Selon une plainte déposée aux États-Unis, Meta, le groupe cofondé par Mark Zuckerberg qui comprend Facebook, Instagram et WhatsApp, sait pertinemment, depuis des années, que des millions d’enfants de moins de 13 ans utilisent Instagram. Pire : le groupe collecterait leurs données, révèle le New York Times, le 25 novembre dernier. Il y a près d’un mois, nous vous expliquions pourquoi de nombreux États américains déposaient plainte contre le géant des réseaux sociaux. Mais la majorité de la plainte et des documents annexes avaient été rendus confidentiels – avec des parties noircies ou mises sous scellé. Mercredi 22 novembre, une version non censurée de la plainte a été publiée, ce qui nous permet d’en apprendre un peu plus sur cette affaire.
Selon ce document, Meta aurait reçu plus de 1,1 million de « rapports d’utilisateurs » de moins de 13 ans sur sa plateforme Instagram depuis le début de l’année 2019. Seule une fraction de ces comptes aurait été désactivée. « Au sein de l’entreprise, le fait que Meta sache que des millions d’utilisateurs d’Instagram ont moins de 13 ans est un secret de polichinelle qui est régulièrement documenté, rigoureusement analysé, confirmé et protégé avec zèle de toute divulgation au public », écrivent les auteurs de la plainte.
Plutôt que de lutter contre l’utilisation des mineurs, Meta se vante de l’utilisation d’Instagram chez les 11, 12 ans, selon la plainte
Le groupe aurait continué à collecter les données de ces mineurs comme la localisation et leur adresse électronique, en violation d’une loi américaine (fédérale), selon les 33 États à l’origine de la plainte. Le texte, qui protège la vie privée des enfants, impose l’autorisation des parents pour toute inscription de mineurs de moins de 13 ans. Meta pourrait devoir payer des millions de dommages et intérêts et des amendes, si ces allégations parviennent à convaincre les juges.
La version de la plainte, rendue publique mercredi dernier, fait état d’extraits de courriels internes, de discussions entre salariés et de présentations de l’entreprise – Instagram étant particulièrement visé. Selon ses auteurs, l’efficacité des systèmes de vérification de l’âge ne serait jamais devenue une priorité au sein du groupe. Plutôt que de chercher à sévir contre l’utilisation des mineurs, toujours selon la plainte, Meta aurait créé des graphiques « vantant la pénétration d’Instagram chez les 11 et 12 ans ». Le groupe aurait permis aux utilisateurs de moins de 13 ans de mentir sur leur âge pour créer des comptes Instagram. Pour appuyer ces dires, la plainte cite Adam Mosseri, le directeur d’Instagram, qui a déclaré, dans une discussion interne en novembre 2021, que « les préadolescents veulent accéder à Instagram, et ils mentent sur leur âge pour l’utiliser ».
Pourtant, Meta avait publiquement déclaré, devant le Congrès américain, que le processus de vérification de l’âge de l’entreprise était efficace et que l’entreprise supprimait les comptes de mineurs lorsqu’elle en avait connaissance. Ce en totale contradiction avec le fait que les dirigeants savaient qu’il y avait des millions d’utilisateurs mineurs sur Instagram, estiment les auteurs de la plainte.
En 2017 : l’occasion de mieux protéger les mineurs… manquée volontairement ?
Le groupe disposerait d’un suivi très précis des utilisateurs mineurs, selon la plainte déposée. Un tableau interne à l’entreprise et présenté dans les documents non scellés montre que Meta suivrait le pourcentage d’enfants de 11 et 12 ans utilisateurs d’Instagram quotidiennement. Les utilisateurs signalés pour leur âge pourraient continuer à utiliser leurs comptes, tant que ces derniers ne contiendraient pas de photos ou de biographies, selon la plainte. Les auteurs estiment que Meta a volontairement choisi de ne pas mettre en place un système efficace d’exclusion des mineurs, parce que le groupe considère cette tranche d’âge comme étant cruciale. Il s’agirait de la prochaine génération d’utilisateurs qui leur permettra d’assurer leur croissance, allèguent les 33 États.
