C’est un peu comme un retour en arrière, une stratégie de replis sur soi, et sur ses propres activités. Dans le secteur automobile, l’innovation est en train de faire des remous côté finance. Malgré l’intégration de la voiture électrique de plus en plus rapide, les constructeurs sont nombreux depuis fin 2023 à annoncer l’arrêt de gros projets, ou leur désolidarisation avec des startups pour lesquelles ils investissaient depuis longtemps.
La fièvre semble toucher de plus en plus de constructeurs traditionnels, qui en reviennent donc aux fondamentaux de leur métier et évitent ainsi les transformations que les avancées technologiques et les investisseurs les ont motivé à faire jusqu’à présent. Les envolées boursières d’antan, comme avec celle de Tesla, semblent révolues. On appréhende alors la suite avec une approche plus modeste, et on recentre ses investissements sur ses projets internes, et sans compter sur des investisseurs externes.
Séparations à la chaîne
Le cas Volvo avec Polestar
Il y a d’abord eu Volvo, en première ligne, qui annonçait le 1er février dernier l’arrêt de son financement dans Polestar. Depuis 2017, l’ancien préparateur de voitures sportives sur base de Volvo était devenu une marque à part entière au sein du groupe chinois Geely, qui évoluait en tant que constructeur de voiture électrique haut de gamme. Volvo en détenait pourtant toujours plus de 48 % de ses parts et sans le constructeur suédois, Polestar ne serait rien.
Désormais, ce sera seulement avec Geely (qui détient 80 % de Volvo) que la marque Polestar continuera de voler de ses propres ailes, laissant à Volvo l’occasion de se recentrer. Malgré ses 15 % de ventes supplémentaires en 2023, son bénéfice net a reculé de 17 %. Parmi les raisons de cette baisse : des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement, une hausse des coûts des matières premières, un effet négatif du taux de change, mais aussi une hausse des investissements en recherche et développement de plus de 46 %.
Le cas Aptiv avec Motional
Une autre séparation s’est produite du côté de Motional. La société américaine de voitures autonomes qui était née en 2020 sous la forme de coentreprise a perdu l’un de ses deux investisseurs. Aptiv, le géant des pièces auto, a décidé de couper ses vivres alors que le retard grossissait côté production et qu’il était temps d’arrêter de perdre de l’argent. L’annonce a été faite au début de la semaine et pourrait mettre Hyundai, le deuxième investisseur, dans une situation délicate pour ses propres investissements.
« Alors que notre coentreprise Motional continue de progresser sur sa feuille de route technologique, nous avons décidé de ne plus allouer de capital à Motional et recherchons des alternatives pour réduire davantage notre participation », expliquait le PDG d’Aptiv, Kevin Clark, le mercredi 31 janvier dernier lors d’une conférence en ligne. Au départ avec Hyundai, la création de la coentreprise leur avait coûté 4 milliards de dollars. Lors du dernier CES en janvier, Kia annonçait qu’il pourrait rejoindre le projet pour apporter son lot de pièces et travailler sur une nouvelle génération de robotaxis en plus des Ioniq 5 de Hyundai, prévus pour cette année.
Le cas General Motors avec Cruise
Plus tôt en 2023, le paysage de la voiture autonome s’assombrissait aussi avec les difficultés de Cruise face aux réglementations et aux dysfonctionnements dans les rues de San Francisco. Son cofondateur et patron Kyle Vogt décidait de quitter l’entreprise fin novembre 2023. À ce moment-là, l’entreprise voyait le Department of Motor Vehicles (DMV) la suspendre de son droit de circulation dans l’Etat. Rien de bon pour General Motors (GM) qui annonçait, le 30 janvier dernier, qu’il allait réduire ses investissements pour un montant d’un milliard de dollars.
Rien qu’en 2023, Cruise aurait dépensé 1,9 milliard de dollars de liquidités selon Reuters. De quoi enregistrer une perte avant impôts de 2,7 milliards de dollars. Si bien que derrière une réduction des investissements et un « recentrage » de Cruise, General Motors se prépare surtout à se désolidariser très fortement d’une startup qu’il y a avant tout causé des ennuis et des casseroles. La confiance du public s’est détériorée avec le temps, jusqu’en octobre où elle est tombée à son plus bas à la suite d’un incident où un piéton avait été traîné sur 6 mètres par l’un de ses véhicules.
