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Technologies : plus qu’hier et moins que demain !

La crise actuelle de la nouvelle économie, c’est moins la mort prématurée de nombreuses start-up que la faillite potentielle de France Telecom ou la nécessité d’engager un plan de rigueur chez EDF.

Il y a dix-huit mois, tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes de la nouvelle économie. La dématérialisation accrue de la production rendait celle-ci de moins en moins dépendante des ressources en matières premières et, déjà, certains économistes annonçaient la fin de la loi des rendements décroissants qui, depuis Ricardo, constitue le fondement de la théorie économique. Quant à la politique économique, la référence mondiale était celle des États-Unis, caractérisée par un budget en excédent permettant l’amortissement de l’importante dette publique héritée des années Reagan, et une politique monétaire systématiquement encensée pour son pragmatisme, sa souplesse et sa rapidité d’adaptation.Or, aujourd’hui, tout ce beau mécanisme ne fonctionne plus comme avant. L’économie dominante, celle des États-Unis, cherche dans les vieilles recettes keynésiennes, pourtant naguère dénoncées comme définitivement obsolètes, car trop dirigistes et trop susceptibles de relancer l’inflation, les moyens d’échapper à la récession et à une augmentation significative du chômage. Le budget est de nouveau en déficit, et ce du fait d’un accroissement spectaculaire des dépenses militaires, digne des programmes “roosveltiens” de la fin des années trente, ou de ceux de la fin de la guerre froide. Le dollar est en baisse, élément parmi d’autres d’un retour au protectionnisme, qui est “le” réflexe naturel en cas de crise du monde des affaires américain, depuis la naissance de ce pays.

La nouvelle économie se banalise

Plus personne n’évoque la politique monétaire, si ce n’est dans le but d’accuser le gourou déchu Greenspan d’indécision quand ce n’est pas de pure et simple imposture. La crise est en train, en douchant les enthousiasmes récents, de banaliser la nouvelle économie. Elle rappelle aux économistes, qui avaient cru pouvoir l’oublier, qu’en fait nouvelle comme ancienne économie obéissent toujours aux conséquences des rendements décroissants, même si la matière traitée qu’est l’information n’est pas assimilable au blé, qui fonda les théories sur ce sujet de Ricardo, ou au charbon, qui justifia celles de Marshall.En effet, on peut considérer que le signe avant-coureur des difficultés actuelles a été l’incapacité du système de production électrique californien de répondre à la demande. Les pannes à répétition survenues en 2000 ont montré que la nouvelle économie exige pour se développer un apport considérable en électricité et en lignes de téléphone. Or les structures en charge de la gestion de ces réseaux ont préféré la fuite en avant dans le mensonge financier aux investissements, le lobbying politique à la politique industrielle, les apparences de court terme à une stratégie déployée sur plusieurs années.

L’économie va se reconstruire

La crise actuelle de la nouvelle économie, c’est moins la mort prématurée de nombreuses start-up que la faillite potentielle de France Telecom, ou la nécessité d’engager un plan de rigueur à EDF. La surmortalité des jeunes pousses est un mécanisme naturel dans les phases initiales d’une activité émergente. Lors de la soirée de lancement du Nouvel Hebdo, en mars 2001, un des intervenants rappelait qu’en 1900, il y avait plus de cent marques d’automobiles en France, alors qu’aujourd’hui, il n’y en a plus que deux.Ce processus de concentration, décrit en son temps par Schumpeter, laisse sur le carreau nombre d’entreprises nées dans la phase ascendante du cycle technologique pour conduire inexorablement vers des monopoles, évolution que s’emploient à freiner les États cherchant à maintenir les avantages de la concurrence.Si la nouvelle économie vit donc une évolution normale dans sa partie aval, son véritable problème réside dans la situation de sa partie amont, c’est-à-dire de l’ensemble des opérateurs gestionnaires des indispensables réseaux qui servent de vecteur à la circulation de l’information.Les anticipations erronées sur les besoins et sur la capacité du secteur à dégager des bénéfices ont conduit les différents intervenants à vouloir se répartir une rente qui n’existait pas. Les licences téléphoniques ont été souvent vendues à des prix irréels et personne n’ose rappeler qu’une partie de la dette de France Telecom vient de la soulte versée à l’État au titre de la prise en charge des retraites des agents dans le cadre d’une évaluation, qui correspondait davantage à la volonté de se qualifier pour la monnaie unique qu’à un calcul actuariel sérieux des responsabilités de l’État.Maintenant que sont partis ?” ou vont partir ?” les dirigeants qui, du mégalomane à l’escroc, ont laissé des entreprises téléphoniques et électriques exsangues, l’économie va se reconstruire autour de l’amélioration des réseaux comme ce fut le cas naguère avec les chemins de fer dans les années 1880. Or, ce fut l’époque où, en France, les débats autour du plan Freycinet de construction de petites lignes ont montré la prise de conscience des effets des rendements décroissants dans un domaine, celui des transports, qui était considéré comme échappant aux lois de l’économie industrielle.Quand on sait que les États-Unis délivrent encore du courant en 110 volts et que dans les quatre-cinquièmes des pays, les compagnies d’électricité sont incapables de fournir une tension constante, on mesure l’effort à accomplir : effort en mobilisation financière, effort en investissement physique sur l’ensemble de la planète, effort en rationalisation des produits distribués.Cet effort souffrira de la rareté relative et permanente qu’imposent les rendements décroissants, et maintiendra la logique économique dans son alternance habituelle de dynamique et de crise. Cette reconstruction impliquera les États, d’autant plus que le secteur privé aborde cette nouvelle phase dans une situation financière délicate de surendettement. Investissements lourds dans un contexte d’efficacité relative déclinante, situation financière dégradée à rétablir principalement chez les grands opérateurs énergétiques, révision du rôle de l’État (qui s’est davantage comporté jusqu’à présent en prédateur de rente qu’en acteur conséquent du développement de la nouvelle économie) sont les conditions à une reprise de la marche en avant. En ce qui concerne la politique économique à venir, les caractéristiques de la nouvelle économie, notamment la possibilité de répondre à chaque demande individuelle, à l’opposé de l’économie industrielle reposant, elle, sur la standardisation, imposent une révision du réglage conjoncturel.

Le retour aux réflexes du passé

Le retour actuel de la conception ancienne centrée sur la politique budgétaire et l’idée que la guerre peut être un moyen de gérer les crises est probablement une des dernières manifestations de réflexes hérités de la vieille économie, que les années quatre-vingt-dix semblaient pourtant avoir infirmés. La nouvelle économie maniant des flux d’information ?” et donc des hypothèses sur le futur ?”, des marchés à terme et des anticipations rationnelles, c’est plus la gestion des taux d’intérêt (et donc la politique monétaire) qui constitue son cadre macroéconomique privilégié que celle d’une demande globale, de moins en moins homogène. Banques centrales définitivement indépendantes, compagnies d’électricité et opérateurs de télécommunications en pleine mutation, créateurs de start-up dégrisés, la nouvelle économie a à la fois vieilli et mûri en dix-huit mois. Il ne reste plus aux responsables de la politique économique qu’à le mesurer pour ne pas agir à contre-courant par le recours à des déficits budgétaires désormais bien vains.* Professeur à lESCP-EAP

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Jean-Marc Daniel*