Selon le Wall Street Journal, qui cite la plainte le 25 novembre dernier, Meta aurait pourtant eu la possibilité d’améliorer la détection des jeunes utilisateurs. « En décembre 2017, un employé d’Instagram a indiqué que Meta disposait d’une méthode pour vérifier l’âge des jeunes utilisateurs, mais a conseillé de ne pas ouvrir la boîte de Pandore concernant les améliorations de la vérification de l’âge », peut-on lire dans la plainte. De quelle méthode s’agit-il ? Aucune information n’est donnée.
Dans un communiqué du samedi 25 novembre cité par nos confrères, Meta a expliqué que la vérification de l’âge des utilisateurs était un défi complexe. Point intéressant, le groupe a appelé à la mise en place d’une législation contraignante, imposant le consentement des parents lorsque leurs adolescents de moins de 16 ans téléchargent des applications. Pourtant, la loi américaine sur la protection de la vie privée des enfants en ligne impose déjà le fait d’obtenir le consentement d’un des parents, avant toute collecte de données personnelles pour les moins de 13 ans. En cas d’irrespect de cette obligation, la plateforme peut avoir à payer des amendes à hauteur de 50 000 dollars… par infraction.
« Instagram est malsain pour les jeunes adolescents » selon une salariée de Meta
Autre point soulevé dans la plainte, les auteurs estiment que Meta a conçu ses réseaux sociaux (et ses algorithmes) dans le but d’exploiter la vulnérabilité des enfants, avec des fonctionnalités addictives qui nuisent aux jeunes utilisateurs, relève le Wall Street Journal. Les 33 États estiment que Meta a « piégé injustement » les jeunes utilisateurs, en passant sous silence des études internes montrant que l’utilisation des réseaux sociaux comme Instagram ou WhatsApp entraînait de réels préjudices pour les enfants.
Ils s’appuient encore sur des messages internes du groupe, comme celui écrit en mai 2021 par Karina Newton, responsable de la politique d’Instagram : « Ce ne sont pas les “régulateurs” ou les “critiques” qui pensent qu’Instagram est malsain pour les jeunes adolescents, mais tout le monde, des chercheurs aux experts universitaires en passant par les parents. Le modèle de l’application n’est pas conçu pour un groupe d’âge qui n’a pas les mêmes compétences cognitives et émotionnelles que les adolescents plus âgés », ajoute-t-elle, citée par le Wall Street Journal.
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Des citations sélectives et des documents triés sur le volet, selon Meta
Dans son communiqué, Meta estime aussi que la plainte « dénature le travail effectué, en utilisant des citations sélectives et des documents triés sur le volet ». Le groupe met en avant tout ce qu’il a mis en place depuis plus d’une décennie pour rendre les expériences en ligne sûres et adaptées à l’âge des adolescents. Il rappelle également que les conditions d’utilisation d’Instagram interdisent les utilisateurs de moins de 13 ans aux États-Unis. La société explique que des « mesures (sont prises) pour supprimer ces comptes, lorsque nous les identifions ». Reste que les identifier serait une tâche ardue, avance Meta.
Ce n’est pas la première fois que le géant des réseaux sociaux est attaqué, accusé de nuire à la santé mentale des adolescents, ou de violer des lois protégeant la vie privée. Se placer sur le terrain de la violation de la vie privée serait d’ailleurs plus facile que prouver la nocivité du réseau social, rapportent nos confrères du New York Times. En 2019, l’entreprise avait accepté de payer un montant record de 5 milliards de dollars et de modifier ses pratiques en matière de données. Elle était alors accusée de tromper les utilisateurs sur leur capacité à contrôler leur vie privée.
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Source : The New York Times