Le M10 a un grand-frère. Comme à l’accoutumée, Leica décline son boîtier dans une version « P » pour les « pros » ou les « passionnés ». « P » oblige, exit la pastille rouge ostentatoire ou le traitement argent du laiton, bonjour le boîtier 100% noir mat austère siglé en blanc sur le dessus. Un design simple et historique puisque tous les « P » reprennent ce look volontairement épuré. Mais ici Leica a poussé la démarche de pureté à tous les niveaux, du bruit de l’obturateur jusqu’au nombre de boutons. Le M10-P est un appareil qui essaye de s’effacer le plus possible pour ne laisser au photographe qu’une seule chose à faire : cadrer.
Le prix de la simplicité
En photo, le luxe prend plusieurs formes, mais chez Leica et particulièrement pour ce M10-P, la simplicité est son luxe. Le tarif élevé de 7650 euros met en effet le M10-P hors de portée de la plupart des bourses, faisant de lui un achat « plaisir » pour les passionnés ou un « outil de luxe » pour les professionnels.
Quand les marques japonaises font payer les performances (Sony A9) ou la robustesse (Nikon D5 ou Canon 1DX Mark II), Leica fait ici payer, outre le made in Europe, la simplicité et l’épuration non seulement du design, mais aussi de l’opérabilité. Avec seulement trois boutons à l’arrière, le M10-P est l’un des boîtiers les plus simples à manipuler et paramétrer.
En se concentrant sur l’acte photographique, Leica offre ici, certes au prix fort, le boîtier le moins intrusif non seulement pour les sujets photographiés, mais aussi pour le photographe. A l’ère où les boîtiers des marques conventionnelles tentent de rivaliser avec l’intelligence des smartphones en ajoutant le tracking de l’œil ou la reconnaissance des visages – même des animaux – l’approche rigoriste de Leica apporte un contre-pied rafraîchissant.
Si le M10-P peut se piloter avec seulement trois boutons et une croix directionnelle c’est aussi parce que l’écran LCD est – enfin ! – tactile. Loin d’être un gadget, la dalle tactile a profité d’une implémentation pensée pour être simple et efficace. De la consultation des images à la navigation dans les menus, l’opérabilité a été calée aux petits oignons – encore heureux vu le temps qu’il aura fallu à la marque allemande pour intégrer le tactile dans un M !
Le M10-P profite ici du retour sur expérience que Leica a acquis dans le développement de ses T, TL2 et CL, des hybrides APS-C pour lesquels la marque de Wetzlar a expérimenté, bien plus loin que les Japonais, les possibilités offertes par la navigation tactile.
Belle plage dynamique
Il y a de nombreuses raisons de vouloir un M, les plus sérieuses étant la visée télémétrique, la qualité des optiques Leica M ou encore la simplicité d’opération dont le M10-P est le héraut. Les performances pures sont loin d’être à l’esprit de l’acheteur de ces boîtiers dont le fonctionnement n’a que peu bougé ces dernières années. Il faut pourtant bien évaluer les performances de l’appareil !
Si la rafale n’a que peu de sens et l’autofocus est sans objet – la mise au point est 100% manuelle – les deux éléments clés sont la qualité d’image par défaut en jpeg (pour les fainéants du développement logiciel) et la plage dynamique en RAW.
Commençons par cette dernière : le capteur CMOS 24 Mpix de ce Leica M10-P offre une belle latitude de travail. Comme vous pouvez le voir dans cette suite d’images de test, dans Lightroom CC, les fichiers RAW encaissent +100% dans les ombres et -100% dans les hautes lumières sans broncher. De quoi rattraper à la fois des ciels complètement blancs et des ombres ou parties sombres complètement bouchées.
L’étendue de cette plage dynamique était cruciale pour le M10-P. Dépourvu des automatismes embarqués dans les hybrides japonais classiques (Sony, Panasonic, Nikon, etc.), le M10-P est moins « intelligent » et réagit de manière plus basique, sans la foultitude de corrections logicielles auxquelles nous sommes habitués. Les risques de sous et surexposition sont donc plus grands et il faut de la marge pour réinterpréter les photos. De ce point de vue, les ingénieurs de Leica ont tenu leurs promesses.
