‘ Ce marché ne décolle pas ‘, affirme tout de go Luc Perraudin, le responsable marketing de la direction entreprise de Bouygues Telecom. Un an après le lancement,
l’offre push to talk du troisième opérateur mobile n’a séduit qu’un petit millier d’utilisateurs. ‘ Beaucoup de nos clients sont
tentés, mais dubitatifs. ‘
Ils se demandent si la technologie, qui ajoute la fonction talkie-walkie aux téléphones GSM traditionnels, fonctionne correctement. D’ailleurs, aucun d’entre eux n’a équipé une
flotte sans avoir essayé le service au préalable.Même son de cloche chez Orange. Ce dernier ne souhaite pas dévoiler le nombre de clients qui ont souscrit à
son offre Talk Now.
‘ Notre flotte la plus importante compte plusieurs centaines de terminaux ‘, se contente d’indiquer Denis de
Drouas, responsable du département VPN chez Orange Entreprises.L’attitude des clients d’Orange et de Bouygues est similaire : ils prennent d’abord quelques terminaux en test avant de s’équiper de manière plus conséquente. Ceux de SFR ne se posent même pas la
question, puisque l’opérateur ne propose pas cette technologie.
Des interrogations sur l’usage
Côté services, on retrouve le même menu chez les deux opérateurs. Concrètement, il suffit de créer sur le mobile un groupe d’appels et les utilisateurs de ce groupe sont automatiquement affichés comme étant disponibles ou non (un
service de présence similaire à celui des messageries instantanées traditionnelles). Par une simple pression sur une touche, l’appelant contacte une ou plusieurs personnes (appel de groupe).Malgré l’intérêt d’une telle solution, les clients se montrent hésitants, tant sur l’usage que sur les technologies. Même si, de l’aveu des opérateurs, les problèmes rencontrés au début ont tendance à
s’estomper. En effet, durant les premiers mois, le système affichait des temps de latence trop importants pour une solution censée instaurer une communication instantanée.Sur ce plan, les deux opérateurs ne sont pas sur la même longueur d’onde. ‘ Nous avons un temps de latence de plusieurs secondes pour l’initiation de la session, puis de 1,5 à 2 secondes pour
les appels suivants ‘, annonce-t-on chez Bouygues Telecom qui a opté pour un service de voix sur IP sur le réseau GPRS. Orange, quant à lui, a choisi une solution sur réseau GSM, on reconnaît également un temps de latence un
peu long lors de l’initiation de session, mais l’opérateur assure que les appels suivants sont instantanés. Cet écart de performance s’explique par les choix technologiques.Le délai de transport en mode paquet est de 1 à 3 secondes contre 1 à 2 secondes en mode GSM dans l’initiation de la session. Cela provoque durant une conversation en IP, un délai d’attente environ deux fois et
demi plus long que pour une conversation sur GSM.Autre problème, les offres proposées par les deux opérateurs ne sont pas interopérables. Un utilisateur d’Orange ne peut joindre un utilisateur de Bouygues. En juin dernier, l’Open Mobile Alliance (OMA) a finalisé une
première spécification dans le but de résoudre ce problème.L’option GPRS présente toutefois un avantage malgré son temps de latence plus élevé. Ainsi, le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) teste les deux solutions. ‘ Talk Now,
d’Orange, est basé sur le réseau GSM, et si nous devons intervenir sur un événement particulier, le risque de voir le réseau mobile saturé n’est pas négligeable ‘, estime le commandant Urbaniak, chargé des
systèmes d’information à la gendarmerie.Le risque, avec Instant Call, de Bouygues Telecom, est moins important selon l’officier. Quoi qu’il en soit, sur des missions vraiment sensibles, il est hors de question d’employer cette technologie non sécurisée.
Le GIGN continuera donc d’utiliser ses propres réseaux (Rubis et Corail, basés sur un réseau PMR à la norme Tetrapol). Le commandant précise d’ailleurs que l’utilisation éventuelle d’un système civil, comme le
push to talk, se ferait pour des besoins complémentaires, sans toutefois entrer dans les détails.
Une absence de transmission de données pénalisante
La Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR) a également testé la fonction talkie-walkie sur téléphone GSM. ‘ Nous en avons pourvu une équipe de maintenance pendant deux mois ‘,
témoigne Daniel Lauton, du département Télécoms. Les huit techniciens étaient plutôt satisfaits du service, même s’il ne répondait pas complètement aux besoins. L’instantanéité est à la fois le point positif du système mais aussi sa
limite. ‘ Si la personne, qui reçoit l’appel, n’est pas en mesure de l’entendre en raison du bruit de l’autoroute, le message est perdu ‘, affirme Daniel lauton.En revanche, quand une personne appelle pour avoir des informations sur la réparation qu’elle est en train d’effectuer, la SAPRR s’est rendu compte que le système était parfait pour la mutualisation des
connaissances. Dans le cadre de l’appel de groupe, les techniciens répondaient spontanément pour dépanner leur collègue en difficulté. Finalement, la société d’autoroutes n’a pas transformé l’essai et devrait pencher pour
une solution autorisant les techniciens en mission sur le terrain à accéder aux documentations des équipements.Et le choix dans les terminaux reste quelque peu limité. Chez Bouygues Telecom, l’utilisateur ne trouve qu’un terminal Motorola, le seul compatible avec la plate-forme de l’opérateur. De son côté, Orange qui
s’était lancé avec le seul smartphone Tréo propose, aujourd’hui, une gamme de cinq terminaux (LG, Palm, Nokia, Sagem, en plus du premier), dont un à coque durci adapté aux interventions en extérieur.
Concurrence frontale avec les réseaux radio
Il semblerait que les entreprises assimilent ce service à la PMR (Private Mobile Radio), alors que, même s’il en a la couleur, il n’en a sûrement pas l’efficacité. Cette confusion a été
engendrée par les opérateurs eux-mêmes. En effet, ils ont positionné ce service en concurrence frontale avec les réseaux privés radio, comme le proposait Dolphin Telecom, avant
sa disparition il y a deux ans.Ce service, à la norme Tetra, était principalement utilisé par les entreprises ayant des besoins très précis en termes de qualité et d’instantanéité. Pour leur part, cette technologie n’est pas en mesure de traiter des
appels prioritaires. Si le réseau GSM est saturé, les appels ne sont pas mieux acheminés qu’un appel traditionnel.Il semblerait, malgré tout, que les utilisateurs et testeurs soient séduits par cette fonction. De même, si les opérateurs reconnaissent que les ventes ne sont pas à la hauteur de leurs espérances, ils continuent d’y
croire.Le succès de Nextel aux Etats-Unis leur laisse espérer des lendemains meilleurs. L’opérateur américain, racheté par Sprint en décembre 2004, compte, aujourd’hui, quelque 15 millions d’abonnés. Mais il est vrai
que Nextel ne vendait à l’origine que ce type de service.Il le propose désormais avec des services de communications cellulaires traditionnels. Les autres opérateurs mobiles, y compris étrangers, qui tentent de lancer le push to talk, comme Orange ou Bouygues Telecom, ont
tous du mal à convaincre les utilisateurs de la pertinence de cette technologie. Sans doute à cause d’une volonté toute relative d’en faire la promotion.
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