Lors du CES 2022, la domotique a, enfin, fait un grand pas en avant. Certes, il aurait dû être effectué quelques mois plus tôt, mais peu importe, la promesse est trop belle pour qu’on rechigne.
Imaginez des produits connectés, routeurs, volets, ampoules ou enceintes plus simples à installer, interopérables, et surtout indifférents à ce que vous possédez déjà ou à l’écosystème qui a votre préférence. Des appareils qui partagent un langage commun, un protocole commun, capables de s’entendre et d’être contrôlés facilement, que vous soyez plutôt Google, Amazon ou encore Apple, et quelle que soit leur marque…
Plus la peine de faire le pied de grue dans le rayon Objets connectés de votre magasin de bricolage préféré en vous demandant si ce produit est compatible avec votre mini univers connecté. Plus la peine de rêver à un avenir meilleur, le futur est là, et il a un nom : Matter.
Be kind, rewind
On ne va pas refaire l’histoire de Matter, que vous connaissiez peut-être sous le nom de CHIP, pour Connected Home over IP. Un projet né au cœur de l’été 2019, sous la férule de la Zigbee Alliance, désormais connu sous le nom de la Connectivity Standards Alliance (CSA), et porté par plus de 220 entreprises de différents secteurs.
Un rassemblement jamais vu, une communauté colossale, qui réunit à sa tête les plus grands noms de la tech et du domaine : Google, Amazon et Apple. Mais aussi Comcast, Ikea, Legrand, NXP Semiconductors, Oppo, Samsung SmartThings, Schneider Electric, Signify (Philips Hue), Somfy, Texas Instruments, etc.
Des concepteurs de produits, de puces et de couches logicielles… Trois piliers essentiels pour une petite révolution.
Car, la vraie force de Matter, ce n’est pas une révolution technologique – les briques utilisées, on le verra, sont là depuis longtemps – mais le nombre des acteurs. C’est aussi là que pourrait se faire la différence.
Pourquoi cet état de grâce n’a t-il pas été atteint plus tôt ? Pas besoin de faire de vaine supputation, Tobin Richardson, le PDG de la Connectivity Standards Alliance, a répondu à cette question dans un billet de blog publié en août dernier et intitulé Building a standard that really matters. Il écrivait en introduction de ses propos :
« Historiquement vient un moment où vous réalisez qu’un marché ne peut pas grossir si vous ne travaillez pas avec les autres pour le construire, au lieu d’essayer de le contrôler à 100% par vous-même ».
Il a donc fallu du temps, et l’espoir de gagner plus d’argent, pour que les géants de tout bord cessent de tirer la couverture à eux et se disent qu’il serait mieux pour eux, et aussi pour leurs potentiels utilisateurs, que les divisions cessent.
L’objectif marketing est d’ailleurs ambitieux : il serait de passer d’un engouement encore balbutiant et instable pour les smart homes à un marché qui représenterait pas moins de 53 milliards de dollars dès cette année. Ce sont en tout cas les chiffres que Hasan Haque, de Comcast, avançait, en avril 2021, dans une présentation en ligne baptisée The future of IoT is Now : Project Connected Home over IP, et désormais disponible sur YouTube.
Matter : comment ça marche ?
Maintenant qu’on comprend l’intérêt de l’industrie et donc une partie des enjeux, entrons un peu dans la technique. Il nous le faut pour bien comprendre ce qu’est Matter, et pourquoi il semble devoir être aussi ouvert, et fonctionner aussi largement.
Avant toute chose, il faut savoir qu’il s’agit d’un effort qui repose sur une approche open source, afin que chaque acteur puisse contribuer, évaluer, et sécuriser la proposition. Cette approche ouverte repose non pas sur des technologies nouvelles, mais sur des protocoles et moyens éprouvés et déjà sur le marché.
Car Matter représente la couche applicative d’une pyramide de technologies, qui habitent notre quotidien depuis longtemps, une sorte de mille-feuille. Reprenons le principe des couches du modèle OSI pour être plus clair, en le simplifiant toutefois pour ne retenir que cinq strates.
- En lieu et place de la couche Physique, on trouve en l’occurrence le produit compatible Matter.
- La couche Liaison. On parle ici de trois standards radio : le 802.11 pour le lien Wi-Fi, le 802.15.4 pour Thread, un protocole IoT qui repose sur un réseau maillé IP basse consommation éprouvé, et le Bluetooth Low Energy, cas particulier aussi bien dans son usage que dans sa technologie.
En effet, pour l’instant, le Bluetooth Low Energy est essentiellement utilisé pour la configuration, afin de faire communiquer le smartphone avec lequel vous configurez le produit et l’appareil nouvellement installé. Cela permet, par exemple, de ne pas avoir à saisir les informations relatives à votre réseau Wi-Fi (SSID, identifiant et mot de passe).
