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AnonOps : les dessous d’une organisation secrète

Anonymous, ce grand collège aux contours flous, se révèle avoir, sinon un bras armé, du moins une sous-communauté particulièrement active, AnonOps, livrée aux querelles d’ego. Portrait.

Anonymous est sur le devant de la scène depuis plusieurs mois déjà, notamment depuis la guerre médiatique entre Sony et GeoHot à propos du hack de la PS3. Le groupe aux contours obscurs a soutenu publiquement le hacker en revendiquant le droit de bidouiller sa console à titre privé, mais aussi activement, en lançant une opération de déni de service contre Sony. Mais si Anonymous désigne une communauté d’appartenance sans contours clairs- n’importe quelle personne initiée aux codes peut s’en revendiquer, à la manière d’une franc-maçonnerie 2.0 et ouverte -, un noyau dur se révèle à l’oeuvre dans la plupart des opérations attribuée au groupe dans son ensemble : AnonOps.

Les mots manquent pour définir ce réseau. S’agit-il d’une cellule opérationnelle, d’un bras armé, d’un bureau de communication, d’un groupuscule activiste, d’un cerveau obscur ou tout simplement d’une communauté mieux structurée que l’immense appellation dont elle revendique l’appartenance, mais non l’identité ? Car les responsables d’AnonOps le répètent à l’envie : ils ne sont pas Anonymous, mais une simple plate-forme de communication et de coordination pour les internautes qui souhaitent activement s’investir, “se bouger le cul pour faire changer les choses“, comme le revendique un de leur sites publics. Une plate-forme qui pourrait être facilement remplacée, assurent-ils, mais une plateforme à qui l’on doit tout de même les principaux faits d’arme attribués à Anonymous en général, comme l’opération Payback ou OpSony.

Qui sont-ils au juste ? Des amateurs d’informatique, des libertaires, à l’évidence, mais aussi et surtout une petite communauté venus des quatre coins du globe, qui se retrouve en comités restreints sur les canaux de chat (IRC) de leur réseau, comme l’a révélé l’un des membres, le désormais célèbre Ryan, après avoir détourné une demi-dizaine de sites et divulgué pas moins de 600 adresses IP.

Un canal à l’ancienne

Le réseau IRC d’AnonOps, c’est là que se commente l’actualité d’Internet, dans une ambiance informelle, typique des chats. Ici se retrouvent certains « Anons », les fameux anonymes, référence aux us du célèbre forum d’image 4chan, où les posts ne sont pas identifiés. Mais au contraire de 4chan, le réseau AnonOps, système IRC oblige, impose des pseudonymes. Comme le révèlent les récents logs rendus publics à la suite d’altercations entre membres, ils s’appellent ainsi Pikaro, evilworks, Atta, James_Bond ou encore Ryan, aujourd’hui mis au pilori. Chaque participant est identifié par un pseudonyme, dont il peut changer à volonté et à loisir.

Ils se retrouvent sur un chat intitulé #AnonWorld, où contrairement à ce que ce mouvement anonymiste laisse paraître, une double structure hiérarchique existe. La première est technique, et propre à l’IRC : d’un côté les chatteurs, de l’autre les op ou opérateurs, ces espèces de cyberpoliciers chargés de veiller à la praticabilité du canal, et de distribuer kick (renvoi) et ban (bannissement) en fonction des règles de base (en cas d’insultes, de spam, etc.). Or si le tutoiement et le jargon technique sont de rigueur, les querelles d’ego, aussi. Et à cette structure s’ajoute un volet social, une répartition de l’influence en fonction de l’ancienneté, des amitiés et des réseaux. C’est par ce biais que Ryan a réussi à être promu op, après cinq mois de participation continue aux débats et c’est aussi pour cet « abus de confiance » qu’il est aujourd’hui la cible des critiques des autres membres.

La hiérarchie quand même

Si le surnommé Ryan s’est élevé contre AnonOps, c’est justement pour des raisons d’organisation : comme le relate Thinq, le jeune homme reproche aux autres membres la structure élitiste du réseau, perversion de l’idéologie égalitaire du mouvement Anonymous. En l’occurrence, précise le site The Tech Herald, il s’agace de l’existence de canaux privés, réservés aux opérateurs, comme #opers, voire à certains op seulement, comme #command, où se discutent et se mettent en œuvre les opérations d’AnonOps.

De quelles opérations parle-t-on ? Pour la plupart, de campagnes de communication. C’est AnonOps qui diffuse des communiqués de presse au nom d’Anonymous, ce groupe sans tête, et qui commente en son nom le SonyGate sur Twitter et son blog. Mais AnonOps est également le réseau d’où sont parties les attaques de déni de service contre le PlayStation Network le 16 avril dernier. Et c’est en particulier la décision de mener cette opération que Ryan critique aujourd’hui.

QuidamOps

Pourtant, du fantasme à la réalité, la marge est grande. #command n’a rien d’une salle de haut commandement militaire, avec des écrans géants du monde au mur, et des missiles téléguidés qui clignoteraient en rouge comme dans un film de science-fiction. Non, d’après plusieurs logs leakés, #command s’apparente surtout à un canal privé où la plupart du temps, les membres privilégiés commentent entre eux, comme dans une soupape de sécurité, les problèmes en cours sur le canal public.

Ryan n’est pas non plus un agent secret moderne, qui après des années d’infiltration et de double jeu, aurait décidé de démasquer publiquement une organisation pour les beaux yeux de la reine d’Angleterre. Non, Ryan, tel qu’il apparaît dans les logs et les descriptions des autres chatteurs, est un Anglais de 19 ans, originaire de l’Essex, et qui exulte à l’idée d’avoir piégé ses anciens camarades à leur propre jeu, de leur « échec », et dans une conversation qui évoque davantage un règlement de compte de cour de récréation qu’une réunion de cerveaux, les qualifie de « petits cons », voire parfois même, de « nègre » (ligne 624).

La raison de sa désaffection, comme le subodore l’administrateur du réseau, evilworks, allias Owen, ce n’est pas fondamentalement l’existence de réseaux privés, mais le refus de lui accorder le statut d’opérateur sur ces canaux. Côté pile, Anonymous, cette silhouette masquée noire et blanche aux messages obscurs, grandiloquents et menaçants, signant chaque fois « nous sommes Légion ». Côté face, un Anglais de 19 ans, amateurs de cookies, qui après être devenu opérateur sur le canal public, enrage qu’on lui donne accès au canal privé sans le titre d’opérateur sur ce dernier.

Les anciens de l’IRC ne verront rien de nouveau : ce réseau de chat quasi-millénaire, à l’échelle d’Internet, a toujours laissé libre cours aux passions humaines. Ryan n’est pas un haut dignitaire, un ingénieur, un hacker de génie. Mais il a participé, comme d’autres, aux opérations agressives qu’il dénonce depuis deux jours : un log, publié par The Tech Herald, révèle qu’il a lui même rentré les invites de commande grâce auxquels des bots ont lancé les attaques de déni de service contre Sony, lors de l’opération Payback. De la même façon qu’AnonOps n’est pas Anonymous et qu’Anonymous n’est pas Internet, Ryan n’est pas AnonOps. Il est, comme eux, comme tous, un quidam dans une cour de récréation peut-être trop grande pour nous.

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William Audureau