A chaque rachat d’opérateurs de téléphonie mobile, les analystes de tous poils se livrent à un petit calcul tout simple : diviser le prix de la transaction par le nombre d’abonnés. On obtient ainsi la ” valeur ” d’un de ces abonnés, qui tourne aujourd’hui autour de cinquante mille francs.Même chose pour les fournisseurs d’accès à Internet ou les câblo-opérateurs. En effet, l’analyse des renseignements personnels aimablement fournis par les clients lors de leur inscription, puis celle de leur comportement en tant qu’abonnés, permet de bien les connaître. Tandis que leur connexion à un réseau de communication les rend directement accessibles. Bref, ces opérateurs sont l’intermédiaire idéal du marketing one-to-one, alors que la télévision hertzienne, aveugle mais présente dans quasiment chaque foyer, était le vecteur le mieux adapté au marketing de masse.Les enjeux sont tels que tous les moyens sont bons pour attirer le chaland dans les filets du réseau. Y compris le payer. Si vous valez cinquante mille francs, pourquoi ne pas vous acheter pour une poignée de dollars ? C’est déjà le cas dans la téléphonie, puisque les opérateurs vous ” offrent ” gracieusement un mobile. De la même façon, l’accès à Internet est devenu ” gratuit “.Non pas parce qu’il ne vaut intrinsèquement rien, mais parce que son coût est dérisoire par rapport à ce que peut rapporter à votre fournisseur d’accès votre présence en ligne. Et si les ” cadeaux ” et la ” gratuité ” ne suffisaient pas, certains, tels AllAdvantage ou Winbe, vont même jusqu’à payer en espèces sonnantes et trébuchantes vos heures passées sur Internet.
Profession : consommateur
On sent confusément vers quel paradoxe cette pêche à l’abonné nous entraîne : de l’argent de poche du paiement pour surfer, on passera à un véritable revenu. La rémunération ne viendra plus en fin de mois récompenser un travail fourni mais en début de mois, comme crédit pour une consommation future. Acheter deviendra une fonction sociale et consommateur sera un véritable emploi. Entre une classe restreinte de décideurs et une classe de producteurs du tiers-monde, trop pauvres pour consommer, votre rôle sera de valider par l’achat des modèles économiques et des plans marketing.Le sésame dans un monde où l’économie était tirée par la production était votre CV, c’est-à-dire le reflet de vos capacités à produire. Dans le monde de l’entreprise ” orientée client “, ce que vous avez à faire valoir ce sont vos données personnelles, c’est-à-dire votre potentiel d’acheteur. Une entreprise américaine, MEconomy, l’a bien compris : elle proposera bientôt aux internautes de faire le commerce de ces données à destination des entreprises ?” inventant du même coup un concept appelé à faire fureur : l’auto-commercialisation.J’aime zapper entre cinquante chaînes de télé, surfer sur Internet, appeler mes amis depuis mon téléphone portable, la musique et le foot. Et comme j’aime aussi gagner des sous, je lance ici un appel doffre sur moi-même auprès de Vivendi Universal, France Télécom, Bouygues…
Adresser vos propositions à la rédaction qui transmettra.Prochaine chronique le jeudi 6 juillet 2000
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