Ne vous fiez pas à la coque en plastique ou l’écran en verre de votre smartphone : il y a du métal partout dans votre smartphone. Or, carbone, tantale, cuivre, étain, nos appareils contiendraient entre 40 et 60% de métaux, d’après l’Institut de recherche sur l’environnement allemand Oeko. Or, ces matières proviennent presque exclusivement de l’extraction minière dont l’impact environnemental et social est extrêmement élevé.
L’idéal serait de parvenir à un jour à récupérer tous les métaux des vieux équipements pour produire des matières premières non minières à destination de nos smartphones. Où en sont les constructeurs dans ce domaine ?
Que font les constructeurs ?
Pour le moment, les fabricants se sont concentrés sur le plus facile : utiliser du plastique recyclé. C’est le cas de Fairphone. Le fabricant de smartphones équitables a le mérite d’utiliser 40% de plastique recyclé dans son Fairphone 3+. Concernant les métaux, il garantit un approvisionnement hors zone de conflit, ce qui est déjà une vraie avancée. Mais il n’utilise pas encore de métaux recyclés.
Samsung a aussi de plus en plus recours au plastique recyclé, qui est traité dans son centre à Asan en Corée du Sud. Il s’est également attaqué à l’acier, au cuivre ou à l’aluminium récupéré sur ses produits électroménagers et appareils informatiques. Mais pour le moment, le réemploi dans ses smartphones se trouve limité : un peu de cuivre pour le câblage, par exemple, ou de cobalt pour les batteries. C’est finalement Apple qui semble aller le plus loin.
Apple utilise des terres rares recyclées
Lors de leur audition cette semaine par des sénateurs, des représentants d’Apple France ont rappelé les ambitions de la marque dans ce domaine.
« Notre objectif est de fabriquer, un jour, des produits n’utilisant que des matériaux recyclés ou renouvelables (..) Nous voulons clairement éliminer notre dépendance à l’exploitation minière », a déclaré Clément Lelong, responsable des initiatives environnementales d’Apple pour la zone Europe, l’Inde et le Moyen-Orient.
Pour y parvenir, la marque doit transformer sa chaîne d’approvisionnement et passer d’un modèle linéaire à circulaire. « Nous avons identifié une liste de 14 matériaux prioritaires », a ajouté le porte-parole. Apple utilise déjà de l’étain recyclé pour les soudures des cartes mères de 23 produits. Et le moteur Taptic des iPhone 11 et 12 est composé de terres rares recyclées.
C’est dans l’intérêt des constructeurs de recourir de plus en plus à des métaux recyclés car cela réduira leur dépendance à des sources d’approvisionnement dont les cours et l’ouverture fluctuent. Alors pourquoi cette pratique n’est-elle pas davantage développée ?
Une opération délicate mais pas impossible
Recyler les métaux d’un smartphone n’est pas chose aisée. Si l’on prend le cas d’une éolienne, sa surface est importante et sa composition simple : elle est relativement facile à recycler. Mais le smartphone est un objet extrêmement compact avec une forte imbrication de ses différents éléments. S’il n’est pas réutilisable, il est démantelé en fin de vie. Ses éléments les plus polluants comme la batterie sont retirés et ses composants sont généralement broyés. En bout de course, il existe différents procédés pour séparer les métaux au sein de ces agrégats.
Serge Kimbel est un spécialiste du recyclage des déchets électroniques. Sa société Morphosis traite la plus grosse partie des smartphones collectés en France. Plus récemment, il a créé une autre société d’économie circulaire, WEEEcycling, pour proposer aux industriels d’extraire les métaux de leurs produits en fin de vie et d’en tirer à nouveau des matières premières.
Certes, il n’est pas facile de séparer les métaux pour qu’ils atteignent un état de pureté satisfaisant. « Aucun métal n’est facile à recycler car ils sont tous combinés les uns aux autres. Mais rien n’est impossible techniquement. On arrive à des degrés de pureté qui sont de l’ordre de 99,99% », assure le PDG. Les principaux obstacles se situent ailleurs.
La rentabilité est le principal problème
Si l’on prend le cas des terres rares, elles sont mélangées entre elles dans les minerais et nécessitent d’être séparées grâce à des procédés complexes et extrêmement polluants. Pour Michel Latroche, directeur de chercheur au CNRS à l’Institut de chimie et des matériaux Paris-Est, leur recyclage pourrait représenter une solution prometteuse, alors que la chimie n’a pas encore réussi à mettre au point des matériaux de substitution. « On pourrait créer une vraie production occidentale de terres rares basée sur de la récupération. Des industriels japonais ont déjà réussi à recycler les aimants permanents comme ceux qui sont présents dans nos disques durs, ou encore les batteries nickel-métal-hydrure », nous indique-t-il.