A terme, le Bluetooth Low Energy pourrait également se voir doté d’une compatibilité avec le protocole IP.En plus du Wi-Fi et du Bluetooth, Matter est également compatible avec les technologies cellulaires (3G, 4G, et 5G), ainsi qu’avec la connexion filaire classique via Ethernet. Cette dernière pourra par exemple être utilisée pour les routeurs compatibles ou les concentrateurs, également appelés hubs.
- La couche Réseau. Matter repose sur le protocole IP, compatible avec la version 6. Ce choix a plusieurs intérêts.
Tout d’abord, il est fiable, robuste et très fonctionnel.
Ensuite, il permet l’intégration rapide et facile du produit dans un réseau local, et la communication directe entre les appareils. Il permettra même plusieurs connexions simultanées à un même objet connecté, afin qu’il soit accessible par deux autres périphériques (ou plus) sans perte de temps.
Enfin, cela ouvre également la porte à des services et interactions depuis le Cloud, afin de régler et contrôler des appareils à distance.
Vous l’aurez compris le protocole IP est ici la couche de convergence réseau.
- La couche Transport, en l’espèce les classiques TCP et UDP.
- La couche Application, enfin, en haut de cette courte pyramide, on trouve Matter, qui est une « application » (pas au sens de celles de nos smartphones), mais au sens où le Web est une application du Net, comme le FTP ou les différents protocoles mail, par exemple.
Cette application sert donc d’interface commune et fédératrice avec les systèmes compatibles développés par les géants de la tech et de la domotique, par exemple HomeKit, d’Apple, qui l’intègre.
Si on voulait trouver une sixième couche, on pourrait dire qu’elle est matérialisée par les différents écosystèmes, composés par les différents produits mis sur le marché par des acteurs comme Google, Apple ou Amazon.
Ils vont, en adoptant Matter, utiliser toute la pyramide technologique décrite ci-dessus et pouvoir enfin parler entre eux. Il suffira de repérer le logo Matter sur un produit pour savoir qu’il fonctionnera chez vous.
Vous aurez alors la certitude d’une configuration aisée et quasi instantanée. Pas besoin de saisir un mot de passe ou un identifiant dont vous ne vous souvenez jamais. Vous n’aurez qu’à allumer votre nouvel objet connecté et à l’ajouter à votre écosystème via une application unique, et en scannant un QR code, par exemple.
Evidemment, l’objectif est que les habitudes prises ne changent pas, il sera toujours possible de contrôler ses objets connectés depuis l’application dédiée d’Apple, Google ou Amazon, à la différence près que tous les appareils compatibles devraient y figurer.
Pour les développeurs d’applications, l’ajout du support de Matter aux écosystèmes de ces trois géants devrait être également transparent. Les API et les frameworks fournis et qu’ils utilisent pour interagir avec des objets connectés ont simplement été enrichis pour intégrer le protocole Matter.
Un fonctionnement transparent et une interopérabilité « garantie » quel que soit les appareils déjà présents. La fin des jardins fermés, incompatibles, et qui tiennent les utilisateurs prisonniers. Voilà une promesse dont on ne pouvait que rêver il y a encore quelques mois.
La question de la rétrocompatibilité
Pour tenir cette promesse, il faut évidemment que les outils déjà déployés soient compatibles avec Matter. Pour cela, la Connectivity Standards Alliance et ses membres paraissent envisager deux solutions. L’une matérielle, l’autre logicielle.
La première consistera à développer des bridges, des points d’accès, également appelés border routers, compatibles avec Matter et avec un ou plusieurs autres écosystèmes préexistants. Autrement dit, il faudra que les utilisateurs achètent un produit qui joue le rôle de traducteur en temps réel entre les objets connectés non compatibles avec Matter et la nouvelle génération de produits, afin de ne pas devoir tout changer.
Cela demandera un peu de temps, puisqu’il faudra que des constructeurs les conçoivent et les commercialisent, mais cela devrait ôter une belle épine du pied de ceux qui sont déjà bien équipés, notamment avec des produits un peu anciens.
A noter que ces bridges pourront être des routeurs Wi-Fi, par exemple, qui en plus d’assurer la couverture de votre logis avec un réseau local, pourront gérer vos objets connectés compatibles avec Matter ou d’autres technologies plus anciennes. TP-Link, qui produit des routeurs et présente également une offre de produits connectés, TAPO, participe à la Connectivity Standards Alliance. Un bon signe pour l’avenir, et pour Matter.
Mais la seconde solution est bien plus intéressante. Elle est en partie rendue possible par les faibles exigences en matière de puissance de Matter. Avec un prérequis minimal fixé à seulement 128 Ko de RAM, et de 1 Mo de mémoire Flash, l’impact hardware de Matter ne sera pas un facteur limitant à son adoption.
