En apparence, le bloc des 27 États-membres a bel et bien décidé d’en découdre avec les géants du numérique, d’une seule et même voix. Données personnelles, marchés numériques, intelligence artificielle, ces dernières années, aucun pan de la tech n’a échappé à l’Union européenne (UE), donnant l’apparence d’une machine infernale qui réglemente lentement mais sûrement le Far West digital. Mais parfois, les apparences sont trompeuses, notent deux responsables du « Center for European Policy Analysis (CEPA) » dans les colonnes de Politico, ce mercredi 31 mai. Selon ce think tank américain qui se présente comme non partisan, et travaillant à réinventer l’alliance transatlantique, tous les 27 ne pèseraient pas de la même manière. Pire, ceux qui sont à la pointe de la tech auraient les plus grandes difficultés à se faire entendre dans les couloirs des institutions européennes.
L’Europe unifiée autour d’un programme numérique commun ? C’est une belle image, mais elle ne reflète pas la réalité, écrivent les deux responsables du CEPA. Les représentants des pays de l’Europe centrale et du nord leur auraient confié, en privé, qu’ils auraient du mal à peser dans les décisions de réglementations européennes. Ils auraient expliqué regretter le temps où le Royaume-Uni faisait encore contrepoids face au couple franco-allemand. Selon ces derniers, la Commission européenne entraverait l’innovation en imposant des règles trop strictes pour les petites entreprises, qui n’auraient pas les capacités de les respecter – un argument répété maintes fois par les pourfendeurs du DSA, du règlement sur l’intelligence artificielle, et de tout texte de réglementation de la Commission européenne qui s’attaque à la tech. Cette dernière est, selon ces derniers, vue comme une super réglementatrice déconnectée des réalités du secteur, dont les textes mettraient à mal toute innovation.
L’avenir de la tech européenne n’aurait pas lieu en France ou en Allemagne
Enfin, leur crainte serait de voir les Américains se désengager des entreprises technologiques européennes, qui investissent énormément dans les start-up de la région, si l’UE persiste à s’attaquer aux géants du numérique américains comme Meta (Facebook), Google et Microsoft, soulignent-ils. Une référence à peine voilée au futur « Digital Services Act » ou DSA, accueilli avec énormément de réticence par ces entreprises. Les « très grandes plateformes en ligne » (« Very large online platforms », VLOP) comme Apple, Meta ou Twitter devront respecter ce texte dès le 25 août.
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Ce n’est pas la première fois que le couple franco-allemand est accusé de ne pas suffisamment prendre en compte les « petits » États-membres du centre et du nord de l’Europe. Historiquement, l’Allemagne et la France ont été un moteur dans la construction européenne. Encore aujourd’hui, les deux pays n’hésitent pas à se décrire comme la « locomotive d’une Europe unie », comme l’a fait Olaf Scholz, le chancelier allemand, lors du 60e anniversaire du traité de l’Élysée en janvier dernier. Le CEPA écrit aussi que la France, l’Allemagne et l’Italie représentent ensemble au Parlement européen 251 députés européens sur 705, soit bien plus qu’une hypothétique alliance entre pays centraux et nordistes européens, moins peuplés – la règle étant que plus un pays a de citoyens, plus il a d’Eurodéputés.
Finlande, Suède, Estonie, Pologne… inaudibles au sein de l’UE ?
Or, comment faire quand les plus concernés par la tech – comme la Finlande, la Suède et l’Estonie, trois pays dont les start-up de la tech attirent le plus d’investisseurs, ont le sentiment de parler dans le vide ? L’avenir de la tech européenne ne se jouerait ni en France, ni en Allemagne, écrit le think tank. Si les deux pays accueillent encore près d’un tiers des licornes européennes, très peu sont réellement dans la tech. Dans les 100 premières entreprises mondiales classées en fonction de leur capitalisation boursière, on ne trouve que SAP, une entreprise allemande, qui œuvre dans ce secteur, selon le CEPA.
Même topo pour la Pologne, considérée comme le nouvel eldorado européen pour les investisseurs du secteur, qui aurait le sentiment de ne pas peser. Le pays abrite désormais les installations de R&D d’Amazon et d’Intel, des infrastructures de cloud de Microsoft et de Google qui y ont investi respectivement un et deux milliards de dollars. Comment alors faire évoluer les choses ? Le think tank suggère de court-circuiter l’UE en concluant directement des accords bilatéraux, à l’image de ce qui a été fait entre les Pays-Bas et les États-Unis au sujet du blocage des exportations de semi-conducteurs vers la Chine. Cette solution ne devrait évidemment pas être du goût des institutions européennes.
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Source : Politico