Le plan du gouvernement en faveur de la création d’entreprises semble être une bonne nouvelle. Pour remporter de nouveaux marchés, il faut innover et lancer de nouvelles entreprises. On nous a souvent dit que les Français avaient des idées. Le gouvernement a donc raison de chercher à tirer parti d’un potentiel de création d’entreprises pour renforcer notre économie. Mais pour que celle-ci change de braquet, il va falloir aller plus loin.Dans le domaine des PME technologiques, une large part des soutiens publics bénéficie aujourd’hui aux financiers, dans le but de les encourager à investir dans des entreprises considérées comme risquées et offrant peu de visibilité. Cette politique est très utile. Mais il est nécessaire d’agir également au niveau de la cause en permettant à ces PME de mieux financer leur R&D et de bénéficier d’une part raisonnable des marchés publics. Nous devons changer de vision pour permettre que s’accomplisse le cycle de vie de l’entreprise.Contrairement à certaines idées reçues, la France est riche en entreprises. Si l’on exclut celles n’ayant pas de salariés, on compte aujourd’hui en France plus d’entreprises par habitant qu’aux Etats-Unis. En revanche, notre tissu économique est saturé de micro-entreprises : 34 % des emplois en Europe, contre 11 % aux Etats-Unis. Dans le même temps, au sommet de la pyramide, nos grands groupes pèsent beaucoup moins lourd que leurs homologues américains : 34 % des emplois, contre 54 % outre-Atlantique. Inutile de chercher plus loin… Dans un environnement globalisé et à fort contenu de connaissances, une économie dominée par les grandes entreprises est naturellement plus forte qu’une économie où les micro-entreprises pèsent davantage. Alors, pourquoi ces différences structurelles ?Il s’agit d’une vision différente de l’entreprise. Le cinéaste Kenji Mizoguchi disait que l’essentiel n’est pas de changer le monde, mais de changer de regard. Je dirais que changer de regard permet de changer le monde. Pour les Européens, le monde des entreprises est figé et semblable à un jardin zen. Quelques gros rochers entourés d’une multitude de petits cailloux soigneusement alignés. On est rocher ou caillou, mais on ne passe pas de l’un à l’autre. Outre-Atlantique, le tissu économique est dynamique et plutôt considéré comme une forêt de bambous. De nouvelles pousses arrivent à atteindre des sommets, tandis que d’autres disparaissent. Une logique “schumpéterienne”, basée sur l’innovation technologique, d’un côté, et une logique “smithsienne” de l’autre.L’action des pouvoirs publics français est concentrée de facto, malgré une ouverture nouvelle vers les PME ?” et plus particulièrement les PME innovantes ?”, sur les grandes entreprises existantes et leurs filiales. Ces dernières bénéficient de près de 90 % des crédits publics de financement de l’innovation technologique et de la grande majorité des marchés publics d’Etat. C’est la politique des champions, celle des gros rochers. Résultat : les PME représentent moins de 2 % des dépenses de recherche et développement (R&D) de l’industrie manufacturière française. Ce qui fragilise d’autant plus les PME innovantes. Les PME américaines représentent, par contre, près de 20 % des dépenses de R&D de l’industrie. Le gouvernement fédéral, même s’il soutient fortement ses grands groupes à l’international, fait particulièrement attention à ce que les jeunes entreprises puissent se développer. Notamment grâce à des financements de R&D simples et adaptés. Cette approche permet aux Etats-Unis de bénéficier d’un riche tissu de PME dynamiques, dont peuvent surgir, entre autres, les PME innovantes, susceptibles de devenir les futures grandes entreprises qui viendront renforcer la puissance internationale de l’économie américaine de demain. Corrélativement, la disparition d’un grand groupe n’est pas vécue comme un drame national, la relève étant assurée. Cette vision de l’entreprise se traduit dans les faits : alors que parmi les vingt-cinq plus grandes entreprises européennes, toutes existaient déjà en 1960, dix-neuf des vingt-cinq plus grandes entreprises américaines ont été créées après cette date.Changer de vision signifie réaliser que les petites entreprises ne sont pas des pierres et que certaines peuvent devenir les grands groupes de demain… Aider à la création, c’est bien. Mais rajouter des petits cailloux dans un jardin zen ne changera pas grand-chose. Par contre, planter de nouveaux bambous peut contribuer à la santé de toute la forêt. Et pour cela, comme l’écrivaient les économistes Elie Cohen et Jean-Hervé Lorenzi, il faut que les pouvoirs publics passent à une nouvelle politique, ciblée sur les PME ?” et en particulier celles qui sont innovantes. Cela signifie, d’une part, leur permettre d’atteindre leur taille critique, mais aussi, d’autre part, rééquilibrer les conditions de concurrence avec les plus grandes entreprises.La meilleure réponse à la mondialisation n’est donc peut-être pas de se tétaniser sur la santé des gros rochers, mais de s’inspirer d’exemples venus d’ailleurs pour que s’étoffe notre forêt de bambous. Alors seulement pourrons-nous développer un modèle européen qui nous sera propre, s’appuyant sur notre capacité à générer de nouvelles idées et sur notre volonté d’intégrer des dimensions humaines dans les règles du jeu de léconomie. Nous ne pourrons faire durablement exister nos valeurs et nos spécificités que si notre économie est suffisamment forte pour que notre voix soit entendue.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.