Le vote solennel du deuxième volet de la loi contre le téléchargement illégal est prévu le 15 septembre. A cette occasion, et alors que Frédéric Mitterrand, le ministre de la Culture, vient d’installer une mission sur les contenus légaux en ligne, Pascal Nègre, PDG d’Universal Music France, est revenu au micro du Grand Journal de BFM Radio (1) le 9 septembre sur les enjeux du texte et les ventes de musique en France. Un entretien à écouter aussi en podcast.
BFM Radio : le chiffre est révélateur, en six ans, l’industrie musicale en France a vu son marché divisé par deux, avec une perte de 700 millions d’euros. Nous en avons une nouvelle confirmation cet avec le énième recul semestriel, de quasiment 20 %. Pascal Nègre, jusqu’où se poursuivra la chute ?
Pascal Nègre : Jusqu’à ce qu’une loi soit enfin adoptée, la loi sur la Hadopi, la loi Création et Internet, qui devrait normalement être adoptée définitivement mi-octobre et entrer en action avant la fin de l’année. La réponse est là, elle n’est malheureusement pas ailleurs. On peut effectivement voir que le disque physique baisse et continue à baisser, et la France est le pays dans lequel le numérique compense le moins la baisse.
Si vous voulez avoir une petite notion du phénomène, sur les six dernières années, la chute du marché américain a été compensée à 42 % par le numérique, au Japon, 75 % de la chute du physique a été compensée par le numérique, parce qu’il n’y a que de la téléphonie et donc pas de piraterie. En revanche, en France, la chute du physique sur les quatre dernières années a été compensée à 19 % par le numérique. Voilà la problématique.
La part du numérique par rapport aux ventes physiques est de combien actuellement en France ?
Aujourd’hui on est à peu près, à 13 ou 14 %, alors qu’on est quasiment à 40 % aux Etats-Unis. On a un vrai retard.
C’est le modèle américain qui vous inspire ? Pourquoi les Etats-Unis résistent-ils bien ? On a l’impression que la France est le pays le plus touché par ce téléchargement illégal.
Bizarrement, on constate la même chose dans les pays nordiques, qui résistent mieux que les pays du Sud. Nous sommes des Latins : « pas vu pas pris », on est malin donc on ne veut pas payer.
Les dernières condamnations, aux Etats-Unis, de gens qui pirataient des titres, ça a été 300 000 dollars d’amende. Quand vous téléchargez un titre là-bas, vous vous dites qu’il y a vraiment un danger. C’est moins le cas dans les pays latins. La situation du marché français est à mettre en parallèle avec l’Espagne ou l’Italie, où la situation est encore pire.
« Quand une loi sensibilise l’internaute, les ventes numériques augmentent »
Pourtant, aux dernières élections européennes, en Suède, le Parti pirate a obtenu 7 ou 8 % des suffrages, il a même envoyé un député à Bruxelles…
Vous avez raison, mais la Suède est un cas très intéressant. Au début du deuxième trimestre, le 1er avril, une loi a été promulguée, qui est un peu l’équivalent de la loi Hadopi. Sur le deuxième trimestre, les ventes numériques ont alors progressé de 78 %, et le marché physique a également progressé. Cela veut dire que, quand une loi sensibilise l’internaute aux problèmes de piraterie, tout à coup, on constate quasiment un doublement du numérique et l’arrêt de de la chute des ventes de disques. C’est exactement ce que l’on attend de la Hadopi l’année prochaine.
Compte tenu de ce marasme, de cette méforme du secteur, dans quelle mesure les signatures d’artistes ont-elles été retardées, reportées, annulées ? La conséquence de la situation du marché est nécessairement aussi la baisse du nombre d’albums produits ?
Exactement. Je dirais que, durant la plus grande année, celle juste avant d’entrer dans la crise, il y avait environ eu 700 albums français de sortis. L’année dernière, il y en a eu 200. L’autre phénomène – c’est la première fois qu’on l’observait l’année dernière, et visiblement il se poursuit sur les six premiers mois de l’année –, c’est que le nombre de contrats rendus aux artistes est supérieur au nombre de nouveaux artistes signés. Or, historiquement, on en signait plus qu’on n’en rendait.
Ce qui a un impact direct pour l’amateur de musique, c’est qu’il va avoir de moins en moins de choix. C’est la diversité qui est mise en cause, parce que, effectivement, plus on signe d’artistes, plus il y a de choix pour le consommateur.
« Pour un titre téléchargé légalement, il y en a 20 qui le sont illégalement »
Que font les jeunes artistes ? Quelle est leur porte de sortie ? Se faire produire à l’étranger ? Quand on est un jeune artiste français, ce n’est peut-être pas forcément l’idéal. Il y a évidemment Internet : on en a vu émerger grâce à Internet depuis un an, un an et demi…
Il faut faire attention, parce que la grande majorité des artistes qui ont émergé par Internet ont émergé parce qu’ils avaient un producteur derrière. Il y a une vraie problématique de diversité culturelle, et c’est pourquoi les politiques doivent s’en saisir.
Vous n’êtes pas déçu de tout ce que vous avez pu voir, entendre, de la classe politique ? Est-ce que vous n’avez pas l’impression que le politique a contaminé le débat ? Il y a eu des passions complètement hallucinantes de part et d’autre, que ce soit chez ceux qui défendaient Hadopi, avec Nicolas Sarkozy en tête de gondole, et chez ceux qui étaient en face.