Cette seconde solution est, vous l’aurez compris, de rendre compatibles les objets déjà installés via une mise à jour logicielle (over the air, comme tous les mises à jour Matter).
Amazon a déjà annoncé que la plupart de ses Echo et Echo Dot, et tous les Echo Studio, Show Plus ou encore Flex deviendront compatibles avec Matter. Seuls ses produits Echo, Echo Dot et Tap de première génération ne le pourront pas. Pour simplifier les choses, tous les produits Amazon qui sont compatibles avec le protocole Thread seront aussi compatibles Matter.
Ce qui explique d’ailleurs que Google puisse également indiquer que les Nest Wi-Fi, Nest Hub Max, et Nest Hub de seconde génération deviendront compatibles Matter.
Du côté d’Apple, on sait que le HomePod mini est compatible avec Thread, il devrait donc pouvoir être compatible avec Matter, et même servir de hub domotique Matter. Mais le géant de Cupertino n’a pas donné davantage de précision sur ce point récemment. Lors de la WWDC 2021, il a simplement assuré son intention de porter Matter dans son écosystème.
La promesse d’une grande variété de produits
Si les hubs de contrôle risquent d’être un mal difficilement contournable, il est en tout cas intéressant de voir à quel point la Connectivity Standards Alliance voit grand d’emblée, ce qui est logique, et veut s’assurer qu’une grande variété de produits soit disponible au plus vite.
Le fait que la CSA ait repoussé le lancement de Matter de quelques mois a permis de travailler à un élargissement de l’offre, qui devrait dans un premier temps couvrir aussi bien les verrous connectés que les thermostats, les ampoules, les prises, les hubs, les capteurs pour porte de garage, ou encore les volets. Même des téléviseurs connectés pourraient être compatibles avec Matter très prochainement. Après tout, il ne faut pas oublier que Samsung SmartThings est à bord, et que Samsung demeure le plus gros vendeur de téléviseurs.
D’autres catégories de produits, comme l’électroménager, les aspirateurs-robots ou les capteurs de fuite devraient arriver ensuite. Bientôt, très prochainement. Il semblerait que l’industrie de la tech et de l’électroménager ait décidé de se mettre en ordre de marche, désormais, tout semble n’être qu’une question de temps.
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Une sécurité éprouvée ?
Mais avant de s’enthousiasmer définitivement, qu’en est-il de la sécurité ? Quand on parle de domotique, et donc d’objets qui fonctionnent au quotidien à nos côtés, qui génèrent de facto des données nous concernant, la question de la sécurité est centrale.
Il n’est pas étonnant de voir la CSA clamer que Matter est pensé pour respecter la sécurité et la confidentialité de ses utilisateurs. Afin d’apporter des garanties, Matter indique que le chiffrement des trames de ses communications repose sur un algorithme de chiffrement 128-bit (AES-CCM avec AES-CBC 128-bit).
Une solution qui assure à la fois l’authentification des appareils, et la confidentialité des connexions. En l’espèce, Matter capitalise là encore sur l’existant éprouvé et emprunte sa solution au protocole ZigBee.
Par ailleurs, pour continuer à renforcer la sécurité des appareils « intelligents » de ses utilisateurs, la CSA a également annoncé en octobre dernier qu’elle s’est rapprochée du NFC Forum, afin de réfléchir à un moyen d’utiliser cette technologie sans-fil à très courte portée pour assurer une sécurité optimale lors de la configuration des appareils. Le NFC pourrait aussi être utile pour garantir que l’utilisateur est bien le propriétaire ou gestionnaire du réseau.
Un moyen de rasséréner les utilisateurs, tout en simplifiant potentiellement davantage certaines opérations de configuration ou de gestion.
Un grand pas vers une domotique pleinement unifiée
Matter est donc la promesse d’une langue unique pour les objets connectés qui sont installés depuis quelque temps ou vont s’installer chez nous. C’est sans doute le déclic que le marché, et les utilisateurs attendaient pour passer à la domotique. Si le protocole est formalisé, le projet Matter n’en est encore qu’à ses débuts, mais les fondations et promesses sont solides.
Bien sûr, demeureront toujours quelques freins à l’engouement pour la domotique. Au premier rang desquels l’utilité de certains objets, leur prix également, ou, enfin, un autre élément essentiel, les interfaces pour interagir et contrôler ces objets. Bien sûr, il n’y aura plus maintenant à jongler avec deux, trois, voire quatre applications pour gérer son éclairage, ses stores ou son chauffage. En revanche, il restera aux assistants vocaux à gagner en pertinence, fiabilité et rapidité pour qu’il soit plus facile de leur demander d’intervenir, plutôt que d’appuyer simplement sur un bouton. La domotique du futur est plus que jamais en approche, mais pas encore tout à fait là.
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