Deus Ex : Human Revolution était une esquisse, la déclaration d’intention d’un studio récemment créé, Eidos Montréal. Intéressante, mais percluse de problèmes (boss, taille de cartes), cette incursion dans le monde cyberpunk de Deus Ex avait cependant installé les fondations du renouveau de la série, avec ce changement de caméra (première ou troisième personne) selon les besoins du moment et les augmentations (pouvoirs) utilisées. S’il ne révolutionne pas la formule, Mankind Divided affine sa proposition de jeu.
De la suite dans les idées
Se déroulant deux ans après les événements de Human Revolution, Mankind Divided met en scène un univers quelque peu changé par les actions de Jensen et des Augmentés (nommés Augs ou Câblés), ces êtres humains améliorés par la technologie. Après une vague de meurtres dus à des Augs qui ont perdu le contrôle, les discours éloquents sur les modifications mécaniques ne sont plus à l’ordre du jour.
Désormais, ceux qui ne sont plus naturels sont parqués dans des ghettos surveillés par la police, et la ségrégation est visible partout : restaurants refusant les Augs, wagons réservés aux Naturels dans le métro, insultes constantes lancées au visage des Câblés… Cela, Jensen, comme tous les autres Augmentés, doit y faire face, notamment à Prague, la ville où commence l’action de Mankind Divided.
Seul son statut spécifique d’agent lui permet de passer outre certaines interdictions. Envoyé à Prague avec la Task Force 29, une division d’Interpol, après une mission à Dubaï qui sert de tutoriel, le voilà qui s’interroge désormais sur les véritables objectifs de ses alliés, tout en enquêtant sur un attentat perpétré dans le métro. Il y a de la conspiration dans l’air… Avec Mankind Divided, Eidos Montréal semble avoir pris du galon dans sa partie écriture.
Si l’on sent venir un certain nombre d’événements, ou en tout cas l’allure générale de la trame narrative, cette dernière est suffisamment riche en personnages et organisations (une véritable toile d’araignée), et en révélations inattendues pour tenir en haleine. Oui, Mankind Divided est un excellent thriller politico-cyberpunk. Mais c’est évidemment du côté de l’interaction avec son environnement lors des phases d’action que cet épisode brille vraiment.
Casser le moule ?
Contraint par le moule du tout premier Deus Ex, Human Revolution proposait un level design trop ancré dans le passé, avec ses caisses à empiler pour atteindre certains passages. Les caisses sont toujours là, de même que certains éléments qui font l’ADN de Deus Ex (exploration en ville, longs dialogues), mais à chaque instant on sent désormais une véritable envie de rendre la progression plus naturelle, plus fluide. Un coup d’œil sur la carte suffit généralement à comprendre la structure générale d’un niveau, et ce même s’ils ont tendance à se complexifier au fur et à mesure de l’avancée.
D’ailleurs, pour se déplacer, on profite désormais de plusieurs types d’ergonomies, celle proposée de base répondant déjà parfaitement. Cette volonté de rendre chaque élément plus naturel se voit dans l’infiltration, où l’on profite d’un système cover-to-cover (couverture à couverture) automatisé, plus performant et précis que dans n’importe quelle autre tentative du genre (The Division, par exemple), puisque le tracé est affiché en surbrillance.
Même constat pour le piratage, plus évident, sans être simpliste. Côté pouvoirs, si l’on retrouve ceux de Human Revolution, d’autres font leur apparition grâce à un twist scénaristique plutôt bien amené. Cependant, en choisir un ou plusieurs oblige le joueur à se débarrasser (pour toute la partie) d’un ou de plusieurs des pouvoirs originaux. Il va donc être nécessaire d’équilibrer ses pouvoirs et de réfléchir à son approche générale de la partie. En fait, ce qui est passionnant d’un point de vue de game design, c’est la capacité d’Eidos à justifier chaque élément de gameplay par le scénario, et inversement. Tous les éléments du jeu sont liés, plus interconnectés que jamais.
