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Comment l’IA pousse les comédiens à vendre leurs voix pour l’éternité

Motherboard révèle que de nombreux acteurs de doublage sont de plus en plus poussés à vendre leurs voix aux intelligences artificielles, de manière à pouvoir créer de nouvelles performances avec… ou sans leur accord.

Et si le doublage se faisait intégralement grâce à l’intelligence artificielle à l’avenir ? Motherboard révèle que les acteurs de doublage subissent de plus en plus l’impact de l’IA dans leur travail. Les entreprises leur réclament en effet de revendre les droits d’exploitation de leur voix, de manière à pouvoir générer des performances sans avoir à passer par les comédiens… voire les remplacer intégralement. Et ce sans compensation supplémentaire, comme le note les syndicats et acteurs interrogés par le site.

Tim Friedlander, le président fondateur de la National Association of Voice Actors (NAVA) aux États-unis, alerte sur le fait que les clauses de contrats destinées à récupérer le droit de synthétiser la voix d’un acteur ou d’une actrice sont désormais « très prévalentes ». Les contrats eux-mêmes seraient faits pour noyer le poisson : « Les mots utilisés peuvent être ambigus et porter à confusion. De nombreux acteurs ont sûrement signé un contrat sans réaliser que de telles clauses ont été ajoutées. Nous avons aussi trouvé ces clauses dans des contrats pour des travaux de doublage non-synthétiques, qui donnent aux producteurs les droits de recréer la voix synthétiquement sans compensation ou validation. On dit même à certains acteurs qu’ils ne seront pas embauchés sans accepter ces conditions. »

Les acteurs de doublage contre l’IA

Évidemment, les acteurs de doublage eux-mêmes pourraient se retrouver avec moins de propositions d’emploi à l’avenir, sur un marché déjà difficile. SunWon Cho, aussi connu sous le nom de ProZD, s’inquiète d’un remplacement à venir : « C’est irrespectueux pour notre travail de suggérer qu’une performance générée ainsi est équivalente à celle d’un véritable être humain. Évidemment, vous pouvez faire en sorte que l’IA sonne comme la tonalité de ma voix, et peut-être même comme si elle transmettait une émotion, mais au bout du compte, elle sera toujours creuse et fausse. Aller sur ce terrain risque de faire croire aux gens que le doublage peut être intégralement remplacé par une IA, ce qui me retourne l’estomac. »

Plusieurs dangers sont soulignés par des gens de la profession. Sarah Elmaleh, qui a travaillé sur Halo Infinite et Fortnite, se penche sur la morale derrière l’utilisation d’une voix générée par l’IA : « Que se passe-t-il quand nous prenons joyeusement un rôle, et qu’à l’enregistrement, nous voyons une ligne particulière qui ne nous convient pas et exprimons notre désaccord ? Que se passe-t-il lorsque le producteur ne comprend pas ou n’accepte pas le sérieux de cette objection ? Normalement, nous pouvons refuser de lire une ligne ou bloquer son utilisation. Cette technologie contourne ça intégralement. »

Au-delà de ce fait, il y a également la compensation financière. Pour Fryda Wolff, qui a travaillé sur Apex Legends notamment : « Les développeurs de jeu, les studios d’animation, et peut-être même les commerciaux, pourraient récupérer plus de travail de ma part en fournissant ma voix aux IA, en utilisant ces œuvres générées, mais ne jamais me payer pour avoir utilisé mon image, ou même simplement prévenir mon agence que ce travail a été fait. »

C’est la plus grande inquiétude face à ce dossier : qu’arrivera-t-il à la profession face à ces performances générées par l’IA ? Pour Tim Friedlander de la NAVA, ce sont les petits acteurs qui en souffriront le plus : « Les acteurs de doublage cols bleus, du prolétariat, qui font leurs 35 heures et cherchent à se faire connaître. Ces emplois-là vont être perdus si l’on met l’intelligence artificielle en priorité et vont endommager une grande partie de l’industrie. »

