Au téléphone, Sylvain nous a conseillé de venir un soir de nocturne car c’est à ce moment là que l’on a le plus de chance de rencontrer du monde. C’est donc un mardi soir, vers 19 heures, que nous sommes allés voir ce que l’on fabrique à l’Electrolab, probablement le hackerspace le plus grand et le mieux équipé d’Europe.
Pour s’y rendre la première fois, mieux vaut ne pas oublier son smartphone ou son GPS. L’endroit est situé dans un no man’s land de Nanterre, où vous ne rencontrerez pas forcément quelqu’un sur votre chemin pour vous renseigner. Une fois arrivé à destination, nous nous trouvons devant un bâtiment pas très engageant, bordé de caméras de surveillance et avec des barreaux aux fenêtres. On pourrait penser à une prison si un petit panneau délavé n’indiquait pas sobrement: « Electrolab hackerspace. 1500 m² pour inventer. Entrée à droite, au fond du parking ».
Une fois passée la porte, on pénètre dans un autre monde, très accueillant et très foisonnant. Vincent, le président de l’association, nous propose immédiatement le tour guidé à travers les multiples salles de ce grand bâtiment. Lui-même, nous prévient-il, n’a pas de formation technique à la base et exerce un métier commercial. « Je suis venu à l’Electrolab par le biais de l’impression 3D, qui est un domaine relativement accessible. C’est devenu rapidement une passion », nous explique-t-il.
Les premiers espaces auxquels on accède sont le bar, la salle de conférence/formation et le coin relaxation, avec canapé et fauteuils. Petit détail amusant : à côté du classique distributeur de sucreries, les membres du hackerspace ont installé un distributeur de composants et cartes électroniques prêts à l’emploi. Toujours pratique en cas d’urgence. Plus loin, sur la droite, on accède à l’espace projets autour duquel viennent s’agencer la salle d’impression 3D, les paillasses de la zone électronique pour réaliser ses circuits, le coin PCB (Printed Circuit Board) pour créer ses cartes imprimées, l’espace couture et impression, le datacenter, le laboratoire physique-chimie-biologie et l’atelier de mécanique. Un vrai labyrinthe high-tech.
Accoudé à l’une des paillasses, Maxime réalise des branchements pour sa dernière création, une pédale pour guitare rock programmable que l’on peut piloter à distance avec une appli mobile. « Je fais ça pour un pote. Pour créer la forme du boîtier en acier, j’ai utilisé pour la première fois la presse 10 tonnes de l’Electrolab. Ce n’est pas compliqué, et c’est bien d’apprendre quelque chose de nouveau », nous explique cet ingénieur en aéronautique. Dans un coin d’une étagère, il nous dévoile un autre projet musical en attente, à savoir une enceinte Bluetooth au look rétro avec écran tactile 8 pouces et intégration native avec Spotify. Là encore, c’est pour un ami.
Sur une paillasse voisine, Sébastien, graphiste de formation, bricole sur sa brodeuse numérique. Celle-ci est constituée d’une machine à coudre classique, d’un capteur pour connaître la position de l’aiguille, d’un cadre de broderie motorisé et d’une carte électronique du commerce. « On a tout créé de A à Z, tant au niveau logiciel que matériel. Il n’y avait rien qui existait sur ce sujet. Le coût total de notre installation est de 200 euros, alors que pour une brodeuse numérique, il faut compter au moins 2500 euros », souligne-t-il.
De retour dans l’espace projets, on tombe sur Benoît, un ancien chef de produit logiciel qui vient de créer son entreprise. Son produit est né à l’Electrolab et s’appelle Baddy. C’est un robot en kit lanceur de volant de badminton, commercialisé pour environ 400 euros. Il en a vendu une soixantaine depuis janvier dernier, principalement à des clubs. « Beaucoup de gens m’ont aidé dans ce projet. C’est ça l’avantage de l’Electrolab. Il y a des compétences de fou ici », nous assure-t-il.
Au détour d’un couloir, nouvelle surprise. Dans l’ancienne cage d’un monte-charge, Vincent nous montre la station de contrôle satellitaire de l’Electrolab. « On est la station de base au sol pour deux microsatellites lancés par l’école Polytechnique et l’école des Mines. C’est une activité qu’on aimerait bien développer. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas très cher de lancer un satellite, car on peut bénéficier d’un espace vide dans la charge utile d’un lanceur. Par ailleurs, les satellites sont de plus en plus petits », explique Vincent.
Ce qui était un peu compliqué, en revanche, c’était l’installation de l’antenne. Le hackerspace a récupéré un mât télescopique de l’armée suisse qu’il a fallu positionner sur le toit. Pour cela, les responsables du projet ont fait venir une nacelle télescopique de 20 mètres. C’est normal, pour les grands projets, il faut de grands moyens. « C’est vrai que les grosses récupérations, c’est quelque chose que l’on sait faire. L’année dernière, une entreprise nous a proposé ses anciens climatiseurs. Pour les sortir du bâtiment, on a loué une grue », raconte Vincent.
Quand on s’enfonce encore plus loin dans les entrailles du hackerspace, on accède à l’espace de mécanique dit heavy où se trouvent entre autres une scie à ruban, une découpeuse laser, une fraiseuse 3D, une presse, une thermoformeuse et des tours de toutes les tailles. Parmi ces derniers, certains sont franchement énormes et de qualité industrielle. Le dernier est arrivé en 2017. « Pour installer ce tour Cazeneuve sur ses 13 points d’appui, il a fallu creuser la dalle sur 40 cm. Ce n’était pas une mince affaire. Le challenge que l’on s’était donné, c’est d’y arriver avant la fin de l’année. Et on a réussi: la première pièce a été tournée le 31 décembre à 23 heures. C’était la fête », poursuit Vincent.
Après avoir zigzagué à travers les machines-outils, nous arrivons enfin à l’espace soudure et fonderie, qui se trouve un peu caché derrière un gros rideau noir. Steve, qui lui aussi arrivé ici « un peu par hasard », nous montre une soudure à l’arc sur un ancien établi de la SNCF, alors que Tom nous explique le fonctionnement de son futur four à induction. Quand celui-ci sera opérationnel, le hackerspace pourra fondre de l’acier à 1700 degrés Celsius et créer des pièces mécaniques de haute qualité. Et cela, sans dégagement de particules comme cela peut être le cas avec la fonderie au fuel.
Evidemment, il faut quand même respecter quelques mesures de sécurité. « C’est déjà arrivé qu’un creuset tombe par terre et se fende. L’un d’entre nous s’est retrouvé avec le pied dans du bronze en fusion. Mais heureusement, il n’y a que sa chaussure qui a brûlé », nous précise Tom, tout en farfouillant dans une caisse de rangement. Il en sort la flaque de bronze durcie qui s’est formée à cette occasion. D’une certaine manière, c’est un trophée.
Il est maintenant 22 heures et l’Electrolab s’est bien rempli. La plupart des 220 membres viennent en effet le soir ou le week-end, en dehors des horaires de travail. Le hackerspace ressemble maintenant à une ruche, avec des gens qui s’affairent un peu partout. Dans le coin de relaxation à l’entrée, des personnes s’amusent tout en discutant technique. Dehors, la nuit a plongé les rues de ce quartier périphérique de Nanterre dans le noir. Plus aucun bruit ne se fait entendre.
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