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David Bowie, mort d’un visionnaire du numérique

Chanteur, évidemment, acteur, également, David Bowie était aussi un homme connecté et visionnaire qui a perçu très rapidement ce que le Net allait changer dans nos vies. 

David Bowie est mort hier, dimanche 10 janvier, et avec lui, Ziggy Stardust, le Thin White Duke ou encore Lazarus. Autant d’avatars bien réels, incarnations scéniques et musicales d’un artiste précurseur. 

On se souviendra de lui évidemment pour son talent musical et les dizaines de titres inoubliables qu’il a composés et interprétés au fil de ses cinquante ans de carrière. Mais il était aussi un homo numericus, un visionnaire à la croisée du Net et de la création musicale. Une sorte de dandy geek de grande classe.

Une âme nomade

David Bowie était l’un de ceux tombés sous le charme de Lara Croft lors de ses premières aventures…. même si on se sait pas dans quelle mesure cet amour n’était pas lié au fait qu’Eidos éditait également un jeu auquel il a contribué : Nomad Soul.

Développé par les Français de Quantic Dream, studio du désormais célèbre David Cage, Nomad Soul, s’il était assez particulier, avait été touché par la grâce. Ce sont une dizaine de chansons et pas moins de cinquante nappes de sons d’atmosphère que le musicien (et son guitariste Reeves Gabrels) avaient enregistrées pour ce jeu dans lequel Bowie incarnait deux personnages.

On se souviendra ainsi l’avoir vu – sous la forme d’un autre avatar, virtuel cette fois – incarner le chanteur du groupe The Dreamers dans ce titre. Si les pixels et les polygones étaient gros, nous étions en 1999, la capture du visage et de la performance de David Bowie était suffisamment incroyable pour que seize ans plus tard on s’en souvienne encore avec émotion.

Car les jeux vidéo étaient pour le chanteur une forme d’art, comme la musique ou le cinéma. Intéressé par les ordinateurs pour la création, David Bowie a également très vite saisi l’intérêt d’Internet.

Le Web, un monde en soi

Il y a d’abord son site Web, qui a traversé les décennies en conservant, chose rare, ses archives. Site qui est bien plus qu’une vitrine. Bowie voyait le Net comme une extension de son processus de pensée et déclarait en octobre 1999 à propos du Web : « Je trouve que nos esprits vont si vite que nous ne pouvons pas physiquement accomplir tout ce qui se passe dans nos cerveaux ». Le numérique était donc un espace où s’épancher, se prolonger et communiquer.

C’est sur son site qu’il a organisé également un concours de composition de chanson. Le vainqueur a vu son titre figurer sur l’album Hours, sorti en 99. Un album qui a également été distribué en MP3 sur le Web via une plate-forme qui a depuis disparu.

La révolution du numérique

David Bowie avait compris rapidement que la dématérialisation de la musique et des médias allait bouleverser la donne. Au point qu’en 2002, il prédisait tout à la fois la mort du Copyright – qu’on attend toujours – et l’avènement de nouveaux modes de consommation de nos albums préférés. « Je suis tout à fait sûr que le copyright, par exemple, n’existera plus dans dix ans », expliquait-il. « La musique elle-même va devenir l’équivalent de l’eau courante ou de l’électricité. »

Une ère du partage – qui existe bel et bien, elle, malgré les ayant-droits – où les artistes continuent de créer et vivent, non pas en vendant des disques, mais en remplissant des salles. Il lançait ainsi : « Vous feriez mieux de vous préparer à faire beaucoup de tournées parce que ce sera le seul moyen de gagner de l’argent. C’est terriblement enthousiasmant. Mais d’un autre côté, peu importe que vous pensiez que c’est enthousiasmant ou non, c’est ce qui va arriver ».

Une ère où la musique ne s’achète plus en album mais à l’unité ou se « loue », comme c’est le cas avec Spotify ou Deezer.

Une voie de partages et d’échanges

Conscient de l’importance du Net, David Bowie avait d’ailleurs lancé Bowienet, son propre FAI, qui a fait long feu depuis mais témoigne d’une vision… C’était en décembre 1998 et on se connectait encore en bas débit, via un modem RTC, mais David Bowie voyait déjà tout le potentiel de ce nouvel espace : « Je voulais créer un environnement où, pas seulement mes fans, mais les fans de toutes les musiques pouvaient faire partie d’une seule communauté où de vastes archives de musique et d’informations seraient  accessibles, où des points de vue seraient partagés et des idées échangées ».

Pour une dizaine de livres sterling, l’abonné accédait à Internet et bénéficiait de 20 Mo pour créer ses pages perso. Bowienet se rêvait également en portail de contenus, où le chanteur organisait des sessions de chat avec les internautes et animait une Webradio. En 2000, il remportait ainsi un prix du BAFTA, le Berners-Lee award pour la meilleure contribution personnelle à l’industrie interactive.

David Bowie est mort mais son dernier album sorti le 8 janvier dernier, jour de son 69e anniversaire, est là, comme un ultime cadeau. C’est ce que déclarait en tout cas son producteur historique, Tony Visconti sur son compte Facebook. « Sa mort n’a pas été différente de sa vie, une œuvre d’art. Il a conçu Blackstar pour nous, comme cadeau d’adieu. […] Il sera toujours avec nous. Pour l’heure, pleurer n’est pas honteux »

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Pierre FONTAINE