Article publié le 2 juin 2014 sous le titre : « Droit à l’oubli : l’Europe a t-elle confié à Google une mission impossible ? »
Branle bas de combats chez Google Europe ! La décision rendue le 13 mai par la cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) qui impose aux moteurs de recherche de gérer les demandes de déréférencement des internautes n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd.
En une seule journée, le géant du Net a reçu 12 000 demandes de l’Europe entière que la loi lui impose de traiter. Le rythme est monté à 20 demandes par minute selon Google. Et, avec le formulaire mis en ligne, le nombre de demandes se poursuit chaque jour dans toutes les langues de l’Union Européenne.
Dès après la publication de la CJUE, Google avait prévenu que l’opération risquait d’être « longue et complexe ». En effet, la gestion de ces sollicitations doit se faire au cas par cas. Il n’existe pas d’algorithme pour traiter ces demandes. Le recours à une intervention humaine est incontournable. Google France nous a confirmé qu’une équipe est en cours de constitution. En attendant, le public doit faire preuve de patience.
La censure peut-elle se glisser dans le droit à l’oubli ?
Mais la véritable difficulté consiste à faire une nuance entre le droit à l’oubli et celui d’informer, comme l’ont exprimé différentes associations, parmi lesquelles le Geste (Groupement des éditeurs de services en ligne), Reporters sans Frontières (RSF) et même Wikipedia.
Ces organisations craignent que, dans certains cas, le droit à l’oubli égratigne le droit à l’information. D’autant que la justice européenne a confié la responsabilité de trancher à une entreprise privée. « Un tel pouvoir menace le droit du public à accéder à l’information et multiplie les risques de censure, au mépris de toute neutralité du moteur de recherche », a réagi le Geste dès le lendemain de la décision de la CJUE.
Même son de cloche chez RSF. Pour Grégoire Pouget, responsable du bureau Nouveaux Medias à RSF, « cette décision […] pourrait inciter tout citoyen à demander le retrait d’informations justes et vérifiées si elle ne lui convient pas. » Il estime aussi que la justice européenne fait une lourde erreur en confiant aux moteurs de recherches la responsabilité du contenu publié sur la toile.
Dans un entretien au Financial Times, Larry Page, co-fondateur de Google, admet cette ambiguïté. « L’arrêt implique pour nous de faire des arbitrages difficiles entre le droit à l’oubli d’un particulier et le droit à l’information du public ».
Un rapport sera publié début 2015
Pour y voir plus clair, le groupe a décidé de créer un comité consultatif qui permettra d’apporter plus de lumière sur les cas délicats. Ce groupe est coprésidé par Eric Schmidt, président de Google, et David Drummond, vice-président en charge du développement de Google. On y trouve Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia, Luciano Floridi, professeur d’éthique à l’Oxford Internet Institute, Peggy Valcke, chercheuse en droit à l’Université catholique de Louvain, Jose Luis Piñar, ancien directeur de l’Agence espagnole pour la protection des données, et Frank La Rue, rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression. Après des auditions de personnalités du web, de l’éducation et de la politique, ce comité rendra un rapport début 2015 sur le droit à l’oubli.
Seul regret, peu de représentants européens ne fait parti de ce comité. Un choix étonnant puisqu’il s’agit, rappelons le, de se plier à une décision de justice européenne et que les liens ne seront supprimés qu’en Europe. Dans le reste du monde, ils apparaîtront toujours, sans aucune modification. Le sujet sera donc traité par le G29, groupe des Cnil européennes présidé par Isabelle Falque-Pierrotin, lors des plénières qui se tiendront les 4 et 5 juin.
Lire aussi :
– Google se plie à la justice européenne et propose un mécanisme de droit à l’oubli (30/05/2014)
– Droit à l’oubli : Google reçoit des centaines de demandes de retrait d’informations (16/05/2014)
– Google appelé à respecter le “droit à l’oubli” : une décision à risque (14/05/2014)
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