Les drones sont-ils trop souvent utilisés pendant les manifestations, sans respecter les garde-fous mis en place par le législateur ? C’est ce que pense Serge Slama, professeur de droit public et membre de l’association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico). L’homme est à l’origine d’une procédure en référé – une procédure d’urgence – qui a donné lieu à une ordonnance du tribunal administratif de Grenoble du 8 juillet, une décision de justice qui pourrait faire date.
Les magistrats ont estimé que l’utilisation de deux appareils qui avaient survolé pendant une heure les 250 manifestants rassemblés aux abords du palais de justice de Grenoble, trois jours plus tôt, constituait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le droit à la vie privée. Ils ordonnent à la préfecture de l’Isère de transmettre une copie des images filmées et des données capturées par les drones à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Une fois ce partage effectué, ils lui demandent de supprimer toutes les informations recueillies via ces drones qui auraient fini dans des rapports de police.
L’utilisation de drone : un usage disproportionné pour une petite manifestation ?
Il était un peu plus de 18 heures ce mercredi 5 juillet, lorsque près de 250 personnes se regroupent aux abords du palais de justice de Grenoble : un rassemblement pacifique intitulé « Justice pour Nahel : ensemble contre le racisme et les violences policières », est-il écrit dans la requête en référé. Parmi eux, Serge Slama, qui constate qu’un drone les survole. Le professeur s’étonne, auprès de 01net, de cette utilisation : « C’était une manifestation de 250 personnes encadrée par une compagnie de CRS, ils avaient un hélicoptère, ils avaient coupé les trams, quel est l’intérêt d’un drone dans ce cas-là ? », questionne-t-il.
Car depuis 2020, les forces de l’ordre peuvent avoir recours à des drones à titre subsidiaire. Comprenez : cette technologie est utilisée seulement si aucun autre moyen de maintenir l’ordre public n’est possible. « On peut comprendre un tel recours en cas de manifestation monstre, ou en cas de concert au stade de France », souligne-t-il. Mais ici, il s’agissait vraisemblablement d’une « petite manifestation ».
Demande au préfet, publication d’un décret, information au public… Les conditions du recours au drone
Pour utiliser ce type d’appareil, les policiers doivent suivre une procédure assez stricte. Ils ont l’obligation de faire une demande au préfet, en expliquant pourquoi ils ont besoin des drones dans une telle situation. Si ce dernier estime que la demande est justifiée, le représentant de l’État prend alors un arrêté très précis. Non seulement la plage horaire et le périmètre dans lequel le drone va être utilisé doivent être spécifiés. Mais l’arrêté doit être publié à temps, pour pouvoir être contesté.
Au sein de la manifestation, Serge Slama vérifie, ce mercredi-là, qu’un arrêté préfectoral a bien autorisé le recours à cette technologie attentatoire aux libertés. Surprise : aucun texte n’a été publié au recueil des actes administratifs (RAA). Il interpelle alors le préfet de l’Isère sur Twitter, avant de former un recours.
Monsieur @Prefet38 un drone policier vient de survoler la manifestation devant le tribunal judiciaire sans qu’aucun arrêté ne soit publié au RAA. Le respect des exigences du CSI ne fait pas partie de vos obligations ?https://t.co/HIYaDc9OHV https://t.co/X8KSwmCUjH pic.twitter.com/mz5bo5Uw8a
— Serge SLAMA (@combatsdh) July 5, 2023
Et le 8 juillet, le tribunal administratif de Grenoble tranche en sa faveur. Si un arrêté a bien été pris, il concernait un autre lieu (une autre place de Grenoble) sur laquelle les manifestants ne se sont pas rassemblés. Et surtout, il a été publié après la manifestation – difficile dans ce cas de contester une utilisation qui a déjà eu lieu. Autre problème : les manifestants doivent normalement avoir été informés de l’usage de drones – ce qui n’a pas été le cas pendant ce rassemblement.
Aucune donnée n’aurait été enregistrée par les drones, selon la préfecture
En défense, la préfecture a expliqué qu’informer les personnes présentes à ce rassemblement « entrait en contradiction avec les objectifs poursuivis de la mission » et que les images tournées n’avaient pas été enregistrées. Elle estime qu’aucun droit n’a été violé puisqu’aucune donnée personnelle n’a été enregistrée, détaille l’ordonnance. Pourquoi alors avoir utilisé ce type d’appareil ? Aucune explication n’est donnée à ce sujet.
Serge Slama veut, pour sa part, en avoir le cœur net. « Il y a forcément des données qui ont été collectées. Reste à savoir lesquelles : l’enjeu, c’est que la CNIL les récupère », explique-t-il, ajoutant qu’il allait saisir cette autorité en charge du respect de nos vies privées.
« Les préfets utilisent aujourd’hui les drones pour vraiment tout et n’importe quoi »
Par son action, Serge Slama souhaite surtout mettre le holà sur le recours à cette technologie, devenu trop fréquent, estime-t-il.
« Ce que je souhaite, c’est mettre un coup de frein. Les préfets utilisent aujourd’hui les drones quasi systématiquement, pour vraiment tout et n’importe quoi. Ce n’est pas du tout l’esprit du texte. Ils doivent comprendre que le drone doit seulement être utilisé en cas d’événement de très grande ampleur, comme la venue d’un chef d’État, un match au stade de France, une énorme manifestation ou s’il y a des débordements », souligne le membre de l’Adelico.
Car utiliser un drone n’est pas anodin en termes de vie privée et de liberté : un drone porte atteinte à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’expression, à la liberté de manifester, rappelle-t-il. « Même en volant à plus de 100 mètres au-dessus de vous, ce type d’aéronef peut voir la marque de vêtements que vous portez, il peut voir à l’intérieur des bâtiments, sur votre terrasse », poursuit-il.
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Et puisque les drones sont désormais autorisés sous certaines conditions – de quoi nous faire « basculer dans une autre ère de la surveillance », déplore-t-il – respectons strictement les garde-fous mis en place, dit-il en substance. Le préfet peut encore faire appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État dans un délai de quinze jours.
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En conclusion, les manifestants et autres casseurs ont tous les droits, mais la police n’a pas le droit de les surveiller, au risque de se faire casser la figure ou se faire encercler. Attendons qu’un jour ce cher Mr Slama se retrouve entre manifestants et policiers. Vers qui ira t-il pour se protéger?
A Dom, la bonne vielle technique de lassimilation des manifestants a des casseurs. L’Etat de droits confère des droits a tout un chacun sinon c’est la loi du plus fort. A ce sujet, les forces de l’ordre possèdent et font usage d’armes léthales (sous conditions édictées par la loi) à la différence des manifestants non aux services d’intérêts privés (seules une dictature surveille sa population) mais pour le maintien de l’ordre public (aussi SNMO). Enfin, la liberté d’expression est un droit fondamentale obtenu de longues luttes couteuses en vie humaine consacré partout dans les pays civilisés, ne vous en déplaise.