Un marché en pleine évolution

Il faut voir que de nombreuses entreprises se tiennent prêtes à générer des voix grâce à leurs outils d’intelligence artificielle. Une simple recherche Google sur le « clonage de voix » fait ressortir de nombreux outils gratuits, disponibles pour tous en ligne. Derrière cette industrie naissante se cache un grand nom en particulier : ElevenLabs, des chercheurs qui se basent sur le modèle de langage GPT-3 — aussi utilisé par ChatGPT  — pour reproduire des voix. Un outil qui s’est particulièrement fait connaître lorsque les utilisateurs de 4chan ont utilisé sa technologie pour faire lire à la voix d’Emma Watson (Harry Potter) des extraits de… Mein Kampf. Depuis, l’entreprise a annoncé mettre en place des garde-fous et a changé son modèle économique pour éviter de tels abus.

Interrogé par Motherboard, le co-fondateur de l’entreprise Mati Staniszewski a plutôt mis en avant la collaboration entre l’IA et les acteurs de doublage : « Les comédiens de doublage ne seront plus limités au nombre de séances d’enregistrement auxquelles ils peuvent participer ou pourront plutôt offrir leurs voix sous licence pour usage sur de nombreux projets simultanément, de manière à créer de nouveaux revenus et droits d’auteurs. Ce potentiel a déjà été reconnu par les acteurs eux-mêmes, dont une petite douzaine nous a déjà montré leur intérêt pour ce genre de partenariat. »

L’un de ceux-ci est Lance Blair, un acteur de doublage non-syndiqué qui est majoritairement focalisé sur les publicités et les conférences vidéo. Il a déclaré à Motherboard : « Malgré les doutes valides de mes collègues que je partage, j’ai embrassé cette technologie pour m’aider à m’entendre moi-même comme les autres le peuvent et explorer de nouvelles manières d’approcher mes textes. »

L’occasion pour Tim Friedlander d’expliciter : « NAVA n’est pas contre les voix synthétiques ou l’usage de l’intelligence artificielle, nous sommes avant tout du côté des comédiens de doublage. Nous voulons nous assurer que les acteurs de doublage sont activement et équitablement inclus dans l’évolution de notre industrie et ne perdent pas leur contrôle ou leur habilité d’être proprement payé pour leur travail et leur talent. »

Les créatifs contre la création automatisée

Ce débat autour du doublage automatisé par IA rejoint un plus large débat qui oppose les créatifs aux créations automatisées. Et cette question est loin d’être naissante : on pourra rappeler que l’acteur Jet Li a refusé le rôle de Seraph dans la trilogie The Matrix puisqu’il n’acceptait pas que Warner Bros capture sa performance martiale, et récupère ainsi la propriété intellectuelle d’une librairie d’enregistrements numériques de ses meilleurs coups.

L’implémentation de l’intelligence artificielle a accéléré la création numérique, et par la même occasion les débats éthiques autour de la nature-même de cette création. On peut voir DALL-E comme le point de rupture qui a poussé de nombreux artistes à lever leurs boucliers face aux dangers de l’intelligence artificielle, mais de plus en plus de profils créatifs sont touchés : les créations graphiques, audio, texte sont toutes trois visés par de grandes entreprises de l’intelligence artificielle. ChatGPT le prouve également en étant utilisé pour écrire automatiquement des papiers d’étudiant.

Il est impossible de faire disparaître ces nouveaux outils controversés, d’autant plus que Microsoft comme Google vont les intégrer à des plates-formes grand public. La grande question semble surtout tourner autour du fait de respecter et protéger les contenus créés par des humains, qu’il s’agisse de conserver leur valeur face aux contenus créés par l’IA ou dans le cadre de leur usage pour l’apprentissage des modèles d’IA. Cette grande récré touchera inéluctablement à sa fin, d’une manière ou d’une autre.

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Par : Opera

Source : Motherboard


Maxime "OtaXou" Lancelin-Golbery
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