Cruise n’est pas le seul dans son cas et peut effectivement se réjouir que GM soit encore là. Chez d’autres, comme Argo.ai, leur source de financement a disparu. Volkswagen et Ford, derrière le projet, annonçaient leur retrait en octobre 2022, avec le regret de ne pas avoir trouvé de solutions d’investissement à temps et une promesse de voir arriver des voitures autonomes qui n’en finissait plus de se faire attendre.
De l’auto en Bourse à l’autofinancement
La fièvre qui monte côté investissement et automobile touche aussi les marchés financiers. Sur les six derniers mois, les actions des constructeurs auto habitués à briller en Bourse ont dégringolé. Tesla et Porsche en sont les parfaits exemple, avec une baisse pour les deux à hauteur de 26 %. La fin des grandes envolées des investisseurs pour toute action alliant production automobile haut de gamme et motorisation électrique.
Le cas de Renault avec Ampere
Au regard d’un contexte « non porteur pour le moment », le patron de Renault Luca de Meo annonçait le 29 janvier dernier l’annulation du plan d’introduction en Bourse d’Ampere, une nouvelle branche du constructeur dédiée à toute l’activité dans la voiture électrique et dans le software. En parallèle à Horse, sa coentreprise dédiée à la production de moteurs thermiques, Renault voulait que son futur électrique s’appelle Ampere et devienne populaire selon le modèle de Tesla en Bourse.
« Les conditions du marché actions et le flux de trésorerie généré ces derniers mois nous ont conduits à cette décision », déclarait Luca de Meo en expliquant qu’ils allaient profiter de l’année exceptionnelle pour les ventes de Renault afin de privilégier l’autofinancement d’Ampere.
Le cas de Volkswagen avec Powerco
Au lendemain de l’annonce de Renault, l’agence Bloomberg levait le voile sur les plans de Volkswagen avec Powerco, sa branche de production de batterie. Celle qui devait aussi entrer en Bourse ne sera plus une priorité. En cause, les doutes du groupe à pouvoir produire de façon compétitive ses pièces, d’autant plus à grande échelle. Initialement, ces doutes concernaient le paysage économique de 2023. Mais en vue des récentes rumeurs, il se pourrait que Volkswagen ne voit pas 2024 d’un très bon oeil non plus, pour lui perdre d’aller de l’avant sur ce projet.
Une situation qui profite à d’autres
Tous les constructeurs ne sont pas concernés cela dit. En Bourse, l’année 2023 et les débuts de 2024 profitent à certains. Et ironiquement, ce ne sont pas les plus avancés en matière de voiture électrique ou autonome. L’action du groupe Stellantis, né du mariage de PSA (Peugeot, Citroën, DS) et FCA (Fiat Chrysler Automobiles), a grimpé de 59,5 % en 2023, et poursuit sa croissance avec près de 10 % gagnés depuis fin janvier 2024. Plus fou encore, Ferrari, qui gagnait près de 46 % en 2023 et 14 % depuis le début de l’année. BMW et ses ventes encore très orientées combustion grimpait de 21 % sur un an.
Alors que peut donc bien causer la fièvre de l’innovation dans l’automobile ? Pour Kevin Clark, le patron d’Aptiv, « les coûts liés à la fourniture de la technologie principalement, dans et autour du matériel, rendent la tâche vraiment difficile du point de vue de l’adoption sur le marché de la mobilité à la demande ». Au journaliste Andrew J. Hawkins de se souvenir : « le milieu et la fin des années 2010 ont été un âge d’or pour le couplage technologique automobile. Acquisitions, rapprochements, coentreprises : les constructeurs pensaient que s’ils répartissaient les coûts énormes associés au développement de véhicules électriques et autonomes, leurs chances de succès et de gains massifs augmenteraient ».
À l’adoption du marché, à la concurrence et aux nouvelles aides financières des gouvernements de nous dire qu’elle sera la meilleure recette pour espérer performer dans l’avenir. Chez Renault, avec la branche Horse dédiée aux moteurs thermiques, l’avenir du financement pourrait s’écrire avec le fonds d’Aramco, le géant du pétrole saoudien. Tout un symbole.
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