Nous attendions l’annonce d’une puce, nous n’avons eu qu’un nom : Oryon. Après avoir racheté Nuvia pour 1,4 milliard de dollars en 2021, Qualcomm a enfin digéré les plans des cœurs jadis appelés Phoenix pour en faire Oryon, son nouveau cœur CPU haute puissance maison. Oui, vous avez bien lu, il ne s’agit pas du processeur en lui-même que nous attendions, mais juste du nom commercial de son cœur CPU.
Alors que Qualcomm investit dans les PC Windows depuis plus de cinq ans, il va encore falloir attendre un peu avant que l’entreprise ne dévoile les détails de sa ou ses puces finales. Combien de temps ? Quelques mois, puisque l’entreprise affirme que la puce sera intégrée dans des produits qui devraient être disponibles « au second semestre 2023 ». Ce qui nous amène potentiellement jusqu’en 2024, l’année « de la bascule et de l’accélération du déploiement d’ARM dans les PC » selon Kedar Kondap, General Manager des puces PC et gaming chez Qualcomm.
La bataille juridique avec ARM limite-t-elle la précision des annonces ?
L’an dernier, Qualcomm avait clairement dit que le résultat de l’acquisition de Nuvia serait présenté cette année. Mais depuis, il s’est passé un élément d’importance : une bataille juridique avec ARM. Ce dernier remet en cause le transfert de la licence de Nuvia à Qualcomm. Car puisque ce dernier considère posséder désormais les droits de ses plans de cœurs hautes puissances, il ne veut plus payer autant de royalties à ARM pour les plans qu’il n’utilise pas.
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Un fait que réfute ARM qui refuse que la licence de Nuvia soit transférée. Et veut obliger Qualcomm à payer sa redevance originelle ou à détruire le design d’Oryon – cette demande, est en fait un moyen de pression pour ramener Qualcomm dans « le droit » chemin. Une bataille qui se joue en ce moment à coup d’annonces juridiques, et qui fait mal à l’image d’ARM.
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En quoi cette bisbille concerne Oryon ? Si Qualcomm se refuse à tout commentaire sur une affaire juridique en cours, il semble assez logique que l’entreprise continue d’avancer sur ses puces, tout en évitant de donner des détails que les avocats d’ARM pourraient utiliser. Mais aussi et surtout, Qualcomm tient sans doute à changer sa manière d’appréhender les annonces de ses lancements produits.
Qualcomm inverse sa stratégie
C’est en juin 2017 que Qualcomm et Microsoft ont annoncé les premiers PC Windows sous puces ARM, à l’époque avec un simple Snapdragon 835. Le hic pour Qualcomm c’est qu’entre les annonces de ses puces et l’arrivée des produits finaux, il y a eu jusqu’à 18 mois – on pense au Snapdragon 8cx notamment. Et pire, Qualcomm a dû attendre Windows 11 pour avoir droit à des fonctionnalités fondamentales – comme l’émulation du code x64 en instruction ARM64. Sans parler qu’il a fallu plusieurs années pour avoir une sélection de logiciels nativement compilés en ARM64. En clair : le hardware avançait, mais son intégration était lente et l’écosystème vide.
Le peu de détails communiqués sur les puces serait-il une inversion de stratégie de communication ? Qualcomm souhaite-t-il désormais attendre que les briques logicielles soient en place avant de faire rêver avec une puce ? « On peut en effet dire ça », admet Kedar Kondap. « Nous voulons réussir les fondamentaux et parmi ces fondamentaux il y a évidemment l’écosystème, qui nous faisait effectivement défaut pour les premières générations de puces. Nous mettons de plus en plus de briques en place, qu’il s’agisse de notre kit de développement (un genre de Mac Mini, baptisé Windows Dev Kit 2023) ou de l’arrivée de nouvelles applications nativement compilées en ARM64, comme Windows Studio Effects. Mais développer et bouger l’écosystème prend du temps. J’aimerais vous en dire plus, mais je n’ai pas le droit », s’excuse en souriant l’ingénieur.