Qualité d’image JPEG : équilibre entre piqué et douceur
[ Visionnez et téléchargez les photos originales de test sur notre album Flickr ]
L’autre élément qu’il faut juger, c’est la qualité d’image en JPEG. De nombreux photographes se contentent de ce fichier, parce que c’est le plus facile à partager et à travailler bien sûr, mais aussi parce que pour certains il s’agit du « fichier final », la photo que l’appareil a vu (oui, il y a des puristes partout). Avant d’aller plus avant dans l’analyse des images, il faut préciser que nous avons testé le boîtier avec un Summilux 35 mm f/1.4, une optique haut de gamme (4 900 euros tout de même !). De quoi shooter sereinement en basses lumières même en l’absence de dispositifs de stabilisation – ni les optiques ni le capteur ne sont stabilisés dans la famille.
Côté JPEG, le M10-P s’en sort très bien avec un rendu caractéristique – nous avons shooté en mode par défaut : les couleurs sont chatoyantes quand le soleil irradie et le duo capteur + optique offrent un très bon rendu des atmosphères sombres et tamisées, qu’il s’agisse d’un sous-bois en fin de journée d’hiver ou d’une session acoustique dans un hall d’hôtel.
Par choix, le rendu par défaut donne la priorité aux contrastes forts plus qu’à la plage dynamique. Dans les situations très lumineuses, les amateurs d’histogrammes réguliers préfèreront développer les fichiers RAW tant les JPEG jouent la carte du punch d’un rendu très « diapositive couleur ». Nous apprécions en tous les cas le parti pris de Leica de produire, par défaut, des JPEG avec une signature plutôt que des fichiers justes, mais neutres et plats (bonjour Sony !).
Attention cependant, l’absence de filtre passe-bas augmente les risques de moiré sur les motifs répétitifs ainsi que des artéfacts d’aliasing (« effet d’escalier ») sur les détails les plus fins – comme ici sur les feuilles de palmier.
Si on compare à la loupe le rendu du M10-P – très influencé par l’optique certes, mais les microlentilles du capteur ont aussi leur rôle à jouer – avec les appareils « japonais », on note que, quand la compétition nippone joue la carte de la haute précision avec un niveau de détail qui « arrache » l’œil, Leica campe sur son parti pris de la douceur, qu’il s’agisse de transition entre les plans ou dans le rendu des détails. Cette douceur s’étend d’ailleurs dans un autre domaine : le bruit de l’obturateur.
Le plus silencieux des M
L’un des atouts des boîtiers M face aux reflex a toujours été le silence de son obturateur – on se souvient notamment des obturateurs à toile comme dans le Leica M6. S’il reprend l’électronique du M10, ce M10-P intègre cependant un tout nouvel obturateur qui n’est rien de moins que « le plus silencieux que Leica a jamais produit », dixit la marque. Non seulement cette affirmation semble véridique lorsque l’on shoote, mais cette vidéo produite par Leica montre l’incroyable différence entre M10 et M10-P.
Si le bruit du déclenchement n’a pas d’intérêt pour tout le monde, les photographes de rue ou documentaires apprécieront grandement cette amélioration qui, comme tout progrès mécanique, est plus difficile à produire qu’une « simple » amélioration électronique. Si vous êtes un photographe documentaire actuellement équipé en M (M8, M9) et que vous songez à remplacer votre boîtier, optez donc pour le M10-P qui vous donnera un avantage crucial pour certains travaux.
Leica offre ici un bijou de mécanique, mais il faut être clair : s’il est bien l’obturateur mécanique le plus discret que nous ayons jamais vu dans un boîtier plein format (reflex inclus) le M10-P n’est pas 100% silencieux comme peut l’être un obturateur électronique d’hybride façon Alpha A7 Mark III ou Panasonic S1(R).
Un appareil de passion
Même avec un « simple » Summicron 35 mm f/2, un Leica M10-P vous délestera de 10 650 euros (sans la batterie de secours ni la carte mémoire !). Pour un tel prix, vous avez droit à l’appareil le plus dépouillé, le moins polyvalent et le plus rustique qui soit… mais aussi l’un des plus jouissifs à utiliser.
Dépourvu de tout, le M10-P évacue toute possibilité autre que cadrer et shooter. Faisant de l’acte photographique une joie dans la simplicité. Une situation des plus paradoxales quand on sait que ce « dénuement » technique coûte le prix d’une voiture ! Et qu’il vous coupe de nombreux champs de la photographie – adieu les téléobjectifs, adios les rafales, ciao le focus-stacking, sayonara la vidéo 4K, auf wiedersehen le suivi des sujets, bye bye la tropicalisation du boîtier, etc. Le choix d’un tel boîtier implique tellement de renoncements que seuls les « purs » et les « fous » seront prêts à s’y risquer.
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