Malgré un investissement pharaonique, la présentation du « projet Texas » censé cloisonner les données des Américains aux États-Unis, et des déclarations de ses dirigeants, TikTok continuerait, dans certains cas, à envoyer des données d’utilisateurs américains en Chine. Une enquête du Wall Street Journal, publiée mardi 30 janvier, à quelques heures de l’audition de plusieurs dirigeants des plateformes au Sénat américain, montre que le lien qui devait être coupé entre TikTok aux États-Unis, et sa maison mère en Chine, ne serait pas si tranché.
Pourtant, TikTok aurait dépensé, selon ses dires, près de 1,5 milliard de dollars pour « rassurer » Washington. Accusé depuis 2019 d’être « le cheval de Troie du parti communiste chinois », la plateforme aux 150 millions d’utilisateurs américains a subi les foudres de Washington en début d’année dernière, menacée tour à tour de rachat puis d’interdiction totale. En retour, le réseau social avait accéléré la mise en place de son « Projet Texas » censé mettre fin à tout soupçon d’ingérence de la Chine sur la plateforme. Le réseau social a expliqué que l’unité, dans laquelle près de 2000 salariés travaillent, allait totalement isoler les données des utilisateurs américains. Les data seraient uniquement stockées sur des serveurs localisés à Austin, au Texas, gérés par Oracle, une firme américaine.
Des adresses électroniques, dates de naissance et adresses IP transmises à ByteDance
Des règles assez strictes ont été mises en place, pour éviter qu’une donnée personnelle d’un Américain ne finisse sur le sol chinois, ajoutait la plateforme. Selon ces dernières, les données des utilisateurs américains ne doivent pas franchir les murs de l’unité américaine (du Projet Texas). Les employés de l’unité américaine ne peuvent pas, par exemple, partager ces data avec des salariés d’autres filiales de TikTok (dont ceux de la maison mère chinoise, ByteDance), à moins qu’elles ne soient agrégées et que ce partage soit nécessaire au fonctionnement de l’application TikTok.
Mais selon nos confrères, qui ont interrogé des salariés et d’anciens employés de TikTok, travaillant au sein de l’unité « Projet Texas », la réalité serait tout autre. Des partages de données avec des collègues d’autres services de l’entreprise, et parfois avec des employés de la maison mère, auraient lieu, en dehors de tout canal officiel. Parmi les data transmises : des données personnelles, telles que l’adresse électronique, la date de naissance et l’adresse IP d’un utilisateur, détaille le Wall Street Journal.
Des règles difficiles à mettre en place pour un réseau social mondial ?
Autre problème : l’algorithme serait mis à jour si fréquemment que les employés dédiés au « Project Texas » auraient du mal à suivre. Enfin, TikTok avait aussi promis que les salariés dédiés aux Américains travailleraient avec du matériel distinct de celui de ByteDance, mais les ordinateurs et logiciels promis mettraient du temps à arriver.
Cela démontre-t-il une mauvaise volonté de la direction de TikTok ? Nos confrères expliquent plutôt que la situation illustre la difficulté, pour un réseau social mondial, de traiter les données de certains utilisateurs différemment des autres.
Ainsi, les données des utilisateurs américains ne sont pas censées être partagées avec ByteDance ou avec des employés extérieurs à la filiale américaine. Mais des transmissions ont parfois lieu avec la maison mère chinoise pour aider à former l’algorithme. Même topo avec des employés extérieurs au Projet Texas, cette fois à des fins de modération, expliquent des personnes connaissant bien l’unité du projet Texas, interrogées par nos confrères.
Des années de négociations et de menaces… mais TikTok est toujours disponible outre-Atlantique
Depuis des années, TikTok négocie avec le Comité des investissements étrangers, une sorte de gendarme chargé d’analyser les rachats et l’investissement de sociétés étrangères sur le territoire américain. Mais les deux parties n’ont jamais réussi à trouver un accord. C’est même l’inverse qui s’est produit, puisque les mois passant, les tensions sont montées crescendo entre le réseau social et Washington, jusqu’à son paroxysme en début d’année dernière.
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En mars 2023, lors d’une audition musclée devant une commission d’enquête du Congrès après un épisode d’espionnage de journalistes, le directeur général de TikTok, Shou Zi Chew, ne cessait de défendre le projet Texas : « L’essentiel est qu’il s’agit de données américaines, stockées sur le sol américain par une société américaine et supervisées par du personnel américain. Cela élimine les inquiétudes que certains d’entre vous ont partagées avec moi, à savoir que les données des utilisateurs de TikTok peuvent être soumises à la loi chinoise ».
Depuis 2017, une législation chinoise impose la collaboration de toute entreprise chinoise avec les services secrets de Pékin. Les entreprises locales doivent « soutenir, aider et coopérer en secret avec les services de renseignement de l’État », s’ils en font la demande. Cette collaboration est aussi valable pour les sociétés qui n’opèrent pas sur le sol chinois, ce qui pourrait de fait s’appliquer à TikTok.
Mais après avoir brandi le flambeau du rachat et menacé d’interdiction totale le réseau social, Washington a finalement abaissé d’un cran la pression exercée sur l’entreprise. Aucune interdiction générale n’est pour l’instant tombée, à l’exception de l’utilisation de l’application sur les appareils des fonctionnaires, aujourd’hui prohibée. Cet épisode pourrait-il raviver les tensions ? Dans un communiqué, un porte-parole de TikTok a rappelé que le projet Texas était un plan volontaire, et que le réseau social avait fait preuve d’une très grande transparence. « Au cours de l’année écoulée, nous avons pris la décision sans précédent d’accorder à Oracle (la société américaine qui stocke les données des Américains, NDLR) un accès complet à notre code source et à notre algorithme ».
En interne, les dirigeants à la tête du « Project Texas » ont promis des changements, souligne le Wall Street Journal. Dans un message du mois dernier adressé aux salariés et consulté par nos confrères, ces derniers ont rappelé les règles particulières qui s’appliquent à cette unité. Ils ont aussi promis de nouveaux outils de partage. Cela suffira-t-il à convaincre les autorités américaines ?
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Source : The Wall Street Journal