Il s’agit d’une « bataille vitale pour la santé mentale des adolescents » : Meta, la société mère d’Instagram, de Facebook, et de WhatsApp, est attaqué par 41 États américains et le district de Columbia, rapporte le Wall Street Journal, mardi 24 octobre. Le motif principal est donné par le procureur général de la Californie, Rob Bonta, cité dans un communiqué : il s’agit, ni plus, ni moins, de « protéger nos enfants ».
Dans la plainte déposée collectivement par 33 États américains – d’autres actions sont menées séparément par huit autres États et le district de Columbia – le groupe de Mark Zuckerberg est décrit comme une société qui « exploite les jeunes utilisateurs à des fins lucratives ». L’entreprise collecterait aussi leurs données en violant les lois fédérales sur la vie privée des mineurs, selon ce document.
À la tête de cette fronde bipartisane d’une quarantaine d’États américains se trouvent Jonathan Skrmetti, procureur général républicain du Tennessee, et Phil Weiser, son homologue démocrate du Colorado. Pour les deux hommes, ces poursuites visent à protéger la santé publique des Américains contre des services jugés nocifs. Ces actions en justice seraient aussi importantes que celles menées contre les industries du tabac ou des opioïdes.
Qu’est-il reproché à Meta ?
Le groupe de Mark Zuckerberg est accusé de manipuler les jeunes utilisateurs. La société « conçoit et déploie des fonctionnalités pour capter l’attention des jeunes utilisateurs et prolonger leur temps sur ses plateformes ». Ses « algorithmes de recommandation encouragent une utilisation compulsive, que Meta dissimule ». Son « utilisation de notifications nuit à l’éducation et au sommeil des jeunes utilisateurs », relèvent les auteurs de la plainte. Autre point soulevé, parmi de nombreux autres : ses filtres visuels « font la promotion de troubles de l’alimentation ». Or, Meta « refuserait d’abandonner l’utilisation de fonctionnalités nuisibles connues », dénoncent les procureurs généraux.
La société de Menlo Park est aussi accusée de violer la réglementation sur les données personnelles des mineurs. Cette loi exige que les plateformes obtiennent le consentement parental pour les utilisateurs de moins de 13 ans, avant de pouvoir collecter des données personnelles, comme les noms, des adresses, des adresses électroniques, des données de localisation et des photographies. Mais en pratique, les moins de 13 ans n’ont qu’à cocher une case pour se créer un compte. Et comme les mineurs de moins de 13 ans sont techniquement interdits de Facebook et d’Instagram, Meta estime qu’il respecte bien la loi et qu’il n’a pas à obtenir un consentement parental des utilisateurs.
Enfin, on reproche au groupe de Mark Zuckerberg d’avoir cherché à dissimuler toute information montrant la nocivité de ses réseaux sociaux sur les jeunes utilisateurs – cette partie de la plainte est d’ailleurs censurée. L’entreprise aurait « redoublé d’efforts pour déformer, dissimuler et minimiser l’impact de ces fonctionnalités sur la santé mentale et physique des jeunes utilisateurs », écrivent les auteurs de la plainte. Pour preuve : les équipes de recherche de Facebook ont été dissoutes, et des restrictions d’accès aux données mises en place, après les révélations de Frances Haugen, explique le procureur Phil Weiser, cité par le Wall Street Journal.
Pourquoi cette coalition d’États américains ?
Ces révélations sont d’ailleurs le point de départ des enquêtes des procureurs, commencée deux ans plus tôt. En 2021, l’ancienne ingénieure de Facebook, Frances Haugen, dévoilait que Meta aurait privilégié les profits à la sécurité des jeunes utilisateurs. Pour la lanceuse d’alerte, Facebook savait qu’Instagram était « toxique » pour les adolescentes. Pour appuyer ses dires, l’ex-salariée avait fait fuiter près de 20 000 captures d’écran de documents internes. Certains faisaient état des recherches de l’entreprise sur les dangers de ses réseaux sociaux. Ces éléments ont été en partie repris par les procureurs généraux, dans leur plainte du 24 octobre.
Dans ces documents qui ont fuité, les ingénieurs de Facebook montraient qu’Instagram affectait négativement les adolescentes, en aggravant les troubles alimentaires et les pensées suicidaires. Après cette affaire, des appels à mieux réglementer les réseaux sociaux avaient été lancés. Sans succès, car depuis 2021, le législateur américain n’est pas parvenu à trouver un accord sur la façon de mieux régir ces plateformes, notamment pour davantage protéger les jeunes utilisateurs.
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Seuls quelques États américains comme l’Arkansas et l’Utah ont imposé le recueil d’un consentement parental pour les mineurs souhaitant accéder aux plateformes. En parallèle, des parents d’utilisateurs et des établissements scolaires ont aussi déposé plainte contre Meta et d’autres plateformes, accusant ces derniers d’avoir accru l’anxiété et la dépression des jeunes utilisateurs.
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Selon Phil Weiser qui s’exprimait lors d’une conférence de presse mardi, des pourparlers ont bien eu lieu entre Meta et des procureurs depuis le début de l’enquête. Mais Meta aurait refusé de modifier ses plateformes, de manière à réduire l’utilisation addictive des jeunes utilisateurs, ce qui aurait contraint les États à aller en justice.
Que répond Meta ?
La firme de Menlo Park s’est défendue en expliquant que ses produits étaient sûrs et adaptés aux jeunes utilisateurs. Elle a également cité un certain nombre de fonctionnalités mises en place pour améliorer le bien-être des jeunes, et renforcer les contrôles parentaux, dont « plus de 30 outils pour soutenir les adolescents et leurs familles ».
Contacté, un porte-parole de Meta a expliqué à nos confrères que le groupe partageait « la volonté des procureurs généraux de fournir aux adolescents des expériences en ligne sûres et positives ». Selon la firme, de nombreux adolescents trouvent un soutien et une communauté sur les réseaux sociaux.
Par cette action, les États américains cherchent à contraindre Meta à modifier les fonctionnalités (comme ses paramètres par défaut, et ses algorithmes) de ses réseaux sociaux, qu’ils estiment dangereux pour les jeunes utilisateurs. Ils demandent que Meta mette fin à ces pratiques, et paie des dommages et intérêts.
Problème : ce sont ces fonctionnalités et ces algorithmes qui « retiennent » les utilisateurs sur les réseaux sociaux – permettant alors à Meta de collecter des données à des fins publicitaires. Modifier ces éléments signifierait donc un manque à gagner pour la plateforme auquel elle ne renoncera que contrainte et forcée. Le groupe de Mark Zuckerberg est loin d’être le seul ciblé par ces préoccupations liées à la santé mentale des jeunes. Une autre fronde, d’une quarantaine d’États américains, vise aussi TikTok, pour les mêmes raisons. Le réseau social chinois est accusé d’avoir des effets nocifs sur la jeunesse. Annoncée en 2022, l’enquête est toujours en cours. Elle pourrait déboucher sur une action en justice similaire.
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Source : The Wall Street Journal