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Les secrets d’« Hello World », premier album composé avec une IA

Fruit d’une étroite collaboration entre un logiciel et des artistes, cette œuvre marque peut-être un tournant dans la façon de composer de la musique. Elle vient de sortir sur toutes les plateformes.

Dans les années 80, il était de tradition pour un développeur d’utiliser « Hello World » comme message de test pour initier un programme. Cet hommage aux débuts de l’informatique est au cœur de l’album de musique Hello World, édité par Idol et qui sort aujourd’hui sur notamment sur Spotify. Une référence qui fait un peu peur lorsque que l’on commence à écouter l’oeuvre, laissant redouter un ensemble électro uniforme et déshumanisé. Le résultat, ce sont 15 titres aux styles différents, même si l’ensemble sonne un peu trop métallique à notre goût. Tout ne nous a pas convaincu mais la démarche vaut carrément le détour. On a, par ailleurs, beaucoup aimé In The house of Poetry de Kyrie Kristmanson et la reprise complètement décalée du morceau classique Cold Song de Purcell.

Stromae séduit

François Pachet, le chercheur à l'origine du logiciel Flow Machines.
01net.com – François Pachet, le chercheur à l’origine du logiciel Flow Machines.

A l’origine du logiciel Flow Machines, qui a permis la naissance de cet album, Il y a François Pachet. Ce chercheur mélomane a dirigé le laboratoire Sony Computer Science Laboratory à Paris où nous l’avions rencontré en 2014. Son projet était de développer un programme capable d’imiter n’importe quel style de musique. Soutenu par les subsides de l’Union européenne, il a bouclé sa mission l’été dernier avec l’envie de confronter son logiciel à des artistes. Grâce à l’aide de Benoît Carré, chanteur-compositeur qui a adopté le nom d’artiste Skygge, il a réussi à convaincre plusieurs personnalités, dont Stromae, de se frotter à Flow Machines. On peut voir le résultat ci-dessous.

Le clip de la collaboration Stromae/Kisza et Flow Machines :

Générer du style musical avec des contraintes

La technologie reste la propriété de Sony. Les deux hommes n’en exploitent que la licence dans le cadre du label indépendant Flow Records qu’ils viennent de lancer. Mais revenons au fonctionnement de Flow Machines.

A la base, il a fallu collecter un gigantesque corpus de morceaux. Et faire travailler des chaînes de Markov, un modèle mathématique de probabilité en chaîne qui permet de générer de façon aléatoire des mélodies. L’utilisateur peut ainsi demander à Flow Machines de sortir un morceau « à la » Jean-Jacques Goldman. La machine va puiser des motifs récurrents dans les chansons de Goldman et les recombiner. On reconnaîtra le style de l’auteur sans que le résultat soit du plagiat. L’inspiration ne vient pas forcément d’un artiste en particulier, on peut choisir une époque, un pays ou un genre comme le jazz américain des années cinquante ou la musique française des années 80.

L'album Hello World est le premier du label Flow Records.
01net.com – L’album Hello World est le premier du label Flow Records.

« La difficulté n’est pas de générer des mélodies, c’est de les générer sous contraintes », nous explique toutefois François Pachet. Pour y parvenir, lui et son équipe ont mis en œuvre des méthodes d’optimisation combinatoires permettant au morceau de retomber sur ses pattes, quelle que soit la modification opérée. L’utilisateur peut ainsi déterminer un certain nombre de notes, un type d’accord ou encore un rythme particulier pour tordre le style de l’artiste dont il s’inspire. Mais tout cela n’est que la première étape du travail comme on peut le voir dans cette démonstration en vidéo du logiciel qui reprend tout le processus d’élaboration de The house of Poetry.

Après avoir donné à la machine quelques grandes lignes de ce qu’il désire, l’artiste écoute le résultat et conserve ou non les propositions de l’IA qui vont se servir de base à la partition.

L’artiste reste aux commandes

Il faut fournir ensuite une maquette au producteur, puis orchestrer le titre. « Il y a de très nombreux cas de figures différents dans l’album », nous détaille François Pachet. « Certaines paroles ont été générées, d’autres écrites, des voix et des instruments sont artificiels mais d’autres ont été enregistrés en studio ». Le chercheur producteur réfute en revanche toute perspective de produire des albums entièrement avec Flow Machines. « On peut toujours appuyer sur des boutons mais cela ne sert pas à grand chose si l’on ne sait pas faire de chanson. Or, on ne s’improvise pas songwriter. Il faut une intentionnalité, une envie de dire quelque chose », assène-t-il.

Benoît Carré a assuré la production de l'album "Hello World" et l'interface avec les artistes.
01net.com – Benoît Carré a assuré la production de l’album “Hello World” et l’interface avec les artistes.

Reste à savoir pourquoi Spotify fait la promotion de cet album. Certes, la plateforme a embauché récemment François Pachet pour diriger un laboratoire de recherche. Tâche à laquelle il ne s’est pas encore attelé. Mais Spotify envisage-t-il de produire ses propres titres à l’aide de Flow Machines ? La question reste en suspens, étant donné la propension du service à vouloir nous servir de la musique au kilomètre. Cela ne le dispenserait en tous cas pas de payer des droits d’auteur aux artistes utilisant le logiciel et aux œuvres servant d’inspiration, ce qui a été fait pour Hello World.

De notre côté, on se prend à rêver d’une évolution plus radicale de Flow Machines. Une version où la machine, au lieu de puiser sa source dans des œuvres qui existent déjà, créerait des mélodies d’elle-même. Comme AlphaGo de DeepMind qui a fini par cesser de s’inspirer des parties jouées par de vrais champions de Go. En apprenant par elle-même, elle a fini par se montrer plus performante et novatrice dans ses combinaisons et stratégies. La machine pourra-t-elle un jour se montrer plus originale et créative que l’homme dans le domaine de la musique ?

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Amélie Charnay