Le mois dernier, la section financière de la PJ de Nice interpelle et place en garde à vue un informaticien accusé de télécharger quantité de films pédopornographiques. Il est finalement relâché : le fautif était son voisin. La cause de cet imbroglio relaté dans les colonnes de Nice Matin ? L’informaticien partageait la même adresse IP avec d’autres habitants de son immeuble. Une pratique courante chez les FAI pour faire face à la pénurie d’adresse IPv4. Pour le gendarme des télécoms, ce n’est qu’une preuve de plus de la nécessité de basculer à l’IPv6, comme il l’a rappelé la semaine dernière en dévoilant son rapport sur l’Etat de l’Internet. Ce protocole a beau fêter ses 20 ans, il ne s’est toujours pas généralisé en France. Et la situation commence à devenir critique.
Chaque terminal connecté à un réseau utilisant l’Internet Protocol se voit attribuer un numéro d’identification, une adresse IP qui peut être provisoire ou permanente. Or, la plupart de nos communications sur Internet se font encore actuellement en IPv4, standard défini en 1980. Le problème, c’est que l’IPv4 est restreint depuis le début à seulement 4,3 milliards d’adresses. Et que le stock destiné à l’Europe a déjà atteint ses limites. L’Arcep estime que l’épuisement total sera atteint en 2021.
Le peer-to-peer et l’auto-hébergement en question
Des solutions de substitution sont apparues. Les FAI et les opérateurs télécoms ont ainsi couramment recours à des équipements baptisés « Carrier-grade NAT » (CGN). Ils permettent d’attribuer une seule adresse IP publique à des centaines, voire de milliers d’abonnés. Exactement comme votre box, qui délivre automatiquement des adresses IP uniquement accessibles sur votre réseau local à vos divers appareils connectés.
Mais ces CGN ne sont pas une solution car ils rendent plus difficiles certains usages comme l’auto-hébergement, « le pair-à-pair, l’accès à distance à des fichiers partagés sur un NAS ou à des systèmes de contrôle de maison connectée, certains jeux en réseau », pointe l’Arcep.
Cette pratique pose aussi des problèmes de sécurité. Lorsque les autorités recueillent une adresse IP au cours de leurs investigations sur un crime ou un délit sur Internet comme on l’a vu dans l’affaire de Nice, ils demandent aux FAI de leur fournir l’identité de l’abonné. « Lorsque celle-ci est derrière un CGN, les FAI ont techniquement besoin qu’on leur fournisse non seulement la date, l’heure et les adresses IP de connexion et de destination, mais aussi le numéro de port source. Malheureusement, les fournisseurs de service ne conservent que rarement le port source », témoignent Grégory Mounier d’Europol et la commissaire Adeline Champagnat dans le rapport de l’Arcep. Les enquêtes prennent ainsi plus de temps pour aboutir.
Le prix des adresses IPv4 flambe
Il y a un autre danger qui concerne la neutralité du net, cette-fois. En attendant l’épuisement des adresses IPv4 en 2021, ces dernières sont délivrées au compte-goutte et à un prix de plus en plus conséquent. « Ce prix élevé érige une barrière à l’entrée significative à l’encontre des nouveaux acteurs du marché et augmente le risque de voir se développer un internet scindé en deux, IPv4 d’un côté et IPv6 de l’autre », alerte encore l’Arcep dans son rapport. Pire, les nouveaux services et sites arrivant sur le marché qui ne pourront acquérir une adresse IPv4 verront leur audience très limitée. Car l’IPv6 n’est pas compatible avec l’IPv4. Et il faut que toute la chaîne technique soit IPv6 pour que cela fonctionne : box, infrastructures du FAI, DNS, transitaires, hébergeurs. Cela signifie qu’un abonné utilisant une box et un réseau IPv4 ne pourra accéder à un contenu IPv6.
L’Arcep dispose d’un observatoire et sonde régulièrement opérateurs et hébergeurs sur leurs intentions de faire la transition. Mais les projections ne sont pas optimistes. Free est le bon élève du marché et affirme que son parc sera intégralement passé à l’IPv6 d’ici la fin de l’année. Orange fait moins bien mais prévoit que 50 à 60% de ses usagers auront basculé d’ici un an. Bouygues Telecom est en retard avec un objectif de seulement 25 à 35% de ses clients activés dans 12 mois. Quant à SFR*, la situation commence à être préoccupante : il n’a prévu d’activer l’IPv6 que pour 10% de ses clients dans le même délai et au maximum 20% à l’horizon 2020 quand Orange et Bouygues Telecom ambitionnent d’atteindre entre 70 et 85% de leurs abonnés. La transition vers IPv6 est une nécessité toujours plus pressante, rappelle pourtant le gendarme des télécoms.
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