01net. : Les récentes limites instaurées par Deezer et Spotify dans leurs services marquent-elles la fin de la musique gratuite à la demande sur Internet ?
Marc Guez, SCPP (1) : Non, il s’agit simplement de la fin des services gratuits qui ne sont pas « premium ». Vous pourrez toujours regarder des clips sur YouTube, avec une qualité sonore moindre que sur des sites comme Deezer ou Spotify. Pour ces services plus évolués, il faudra désormais prendre un abonnement. Mais les prix restent tout de même modérés : l’accès illimité à Spotify coûte un peu moins de 10 euros par mois pour un catalogue de 13 millions de titres.
Pourquoi ces services gratuits n’ont-ils pas réussi à s’imposer ?
Ils exploitent les catalogues des maisons de disques. Ils doivent donc bien, à un moment ou à un autre, payer pour cela. Or nous avons constaté avec Deezer et Spotify que le modèle publicitaire ne fonctionnait pas. Les recettes générées par la pub sont insuffisantes pour faire vivre ces sites et participer décemment au financement de la création musicale. La seule solution reste donc d’augmenter les revenus et de faire payer ces services, du moins pour leur version premium.
Est-ce l’avenir de l’industrie musicale ?
Spotify a très vite adhéré à ce modèle vertueux. En Suède, cette plate-forme a rassemblé 1,2 million d’abonnés payants, sur une population de 9 millions d’habitants. Si l’on transposait cela à la France, les ressources pourraient être considérables. Elles pourraient même endiguer la crise du disque et ainsi sauver la création musicale.
N’y a-t-il pas un risque de voir une partie des utilisateurs de Deezer et de Spotify se tourner vers le téléchargement illicite de musique ?
Peut-être qu’une partie réduite des utilisateurs vont le faire, mais je ne pense pas que ce sera un mouvement de fond. La tendance actuelle est plutôt à une baisse du téléchargement illicite de musique, grâce à la Hadopi. Nous sommes persuadés que la musique a de la valeur pour les internautes. La seule raison pour laquelle certains refusent de payer est que le piratage est facile et sans risque.
Le filtrage, solution contre le piratage en « direct download »
Vous croyez donc toujours à l’efficacité du dispositif antipiratage de la Hadopi ?
L’exemple de la Corée du Sud, où une version plus musclée de la Hadopi a été mise en place, est significatif. De nombreux contrevenants ont vu leur connexion à Internet coupée. L’effet a été très rapide : la première année, le marché du disque à repris 30 %, et les plates-formes légales de téléchargement ou de streaming ont vu leur chiffre d’affaires doubler. La conclusion est qu’une riposte graduée ferme peut bouleverser les usages et rééquilibrer le marché. En France, si la Hadopi tournait à plein régime et qu’un traitement était appliqué au direct download (« téléchargement direct »), nous pourrions connaître la même situation vertueuse.
Quelles sont justement les mesures actuellement prises contre le direct download ?
Nous faisons retirer des liens sur les sites de téléchargement tous les jours [la SCPP a accentué cette stratégie depuis plusieurs mois, NDLR]. Notre principale cible est Rapidshare, installé en Allemagne. Des actions en justice sont également en cours contre cet opérateur. Pour MegaUpload, situé à Hongkong, c’est plus compliqué.
Comptez-vous aller plus loin dans ce domaine ?
Faire retirer des liens ne suffit pas, il faut passer à l’étape supérieure. Nous travaillons pour cela sur des logiciels de filtrage qui pourront être installés dans les entreprises ou sur l’ordinateur familial. Notez qu’il s’agit donc d’un filtrage volontaire. Ces outils sont développés par des entreprises spécialisées auxquelles nous fournissons une liste des fichiers illicites présents sur le Net. Notre base est plus fournie que celle de la Hadopi, qui est limitée à 10 000 titres, conformément aux engagements pris envers la Cnil. La nôtre compte ainsi plus de 30 000 titres et ne cesse de s’étoffer. Nous espérons que ces outils seront commercialisés rapidement.
Pourquoi le futur de l’industrie musicale ne peut-il reposer sur la diffusion gratuite de musique sur le Net, à titre promotionnel, la scène devenant la principale source de revenus des artistes ?
Ce modèle ne peut pas fonctionner car le spectacle vivant ne suffit pas à faire vivre les artistes. Que faites-vous d’ailleurs de ceux qui ne font pas ou peu de scène ? Ils disparaissent ? Pendant vingt ans Serge Gainsbourg n’a donné aucun quasiment concert. Sans les ventes de supports enregistrés, que serait-il devenu ? Il ne faut pas tirer un trait sur ces créateurs pour qui la scène n’est pas la priorité ou présente une difficulté. Un système économique dans lequel ils ne pourraient trouver leur place serait un désastre créatif.
(1) SCPP : Société civile des producteurs phonographiques.
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