Il faut malgré tout garantir que ces nouveaux procédés soient eux-mêmes respectueux de l’environnement. Par ailleurs, la question de leur rentabilité est cruciale pour assurer la pérennité des filières. Or, il est difficile de prévoir l’évolution du marché. L’exemple du groupe belge Solvay, qui a du fermer des ateliers de recyclage de terres rares à La Rochelle et Saint-Fons en 2016, est encore dans tous les esprits. « Ils avaient réussi à séparer et purifier les terres rares dans les ampoules basse consommation, dans un contexte de crise où la Chine avait réduit ses quotas à l’exportation et provoqué des tensions sur les prix. Mais les exportations ont repris et les cours sont repartis à la baisse. Le remplacement des lampes à fluorescence par des LED a condamné la rentabilité de leur solution », nous explique encore Michel Latroche.
Il y a peu d’affineurs en Europe
Plus le procédé technique pour récupérer le métal sera complexe, plus cela risque de coûter cher. Et cela ne peut pas être répercuté sur le tarif. « A la fin, nous sommes tous soumis aux mêmes prix du marché. Vous ne pouvez pas vendre votre métal recyclé plus cher », fait observer Serge Kimbel.
L’équilibre économique n’est donc pas facile à trouver. Les aides publiques à ces filières paraissent donc indispensables pour qu’elles puissent se développer, comme le soulignait déjà un rapport du Sénat sur le sujet en 2016. Une chaire Mines Urbaines a notamment été créée à Paris Tech pour soutenir la recherche sur la valorisation des Déchets Electriques et Electroniques. Mais, actuellement, seule une poignée de sociétés sont capables de purifier le métal en Europe comme le fait WEEEcycling. On compte trois grands affineurs sur le continent : Boliden en Suède, Aurubis en Allemagne et Umicore en Belgique. Ce sont tous aussi .. des producteurs miniers.
La concentration des métaux baisse
Deuxième obstacle, la concentration de métaux à tendance à diminuer dans nos appareils, soit sous l’effet des efforts de miniaturisation des constructeurs, soit parce que les techniques de fabrication sont optimisées.
« Pour certains métaux comme les platinoïdes qui sont parmi les plus rentables, on va trouver 30 grammes par tonne. Ce sont vraiment des quantités faibles », souligne Serge Kimbel. Il faut récolter suffisamment de métal afin que les rendements soient les plus importants possibles et ne pas générer de pertes.
Pour pallier ce manque, il va falloir massifier la collecte de tous les appareils électroniques. Il est aussi nécessaire de sensibiliser les utilisateurs au recyclage car ils laissent encore trop souvent dormir les vieux smartphones dans les tiroirs. Ce sont de véritables gisements inexploités qui sont, en plus, porteurs de toxicité s’ils ne sont pas traités. Le dossier avance, puisque les opérateurs sont désormais tenus de systématiser la collecte dans leurs boutiques et que les campagnes de sensibilisation vont se multiplier.
Renouveler moins souvent son smartphone
Les consommateurs devenant plus exigeants sur la provenance des matériaux, ils seront peut-être aussi enclins demain à payer davantage pour un smartphone comportant des métaux non miniers.
Mais un smartphone fabrique avec métaux entièrement recyclés est-il vraiment possible ? « Le 100% non minier sera difficile à atteindre car il restera toujours des traces non sourcées. Mais on peut envisager un jour que 80% des métaux d’un smartphone seront issus d’une production hors mine », se prend à rêver Serge Kimbel.
Rappelons toutefois que la production de métaux à partir de matériaux récupérés ne suffira pas à limiter l’impact de nos smartphones sur la planète. Tout simplement parce que les métaux ne sont pas forcément recyclables à l’infini et que cette opération mobilise des énergies qui émettent des gaz à effets de serre, que ce soit lors du transport ou de la transformation. La priorité reste donc de concevoir des smartphones plus durables pour les fabricants et de les garder le plus longtemps possible pour les utilisateurs.
Sources : Oeko, Coumpound Interest, Ingénieurs sans Frontières, l’Ademe, le rapport du Sénat, l’audition des représentants d’Apple au Sénat, Samsung
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