Esthétiquement, le tout doré de Human Revolution a laissé la place à une patte graphique plus passe-partout, plus classique et froide, avec cependant de belles architectures et statues, ainsi que des publicités qui jouent avec les repères visuels du joueur. Certaines poussent d’ailleurs à poser le pad tant l’effet est saisissant (la publicité pour des pilules à Prague) ! Pour le reste, on retrouve très largement les forces et faiblesses du moteur du studio, même revisité, avec des visages pas toujours réussis, mais des décors propres et lisibles. Et la lisibilité, pour un jeu d’infiltration, ça compte. Beaucoup.
Quelques problèmes bien présents
Au rayon des problèmes les plus visibles, impossible de passer sous silence les multiples décrochages de la synchronisation labiale, ainsi qu’un doublage français qui oscille entre le très bon et le vraiment moyen. En règle générale, les doublages des personnages principaux sont parfaitement crédibles, quand les seconds couteaux et passants laissent un arrière-goût d’expédié.
Par ailleurs, lors des dialogues, les animations semblent surjouées, certains interlocuteurs agitant les mains ou multipliant les mimiques. Ce qui marche plutôt bien pour un personnage volontairement comique comme Smiley, le responsable médico-légal, ou avec un des parrains de la mafia locale, mais ne fonctionne pas avec de nombreux autres. On a aussi noté quelques chutes de frame-rate, mais rien qui empêche de jouer proprement.
Par ailleurs, ainsi que nous l’avions évoqué précédemment, l’IA joue avec les nerfs du joueur, parfois capable de vous repérer tout de suite lorsqu’une alerte a été sonnée, parfois complètement à la rue. Et, en même temps, jouer des déficiences de l’IA, jouer avec les systèmes, a toujours été une des marottes des joueurs de Deus Ex. Ici, il nous a par exemple été possible d’éliminer un clan mafieux en déclenchant simplement le klaxon d’une voiture, ce qui a provoqué les gardes qui se sont mis à nous tirer dessus. Conséquence logique, cela a déclenché le script des drones de police qui ont éliminé la menace, sans qu’on ait à sortir notre arme. De même, pour sauver un agent allié des ennemis l’assaillant, il a suffi de lui infliger un takedown (pour l’assommer) qui l’a rendu intouchable, puisqu’à terre et inconscient…
Enfin, toujours au rayon des reproches, on sent qu’il y a encore une certaine rigidité, une tension dans ces transitions entre première et troisième personne, notamment lors des takedown. Et ce même si on peut constater les efforts du studio pour accélérer et dynamiser la mise en scène de ces moments. Avec sa conspiration, ses longs dialogues – qui constituent l’ADN de Deus Ex, la possibilité de refaire le jeu plusieurs fois en variant les approches ou le choix des compétences, Mankind Divided affirme et approfondit son approche. Un vrai Deus Ex qui, tout en imposant des évolutions et en affinant son approche de la série, a su garder un œil sur ses fondamentaux. Sans s’y perdre.
Verdict 17/20
Si le goût de la nouveauté n’est plus tout à fait là, Mankind Divided fait honneur à la franchise, tout en affirmant la forme esquissée dans Human Revolution. Un excellent thriller cyberpunk.
Jouabilité 4/5 Plus agréable et fluide que Human Revolution, il se prend en main rapidement, même s’il faut parfois chercher dans les aides de jeu.
Graphismes 3/5 Plutôt joli dès qu’il s’agit de mettre en scène l’univers, Human Divided est moins convaincant du côté des visages.
Bande-son 4/5 Les voix oscillent entre le très bon et le très moyen. Heureusement, la bande-son met bien dans l’ambiance cyberpunk.
Durée de vie 4/5 Difficile à dire tant elle dépend de votre style de jeu, des quêtes secondaires jouées, ou de Breach. Et puis il y a un New Game + !
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