Le multivers qu’est Internet est parcouru de milliers de vies et d’anecdotes, contes de fée ou cauchemar primal. La vie de Kristoffer Koch se range plutôt dans la première catégorie. En 2009, ce jeune Norvégien était étudiant et rédigeait sa thèse sur le chiffrement des informations. Au fil de ses recherches, il était tombé sur une cryptomonnaie, alors toute jeune, Bitcoin. Alors, pour voir ce que c’était et parce que l’idée lui semblait amusante, Kristoffer Koch a dépensé 150 couronnes, l’équivalent d’environ 19 euros d’alors pour acheter des Bitcoin. Puis, il a soutenu sa thèse, a continué sa vie…
Ces derniers jours, après une chute du cours liés à divers problèmes, autant de réputation – fermeture de Silk Road – que d’écosystème – déclin de MtGox – le cours du Bitcoin a battu de nouveaux records, après le boom d’avril dernier, dépassant les 300 dollars, pour atteindre 235 euros à son plus haut. A l’heure où sont écrites ses lignes, un Bitcoin s’échange contre un peu plus de 227 euros.
L’ombre d’une régulation
Avec un tel taux de change et une réputation de servir également à financer des transactions illégales, comme c’est le cas sur Silk Road et sa version 2.0, pas étonnant que le Sénat américain ait décidé de s’intéresser de très près à cette monnaie décentralisée et donc difficilement contrôlable par un Etat ou une institution. En août dernier, les autorités américaines avaient déjà commissionnés les agences gouvernementales pour tenter de comprendre ce phénomène.
Cette fois, deux commissions sénatoriales, celles de la Sécurité nationale et du comité bancaire, vont étudier les monnaies virtuelles et plus particulièrement les Bitcoin afin de voir comment les régulateurs du marché répondent à ces nouvelles monnaies. Il sera également question, selon le Wall Street Journal, de voir en quoi ces cryptomonnaies gênent la perception de taxes et d’impôts et également leur rôle dans l’économie parallèle.
Cet intérêt insistant pour les Bitcoin montre que les législateurs entendent faire du dossier Bitcoin une priorité. S’il semble impossible qu’ils arrivent à contrôler le fonctionnement même de cette monnaie, ils pourront tenter de mettre des gardes-fous et des verrous sur les terminaisons économiques visibles de cet univers décentralisé.
Les sénateurs Carper et Coburn, à l’origine de cette initiative, indiquait dans une lettre reproduite par le Wall Street Journal que « comme pour toutes les technologies émergentes, le gouvernement fédéral doit s’assurer que les menaces et risques potentiels sont gérés diligemment ». « Quoi qu’il en soit, nous devons également être sûrs que des actions précipitées ou un manque d’information ne vont pas étouffer une technologie pleine de potentiel », précisaient-ils. Car, c’est bien là le risque, confondre Bitcoin et économie souterraine et étouffer cette monnaie, qui sera remplacée par une autre, certes, mais devra retrouver le niveau de confiance et de présence que semble avoir atteint les Bitcoin aujourd’hui.
L’écueil des mineurs égoïstes
Et justement, le triomphe des Bitcoins, et des cryptomonnaies en général tiennent en partie dans la confiance liée à la façon dont elles sont générées, minées. Or, pour deux chercheurs de l’université de Cornell – Emin Gun Sire, professeur dans cette université et Ittay Eyal, post doc en informatique – Bitcoin est cassé, en profondeur. Ils ont publié un article, titré Majority is not Enough : Bitcoin Mining is Vulnerable, dans lequel ils décrivent un moyen d’ébranler le système de production des Bitcoin.
