D’un côté, le mal d’une époque, le piratage en ligne, sous toutes ses formes, et la lutte qui s’ensuit. De l’autre, un droit fondamental, la liberté d’expression. A priori, les deux concepts ne semblent rien avoir en commun, et pourtant…
Un DMCA qui commence à dater…
Aux Etats-Unis, la protection des droits d’auteur en ligne est assurée par un texte célèbre, le Digital Millennium Copyright Act, qu’on connaît plus souvent sous son appellation de DMCA. Une loi américaine, certes, mais dont les répercussions vont bien au-delà des frontières états-uniennes et donnent le tempo dans de nombreux pays.
Cependant, cette loi a été adoptée en 1998, alors que le Net s’ouvrait doucement au grand public. Autant dire qu’en presque un quart de siècle, le monde numérique a énormément changé, avec l’apparition de plates-formes de vidéos en streaming, avec la montée en puissance des cyberlockers, comme Megaupload en son temps, Hotfile, ou encore Mega désormais, ou encore avec l’utilisation des réseaux sociaux divers et variés comme moyens de dispersion des accès aux contenus pirates.
Le fruit d’une consultation publique
C’est dans ce contexte, et pour satisfaire à des demandes de plus en plus formelles et nombreuses de lobbies anti-piratage et de législateurs, comme les sénateurs Patrick Leahy, Démocrate, et Thom Tillis, Républicain, que le Bureau du Copyright américain a ouvert, il y a quelques mois, une consultation publique sur les mesures techniques à identifier et prendre pour lutter contre les violations du droit d’auteur en ligne. L’objectif était de déterminer quelle voie prendre : une nouvelle loi, des amendements au DMCA, etc.
Lancée en février dernier, cette consultation a reçu la participation de nombreux acteurs, venant d’horizons différents et ayant des positions très diverses par rapport aux multiples options technologiques envisageables pour lutter contre le piratage. Des options réparties en deux catégories : les mesures techniques volontaires et les mesures techniques standards.
Une attention toute particulière a été accordée aux solutions automatisées, notamment celles qu’on appelle upload filters, et qui empêchent la (re)mise en ligne de contenus pirates.
Ces outils impliquent soit une volonté des acteurs de les mettre en place, soit une obligation légale de s’y soumettre.
Les représentants des ayant droits sont évidemment en faveur d’un durcissement du ton et des outils, avec des mesures anti-piratage soutenues par le gouvernement et de nouvelles lois. Rappelons que le DMCA peut être amendé avec de nouvelles mesures si elles reçoivent un « consensus large ». Ce qui n’est jamais arrivé au cours des vingt dernières années. C’est ainsi que les différents acteurs se sont retrouvés à développer leurs propres outils, chacun de leur côté, comme le système de Content ID, de YouTube.
Un désaccord de fond, la liberté d’expression menacée
Face à cet état de fait, qui n’endigue pas le piratage, les ayant droits ont eu l’occasion d’exprimer leur frustration pendant la consultation. Toutefois, les conclusions de l’Office du copyright sont beaucoup plus prudentes.
« Si les commentaires partagent quelques thèmes communs, nous avons observé un manque de consensus sur l’apport des mesures techniques standards et un profond désaccord à propos des propositions pour de nouvelles lois ou des actions réglementaires. », explique l’Office dans une lettre envoyée aux deux sénateurs.
Car, lors de la consultation, les upload filters ont suscité une véritable levée de bouclier aux Etats-Unis. D’une part, comme l’indique le rapport de l’Office fédéral « une approche unique pour tous les cas pour l’application des mesures techniques » n’est pas envisageable. D’autre part, les détracteurs de ces outils avancent qu’il s’agit d’une censure a priori, d’un moyen d’empêcher la liberté d’expression.
Car, et c’est une constatation partagée par tous les contributeurs en règle générale, la technologie n’est pas fiable à 100%. Autrement dit, ces outils pourraient tout aussi bien bloquer un contenu pirate qu’un contenu bénéficiant du fair use ou une création originale prise pour un contenu protégé.
Dans son rapport final, le Bureau fédéral se fait écho de ses réticences fortes et met en avant les risques lourds pour la liberté d’expression en ligne si de telles solutions technologiques étaient mises en place.
En définitive, sans apporter de proposition pour les mesures techniques volontaires, l’Office préconise d’éviter les décisions trop radicales et de plutôt s’orienter vers des ajustements du DMCA. Ainsi, la légère modification de la définition des mesures techniques standards pourraient permettre une implémentation plus facile de certains outils. Par exemple, la clarification de la section 512 qui évoque les notions de « consensus large » et de « multi-industrie » pourrait aider à la lutte contre le piratage, sans forcément nuire à la liberté d’expression. L’office indique qu’il pourrait être précisé que seules les industries concernées doivent trouver un accord, par exemple.
Reste maintenant à savoir ce que les législateurs vont faire de ce rapport et de ces propositions. Cette position plus modérée est en effet assez loin des propositions des Sénateurs Leahy et Tills, qui introduisaient en mars dernier leur SMART Copyright Act pour combattre le piratage, sans trop se soucier des moyens techniques utilisés et de leurs effets sur les libertés fondamentales…
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Source : TorrentFreak