Lorsque American Airlines a créé, en 1996, sa filiale Sabre pour gérer le système de réservation de ses billets d’avion, les dirigeants ne se doutaient pas que sa valeur à Wall Street dépasserait, trois ans plus tard, celle de sa maison mère. Le phénomène n’est pas isolé : Amadeus, filiale d’Air France, en charge du système de réservation en ligne, pourrait connaître le même destin.Une simple bulle financière ? La bulle éclatera peut-être, mais l’essentiel est ailleurs. L’exemple Sabre illustre surtout le mécanisme de conversion des entreprises brick and mortar (lire le glossaire p. 14) à la nouvelle économie. American Airlines a réussi à créer de la valeur en séparant “l’information” (gestion du système de réservation) du “support physique” (gestion de la flotte d’avions). Or cette séparation, rendue possible par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), est appelée à gagner tous les secteurs traditionnels.
Faire l’autruche, c’est laisser le champ libre aux start-up
Pourquoi cette révolution ? Une société classique s’efforce de gérer au mieux une chaîne d’activités (ou “briques”). “Préparer les avions”, “enregistrer les bagages” ou “transporter les passagers” dans le cas d’une compagnie aérienne. Tout cela appelle un immense besoin d’informations (pour affréter les vols, il faut connaître l’état des réservations, l’itinéraire des passagers…). Le système d’information est ainsi le “mortier” qui lie toutes les activités de production. Or, pour les entreprises traditionnelles, de Henry Ford à l’internet, le moule dans lequel était coulé ce mortier était “asservi” au système de production, à cause des possibilités limitées de traitement de l’information. Dans le cas de Toyota, par exemple, c’est la circulation de la fameuse étiquette Kanban qui, en suivant le flux de production, assurait le rôle de système d’information. Cela paraît bien archaïque de nos jours…En effet, le développement des NTIC a fait voler ce modèle en éclats (“Blown to Bits”*). L’information peut se détacher des contraintes physiques, et circuler librement à moindre coût. Cette libération est un terreau exceptionnel pour les start-up, car elle génère une multitude de créneaux nouveaux. Mais elle ouvre aussi des perspectives aux entreprises en place. Plusieurs cas de figure se dessinent. Celles qui font l’autruche, d’abord. Elles laissent le champ libre aux start-up… et subissent des pertes de marché considérables. Exemple : Encyclopædia Britannica. Le roi de l’encyclopédie n’a pas cru à temps au succès des CD-Rom. Il a laissé les nouveaux entrants (Grolier ou Encarta) se développer sur son créneau. Résultat : son chiffre d’affaires a chuté de plus de 80% au cours des dix dernières années.Deuxième option : la société traditionnelle garde ses compétences dans la gestion des activités physiques, mais s’efforce prudemment (par le biais d’une filiale, par exemple) de profiter des opportunités nouvelles. Cette voie, choisie par American Airlines, est la plus fréquente… et la plus indécise.Car ces entreprises croisent sur leur route des nouveaux venus qui font le chemin inverse. Dans le livre, par exemple, Barnes & Noble affronte Amazon dans une lutte qui s’annonce très ouverte. Le premier maîtrise la distribution (stockage, logistique) et cherche à maîtriser le traitement des informations en ligne. Le second, qui a pris une avance considérable dans la distribution on-line, éprouve de grosses difficultés à rentabiliser les activités physiques associées.
La stratégie d’éclatement est certainement la plus pertinente
Enfin, il y a ceux qui investissent en masse dans l’information tout en conservant une gestion prudente des anciennes activités physiques. On assiste alors aux mutations les plus spectaculaires. Celles de la Générale des Eaux (Vivendi) et de la Lyonnaise par exemple qui, spécialisées autrefois dans la gestion d’activités physiques (les “tuyaux de distribution d’eau”), ont su profiter des NTIC pour décliner leurs connaissances en gestion de réseaux.L’entrée dans la nouvelle économie n’est donc pas réservée qu’aux start-up. Les “brick and mortar” peuvent réussir leur conversion en “click and mortar”… à condition de savoir épouser le grand chamboulement en cours. Celui-ci concerne tous les secteurs de l’ancienne économie, où les chaînes d’activités sont appelées à se recomposer. Grande distribution, presse, textile, sidérurgie, santé… la séparation des activités informationnelles de leur ancien support physique est inéluctable.* Blown to Bits, Philip Evans et Thomas S. Wurster, Harvard Business School Press, 2000.
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