En effet, schématiquement, les Bitcoin sont attribués à la résolution de calculs mathématiques complexes. Chaque « mineur » touche des Bitcoin en fonction et proportion de sa participation à la résolution de l’équation. Or, de plus en plus souvent, afin de lisser leurs revenus en Bitcoin, les mineurs créent des pools de calcul, et se répartissent ensuite les gains. Et justement les chercheurs de Cornell indiquent que de petits pools de mineurs pourraient réussir à récupérer plus de Bitcoin qu’ils n’en « méritent ». Cette méthode est baptisée selfish mining et elle consiste à créer un fork, une rupture dans la chaîne de blocs, qui liste toutes les transactions enregistrées – autrement dit tous les cryptopuzzles résolus. Ainsi, un groupe pourraient « miner » en secret une partie des puzzles sans en avertir le reste de la communauté. Il contraindrait ainsi les mineurs extérieurs au groupe à continuer à dépenser de la puissance de calcul sur le puzzle d’origine pendant qu’ils s’attribueraient plus de Bitcoins, en avançant dans la résolution de nouveaux cryptopuzzles.
Pire, plus le pool constitué par les mineurs peu scrupuleux grossi plus le problème devient important pour l’écosystème Bitcoin. Les deux chercheurs ont démontré qu’avec un peu moins de 10% de la puissance de calcul total, les mineurs égoïstes pourraient ébranlé le système entier. Et qu’un groupe qui représenterait 33% de ce total ne pourrait pas être empêché de « miner » égoïstement.
Une solution à déployer
Pour autant, ce qui s’apparente à une attaque du protocole de Bitcoin n’est a priori pas facile à mettre en place et les deux chercheurs ont proposé une solution, qui pourrait être intégrée dans une des mises à jour du protocole régulièrement appliquées. Il s’agirait de faire en sorte que les pools de mineurs ne puissent pas posséder plus de 25% du nombre total des nœuds constituant le réseau, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et peut faciliter ce type de débordement.
En regard de cette menace potentielle, le hack de inputs.io, porte-monnaie sécurisé en ligne pour Bitcoin, paraît une broutille, même si 4100 Bitcoins ont été dérobés. Une belle somme qui a contraint le service attaqué à fermer ses portes. Une preuve supplémentaire de la jeunesse et de la fragilité de l’écosystème des cryptomonnaies.
Happy end…
Mais revenons à ce cher Kristoffer Koch.
Récemment, entendant parler de Bitcoin, il constate que cela lui rappelle quelque chose. Il se demande alors, certainement en se frappant le front : « je n’avais pas un truc du genre ? ». Il a ensuite fallu retrouver le mot de passe chiffré pour accéder à son compte. Après quelques vaines tentatives, le sésame a fini par être retrouvé. Kristoffer Koch a alors pu accéder à son coffre à Bitcoin. A l’intérieur, siégeaient les 5 000 Bitcoin qu’il avait achetés, le tout représenterait désormais environ 1,075 million d’euros au cours moyen du jour.
Conscient que les Bitcoin ont encore un certain potentiel, Kristoffer Koch n’en a retiré qu’un cinquième, mille petits Bitcoin, qu’il a transformé en couronnes norvégiennes avec lesquels il s’est acheté un appartement dans un des quartiers les plus huppés d’Oslo. Mais la petite histoire de Kristoffer Koch ne s’arrête pas là. Sa compagne était pour le moins dubitative, à l’époque, de le voir dépenser du « vrai argent » pour acheter du « faux argent ». Elle lui reprochait souvent d’acheter de ces bricoles inutiles dont les geeks raffolent, l’achat de Bitcoin ayant évidemment décroché la timbale de l’achat le plus inconsidéré. Aujourd’hui, dans son appartement de Toyen, à Oslo, Mme Koch a changé d’avis semble-t-il, à en croire son mari. Maintenant, « elle dit que je devrais avoir le droit d’acheter tout ce que je veux… ». Une morale qui vaut ce qu’elle vaut, mais ne boudons pas notre plaisir, pour une fois que le gentil, pas égoïste pour un Bitcoin, gagne à la fin…
A lire aussi :
Bitcoin : la monnaie de geek qui vaut 1 milliard de dollars – 29/03/2013
Sources :
Wall Street Journal
News.co.au
Post des deux chercheurs
Article des chercheurs de l’université de Cornell (PDF)
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.