Un ingénieur visiblement lui aussi très frustré de ne rien pouvoir partager à propos de son bébé. Et notez que le « rien » est ici total : entre les « nous ne pouvons pas commenter les produits à venir ou les feuilles de routes de nos technologies » et les refus de parler de puissance, de SoC, de comparaison de puissance, de type de GPU intégré, etc. Toutes nos questions ont heurté un mur en béton – souriant, gêné, mais en béton.
Le PC d’abord, le mobile et la XR en ligne de mire
La première puce à embarquer les cœurs CPU Oryon est censée être la réplique de Qualcomm aux M1/M2, d’Apple, dans le monde des PC. Un SoC pour PC portables dont on ne sait pas pour l’heure quelle sera la configuration – nombre de cœurs CPU, GPU, etc. Mais une chose a fini par filtrer des différents interlocuteurs de Qualcomm. C’est sur scène que Gerard Williams, fondateur de Nuvia et désormais Senior Vice Président de l’ingénierie chez Qualcomm a étendu le champ d’action d’Oryon. « Notre cœur CPU Oryon propulsera non seulement le compute (les puces PC dans le jargon Qualcomm, ndlr), mais aussi le mobile et la XR », a déclaré l’ancien d’Apple qui était en charge du développement du M1.
Une annonce qui a le mérite de donner les contours du potentiel de l’architecture d’Oryon. Originellement née de l’envie par une dream team d’anciens d’Apple et Google de faire des puces ARM pour calcul intensif, Oryon est donc très malléable (scalable en anglais). Et pourrait rapidement se retrouver dans les smartphones comme dans les casques et lunettes de réalité augmentée. Du côté de son adoption dans le monde des PC, on sait aussi que Lenovo, Asus, Acer, Samsung sont partenaires de Qualcomm. Et devraient tous présenter des PC portables ainsi équipés dès la fin 2023/début 2024.
L’IA comme arme fatale des futures puces pour PC ?
Alors que les premiers prototypes de puces sont en train d’être passés au crible non seulement par les constructeurs de PC, mais aussi par les acteurs du cloud, rien ne permet de commenter la puissance potentielle des cœurs Oryon. Si on est en droit d’attendre un niveau de performances par Watt supérieur au x86, Qualcomm ne compte pas uniquement sur Oryon ou son GPU Adreno pour réussir avec son futur SoC. Car l’une des briques fondamentales selon Qualcomm est son puissant DSP Hexagon, sa puce qui accélère les algorithmes IA.
Autant Qualcomm ne donne rien à voir côté CPU, autant l’entreprise championne du rapport performances/Watt gonfle ses muscles en IA. Elle estime que son processeur Hexagon développe x5 plus de puissance que les CPU concurrents et x2,5 plus que les GPU concurrents. Si on regrette (pour la énième fois) que Qualcomm ne soit pas précis dans ses comparaisons, il est évident que pour l’heure l’entreprise a l’avantage d’avoir une longue expérience des NPU mobiles. Des NPU quasi absents des SoC x86 actuels, même si Intel a déjà des briques IA et intègrera avec Meteor Lake non seulement une puce IA, mais aussi un VPU, une puce dédiée à la vision.
C’est là que le contexte reste tout de même en défaveur de Qualcomm : il faut que les produits équipés de sa future puce arrivent rapidement. En tant que challenger du monde du PC, il faut un effet « wow » pour séduire un public habitué à Intel (et dans une moindre mesure à AMD). Le tout en ne traînant pas trop les pieds parce que ses concurrents déjà bien établis vont finir, eux aussi, par accélérer sur les puces IA. Espérons pour Qualcomm que les briques technologies se mettent vite en place. Car après presque deux ans de « hype », toute l’industrie a hâte de voir si, oui ou non, l’entreprise a réussi à développer un vrai « M1 pour PC ». Une puce qui promet d’être aussi puissante que nos processeurs actuels, pour une fraction de la consommation énergétique, avec des autonomies allant au-delà de 20 h. Une promesse attrayante, mais qui reste sans concrétisation depuis trop longtemps.
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