On a assez mal compris toute cette histoire, d’autant plus que des partis politiques, comme le Parti socialiste et le Parti communiste, ont voté la loi au Sénat alors qu’ils avaient voté contre à l’Assemblée nationale, ce qui est quand même d’une incohérence complète. Il est vrai que l’on n’a pas compris ce changement en quelques mois.
Ces partis étaient allés contre leur tradition de sponsor, de grand mécène de la culture française et des artistes français, ce qui avait provoqué un certain nombre de coupures entre Martine Aubry et des chanteurs ou des acteurs de renom ?
Tout à fait, les créateurs ne comprennent pas cette position. Cette loi rappelle simplement que le téléchargement illégal, comme son nom l’indique, est illégal. Or le problème, jusqu’à présent, c’est que, grosso modo, pour un titre acheté en téléchargement, il y en a vingt qui sont téléchargés illégalement, et les gens pensent qu’ils ont le choix entre 1 euro et la gratuité. Evidemment, ils vont donc télécharger gratuitement.
Il faut rappeler aux gens que ce n’est pas gratuit, que c’est risqué ; lorsque ce sera fait, tous les tests qui ont été faits à l’étranger et les études qu’on a faites en France semblent prouver qu’un tiers des gens vont arrêter dès qu’ils auront reçu un e-mail, et 90 % arrêteront quand ils auront reçu une lettre recommandée.
A ce moment-là, on fera décoller les offres. Il est intéressant de voir, et c’est un des points positifs de ce début d’année, que l’abonnement est en train de commencer. Je pense que dans les années qui viennent il y aura des formules d’abonnement avec lesquelles, pour x euros par mois, vous pourrez télécharger à peu près toute la musique que vous souhaitez.
« Il y a un mythe de la gratuit頻
Même les jeunes, donc ? Le souci d’un certain nombre de politiques au moment du vote de la loi Hadopi, c’était de ne pas se couper de tous ces jeunes qui sont sur le terrain et pour qui, traditionnellement, culturellement, Internet est gratuit…
Oui, mais je pense que le mythe de la gratuité, comme son nom l’indique, est un mythe. Murdoch se dit qu’il y a un problème et qu’il faudrait un système d’abonnement. On en est convaincus, chez Universal, depuis 2001, quand on avait lancé notre première plate-forme, la première plate-forme de téléchargement légal en France, qui s’appelait Ecompil. C’était un modèle d’abonnement, et je suis convaincu qu’une des révolutions que l’on va vivre dans le numérique, c’est l’abonnement. Vous paierez 7 ou 10 euros par mois, et vous pourrez télécharger toute la musique que vous souhaitez sans aucun problème.
Dans quelle mesure espérez-vous enrayer la chute des ventes grâce à la loi Hadopi ?
Si l’on regarde l’exemple suédois, l’idée est de stabiliser les ventes de disques physiques. Les gens continuent à aimer l’objet. Le vinyle explose aujourd’hui, on a ressorti du Marc Lavoine sous cette forme, le nouvel album de -M-, Matthieu Chedid, aussi, et il y a aussi l’idée de collector. On travaille de plus en plus sur les objets. Les gens aiment collectionner.
On voit aussi les Beatles remasterisés, le gros coffret…
Il s’agit de cela : l’objet, le cadeau, un disque sur deux achetés est offert. Cela reste un super cadeau, pas si cher que cela. D’un côté, il y a donc l’idée de stabiliser les ventes physiques, et, de l’autre, celle de faire exploser les ventes numériques, ce qui fera qu’à un moment donné on atteindra à nouveau les volumes que l’on a connus il y a quelques années.
« Les applications vont être une source de croissance »
Le CD aura toujours une existence, un avenir ?
Oui, il existera, et les objets vont être de plus en plus sophistiqués, pour que les gens soient heureux de les offrir.
Actuellement, on consomme la musique sur Internet, avec ces plates-formes de téléchargement légal ; vous en avez, il y en a d’autres. Sur les téléphones mobiles, il y a une grosse chute de tout ce qui est sonneries ?
Ce sont les sonneries téléphoniques qui chutent. Attention, je pense que ce marché-là va être remplacé par ce que l’on appelle les applications. Si vous avez un iPhone aujourd’hui, vous pouvez télécharger des applications. D’ailleurs, iTunes va lancer quelque chose sur l’habillage de l’iPhone, qui va être une espèce de sonnerie, tout un habillage, et je pense que les applications vont être une des prochaines sources de croissance du marché.
Et peut-être une autre source de croissance, votre passerelle, les liens que vous avez avec les éditeurs de jeux vidéo, les fabricants de consoles, parce qu’il y a des jeux vidéo où l’on peut télécharger des musiques. Cela a un avenir sérieux selon vous ?
Tout à fait, on voit qu’il y a de plus en plus de jeux, comme Guitar Hero – et j’en parle avec d’autant plus de tendresse que ça appartient à 51 % à Vivendi, qui est notre actionnaire. On voit aussi les jeux sur les Beatles, on va nous-mêmes commencer à en lancer, du karaoké, sur Wii, dans quelques semaines. Donc, effectivement, le jeu est aussi une manière de consommer des œuvres et de la musique, et de faire connaître des artistes.
(1) BFM Radio est une filiale du groupe NextradioTV, comme 01net.
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