Le juge colombien Juan Manuel Padilla García explique s’être servi de ChatGPT pour statuer sur une affaire, rapporte Vice. C’est la toute première fois qu’une intelligence artificielle est utilisée pour faciliter le processus d’une décision juridique. Le juge a interrogé le chatbot sur les subtilités de la loi en Colombie.
Dans un document judiciaire, publié le 30 janvier 2023, il explique avoir demandé à ChatGPT si l’assurance d’un enfant autiste est obligée de couvrir tous les coûts liés à son traitement médical. L’homme de loi devait en effet statuer sur la demande de la mère de l’enfant. Celle-ci souhaitait que l’assurance prenne en charge tous les paiements des rendez-vous médicaux, des traitements et les coûts des transports vers les hôpitaux. La demandeuse, en conflit avec sa compagnie d’assurances, précisait ne pas disposer d’importants moyens financiers pour régler ces frais.
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Comment ChatGPT a facilité le travail du juge
Concrètement, le juge a posé « des questions juridiques soulevées dans le cadre de ces procédures » au chatbot. Parmi les questions soumises, on trouve « un mineur autiste est-il exonéré des frais pour ses thérapies ? » et « la jurisprudence de la cour constitutionnelle a-t-elle pris des décisions favorables dans des affaires similaires ? ».
Le décideur a intégré les réponses complètes de ChatGPT dans les documents officiels des tribunaux. On y découvre que l’IA a fourni des réponses éclairées en faveur de la mère de l’enfant. Le chatbot a pioché dans son immense base de données pour générer les réponses. L’outil a réalisé en quelques instants un impressionnant travail de synthèse de la loi colombienne.
« Selon la loi en vigueur en Colombie, les mineurs ayant reçu un diagnostic d’autisme sont exemptés du paiement des frais de leurs thérapies », a expliqué ChatGPT au décideur.
Sans surprise, le magistrat souligne que ChatGPT n’a pas pris la décision à sa place. L’intelligence artificielle générative a uniquement été utilisée comme une assistance technique, ou comme « une secrétaire », « de manière organisée, simple et structurée » :
« Ce que nous recherchons vraiment, c’est optimiser le temps passé à rédiger des jugements après avoir corroboré les informations fournies par l’IA ».
Le juge n’a pas fait aveuglément confiance aux propos de l’IA. Avant de rendre son verdict, il a consulté les documents relatant des affaires analogues. Grâce à l’aide de ChatGPT, le magistrat a cependant pu aiguiller sa recherche. Au bout du compte, c’est surtout la jurisprudence qui a motivé sa décision. L’IA l’a simplement aidé à isoler les éléments à rechercher.
Un assistant efficace, mais imparfait
D’après les professeurs de la faculté de droit de l’Université du Minnesota, ChatGPT peut en effet être utilisé comme assistant par les juristes. Ceux-ci ont fait passer un examen de droit poussé au chatbot d’OpenAI. Si l’intelligence artificielle a obtenu un score plutôt médiocre, elle doit pouvoir assister les avocats et autres experts de la loi dans la rédaction de plaidoyers ou en récitant la législation.
Interrogé par BluRadio, Juan Manuel Padilla García se dit convaincu que les intelligences artificielles génératives représentent un outil d’avenir pour les juges. Les magistrats peuvent gagner énormément de temps en générant « des phrases très compréhensibles » avec l’IA, ou en laissant ChatGPT anticiper la décision d’un tribunal sur base des cas précédents. En piochant dans ses données, le chatbot est très efficace pour mettre en avant la jurisprudence d’un pays, ce qui peut améliorer le temps de réaction de la justice.
« Nous, les juges, devons être attentifs à l’évolution de la justice et des technologies. […] Aujourd’hui, il peut s’agir de ChatGPT, mais plus tard, d’autres outils peuvent émerger pour venir en aide aux magistrats. […] L’intelligence artificielle permet de construire une chaîne de textes qui aide à prendre la décision ou décréter une sentence », déclare Juan Manuel Padilla García.
Évidemment, l’initiative du magistrat colombien a suscité l’inquiétude d’une partie des experts de la loi. Pour Juan David Gutiérrez, professeur à l’Université Rosario, « les droits fondamentaux sont mis en danger » par ChatGPT « sous le prétexte d’une efficacité supposée ».
Aussi intelligent qu’il paraisse, ChatGPT génère parfois des réponses complètement erronées, spécialement si l’intitulé de la requête est biaisé. En clair, il est possible de manipuler le chatbot pour obtenir certaines réponses plutôt que d’autres. ChatGPT génère des contenus, mais n’en vérifie pas l’exactitude. Malgré les imperfections du chatbot, Juan Manuel Padilla García se dit persuadé que « beaucoup de ses collègues vont s’y mettre et commencer à élaborer de manière éthique leurs jugements avec l’aide de l’intelligence artificielle ». Il précise, balayant les inquiétudes de ses confrères :
« Les juges ne sont pas des imbéciles, ce n’est pas parce que nous posons des questions à l’application que nous cessons d’être des juges, des êtres pensants ».
Notez que la Cour suprême de Colombie a officiellement autorisé les juges à se servir de l’intelligence artificielle dans leur travail. En marge de l’initiative controversée du magistrat, le juge Octavio Tejeiro a estimé qu’un décideur peut « utiliser ChatGPT ou tout autre outil technologique » pour accélérer son jugement. Le juge doit cependant veiller à ce que sa décision ne soit pas exclusivement appuyée sur les réponses de l’IA.
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Source : Vice