Associer des cellules du cerveau humain, des semi-conducteurs et de l’intelligence artificielle (IA) : il ne s’agit ni d’un scénario de dystopie, ni d’un projet d’un savant fou. Non seulement cette « association » a déjà eu lieu : en décembre 2021, des chercheurs de l’université Monash en Australie ont créé ce qu’ils ont appelé le « DishBrain », une puce d’IA semi-biologique qui intègre 800 000 cellules cérébrales provenant d’humains et de souris.
Mais c’est ce « DishBrain » qui est sur le point d’être plus amplement développé, rapporte le communiqué de presse de l’université de Monash, le 21 juillet dernier. L’équipe travaillant sur ce projet vient de recevoir une subvention de 368 000 euros d’un programme de financement rattaché au ministère australien de la Défense.
Le « DishBrain » a appris en 5 minutes à jouer au Pong, contre 90 minutes pour une IA
Concrètement, les chercheurs de l’Institut Turner de l’université australienne, en collaboration avec la start-up Cortical Labs, avaient cultivé ces cellules cérébrales sur des puces de silicium : ils leur avaient ensuite « appris » à effectuer des tâches orientées vers un objectif. Le « DishBrain » était ainsi parvenu à jouer au Pong, ce simulateur de tennis de table qui fut l’un des premiers jeux informatiques, en à peine cinq minutes. En comparaison, il a fallu 90 minutes à un système d’IA purement basé sur le silicium pour apprendre à jouer au même jeu.
Cette subvention de la Défense australienne permettra aux scientifiques de continuer leurs travaux sur cette association entre réseaux neuronaux biologiques et intelligence artificielle. Ils pourraient ouvrir de nouvelles portes, « en dépassant les performances du matériel existant, purement basé sur le silicium », a déclaré Adeel Razi, professeur responsable du projet et chercheur en neurosciences, cité dans le communiqué de l’université de Monash. Le projet vise à « créer des plates-formes informatiques biologiques programmables », a ajouté le professeur. Il pourrait avoir des « implications significatives dans de nombreux domaines tels que la planification, la robotique, l’automatisation avancée, les interfaces cerveau-machine et la découverte de médicaments, ce qui donnerait à l’Australie un avantage stratégique significatif », poursuit-il.
Développer « un nouveau type d’intelligence artificielle capable d’apprendre tout au long de sa vie »
Dit autrement, ce nouveau financement sera utilisé pour développer des machines d’IA plus avancées, capables de reproduire la capacité d’apprentissage des réseaux neuronaux biologiques. Les scientifiques pourraient ainsi créer une nouvelle génération d’apprentissage automatique encore plus puissante que les systèmes actuels développés par OpenAI et Microsoft, Google, Meta et les autres. Et c’est toute l’ambition de ce projet : développer « un nouveau type d’intelligence artificielle capable d’apprendre tout au long de sa vie » comme les cellules du cerveau humain, s’enthousiasme le professeur, cité dans le communiqué. Ce système pourrait acquérir de nouvelles compétences sans perdre les anciennes. Car si nos cerveaux sont doués pour l’apprentissage en continu, ce n’est pas le cas de l’IA, sujette à ce que les scientifiques appellent « l’oubli catastrophique ». Ce type de système oublie les informations des tâches précédentes lorsqu’il en entreprend de nouvelles.
Or, les véhicules et les drones entièrement autonomes « nécessiteront un nouveau type d’intelligence artificielle capable d’apprendre tout au long de leur durée de vie », a déclaré le responsable du projet. Autre avantage, souligné par NewScientist, le 7 juin dernier : le cerveau est bien moins énergivore que les systèmes d’IA qui nécessitent d’énormes quantités d’énergie et des ensembles de données de plus en plus volumineux pour s’entraîner. Le cerveau dispose aussi de bien plus de mémoire : une étude de 2016 a par exemple montré qu’il est capable de stocker l’intégralité du Web avec juste « assez d’énergie pour faire fonctionner une ampoule de faible intensité », rapporte LiveScience.
Une nouvelle ère de bio-informatique ?
Ce projet, qui est loin d’être le seul à associer cellules humaines et IA, suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétude. En février dernier, d’autres scientifiques, travaillant sur un projet similaire, s’interrogeaient par exemple sur ces cellules humaines mises en culture : « Peuvent-elles éprouver de la douleur ou de la souffrance, pourraient-elles un jour développer une conscience ? » Ces derniers, co-auteurs d’un article publié en février 2023 dans la revue Frontiers In Science, présentaient une feuille de route visant à créer des « bio-ordinateurs ». Il s’agissait aussi d’utiliser des structures cellulaires humaines en trois dimensions cultivées à partir de cellules souches. Parmi ces chercheurs, Thomas Hartung, professeur de sciences de la santé environnementale à l’université américaine John Hopkins, n’hésitait pas à évoquer la naissance d’un nouveau domaine interdisciplinaire appelé « l’intelligence organoïde », une nouvelle technologie qui « ouvrira une nouvelle ère de bio-informatique rapide, puissante et efficace ». Tout un programme.
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