences sur les droits de l’homme. Elles répondent rarement aux exigences fondamentales de nécessité et de proportionnalité » et restreignent le droit à la liberté d’expression, écrivent les associations signataires de la lettre. Pour la Quadrature du Net, signataire de la lettre, « les coupures d’internet sont une marque de fabrique des régimes autoritaires. L’UE ne peut pas prendre cette direction » tacle-t-elle sur son compte Twitter, mercredi 26 juillet.

Mais à côté de l’idée même de coupure d’un réseau social ou d’un service en ligne, les 67 ONG souhaitaient aussi rappeler que ces « restrictions temporaires d’accès aux services » des plates-formes en ligne, qui sont bien prévues par le DSA, ne sont que des « mesures de dernier recours ». « Elles ne peuvent être envisagées qu’en cas de non-coopération répétée et de non-respect du règlement ». Elles sont également « assorties de garanties procédurales importantes afin de respecter les normes internationales en matière de droits de l’homme », et sont prononcées sous le contrôle d’une ou des autorités judiciaires indépendantes, ajoutent-elles. Il ne s’agit donc pas d’une mesure qui peut être rapidement décidée, mais d’une sanction possible qui s’inscrit dans un temps long – à l’image d’une épée de Damoclès qui pourrait finir par tomber.

Les auteurs de la lettre demandaient aussi au commissaire européen de « confirmer que le DSA ne prévoit pas la possibilité de fermer des plates-formes en ligne (parce qu’elles n’auraient pas) supprimé des “contenus haineux”, comme le laissent entendre (ses) commentaires ». Les associations exigeaient également de la Commission européenne qu’elle vérifie que certains États membres, comme la France, n’appliquent pas le DSA « de manière trop large ». Dans leur viseur : le projet de loi français qui vise à sécuriser et à réguler l’espace numérique, qui impose un délai de 24 heures aux plates-formes pour retirer des contenus illicites. Le texte prévoit également un blocage des sites web, ce qui créerait des risques de censure de contenus licites, selon les ONG.

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Réponse de Thierry Breton : « L’Europe défend la liberté d’expression et un internet neutre et ouvert »

La réponse de Thierry Breton est tombée quelques heures plus tard, jeudi 27 juillet, dans une lettre adressée aux ONG et publiée sur Twitter par son conseiller en communication. S’il ne se prononce pas précisément sur le projet de loi français, le commissaire européen au Marché intérieur confirme certains points soulevés par les auteurs de la lettre ouverte. La coupure d’un réseau social n’est qu’une mesure adoptée en tout dernier recours, après une longue procédure, pour des cas extrêmes, décidée sous l’égide d’un juge, écrit-il en substance. Contrairement à ce qu’il sous-entendait pendant son interview du 10 juillet, l’interdiction est donc loin d’être une mesure immédiate, elle arrive seulement en toute fin de course.

Ce qui signifie que ni un gouvernement ni la Commission européenne ne pourraient ordonner, de leur propre chef, et arbitrairement, une fermeture d’une plate-forme en ligne. Le DSA prévoit bien toute une procédure à suivre, rappelle Thierry Breton. Une suspension temporaire ou une restriction de l’accès au service d’une plate-forme ne pourrait être décidée que dans « des situations extrêmes », « en dernier recours », « comme, par exemple, en cas d’incapacité systémique (de la plate-forme, ndlr) à mettre fin à des infractions liées à des appels à la violence ou d’homicide involontaire », écrit le commissaire européen.

« En cas d’infractions graves menaçant la vie ou la sécurité des personnes, la Commission européenne peut demander aux coordinateurs des services numériques (l’Arcom en France, ndlr) de solliciter des juges nationaux », rappelle-t-il. Ces tribunaux seront chargés de décider si la vie ou la sécurité des citoyens européens est menacée. L’appel à la révolte pourrait-il en faire partie ? Tout dépend de la manière dont cet appel est formulé, s’il vise une personne ou un groupe en particulier, du contexte dans lequel il s’inscrit, etc. En fonction de tous ces éléments, ces juges pourraient décider d’une restriction ou d’une interdiction temporaire d’accès à l’UE d’une très grande plate-forme en ligne ou d’un moteur de recherche, poursuit-il. « Dans tous les cas, les tribunaux auront le dernier mot », ajoute-t-il encore. Thierry Breton ne répond pas aux autres points soulevés par les ONG.

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L’appel à la révolte n’est pas forcément un contenu illicite

Contacté par 01net jeudi 27 juillet, un porte-parole de la Commission européenne a aussi rappelé la procédure qui pourrait conduire à une coupure temporaire d’une très grande plate-forme en ligne, prévue par le DSA. L’exécutif européen devrait d’abord ouvrir une enquête, et relever des cas de contenus illicites – ce qui pourrait être des cas de manipulation de l’information. Des appels à la révolte pourraient-ils rentrer dans cette catégorie, puisque c’était, à l’origine, le cœur du problème ? Difficile à dire, car cette notion de « contenu illicite » n’est pas définie dans le DSA, elle l’est par chaque État membre, en fonction de son droit national. En France, la loi du 29 juillet 1881 interdit bien l’apologie de crimes et l’incitation à la violence ou encore la provocation aux vols, aux destructions ou aux dégradations. L’appel à la révolte rentre-t-il dans ces catégories ? Cela reste à voir.

Quoi qu’il en soit, la procédure en question est loin d’être arrivée à son terme. La Commission européenne, après avoir relevé ces contenus illicites, devra constater que la plate-forme en question ne réagit pas à sa demande de suppression. À ce moment-là, la Commission et/ou les coordinateurs nationaux des services numériques « peuvent adopter des mesures provisoires pour prévenir les risques de dommages graves pour les utilisateurs ». Et ce n’est qu’en tout dernier recours que la Commission peut demander aux coordinateurs des services numériques (l’Arcom) de demander à des juges d’interdire temporairement l’accès de la plate-forme à l’UE, mais seulement en cas d’infractions graves et répétées menaçant la vie ou la sécurité des personnes.

Vous l’avez compris : le blocage temporaire d’une plate-forme en ligne est donc bien prévu par le DSA. Mais il s’agit d’une possibilité de sanction qui arrive en toute fin d’une longue procédure, avec l’intervention de plusieurs autorités (la Commission, l’Arcom, un juge) et seulement pour des cas extrêmes et répétés menaçant la vie ou la sécurité des personnes. En sachant que seul un magistrat serait habilité à le prononcer. Et que toute la procédure reposerait, ici, sur l’idée que l’appel à la révolte pourrait rentrer dans la catégorie de ces cas extrêmes… ce qui n’est vraiment pas évident.

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Source : Réponse de Thierry Breton du 27 juillet, publié sur le compte Twitter de son conseiller en communication


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