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Bluetouff : « Je refuse d’être considéré comme un délinquant »

Condamné pour avoir téléchargé des documents publics, le hacker Bluetouff nous livre son état d’esprit sur cette affaire qui le consterne.

Bluetouff est un hacker et hacktiviste cofondateur du site Reflets.info. Dans le civil, il s’appelle Olivier Laurelli et dirige une société d’informatique. A l’été 2012, et après une banale requête sur Google, il avait téléchargé des documents publics et en libre accès d’une agence sanitaire. Il a été condamné pour cela à 3000 euros d’amende par la Cour d’appel de Paris le 5 février dernier. Mais grâce aux dons des internautes, il va pouvoir aller en cassation. Entretien réalisé ce lundi 24 février.

01net : Quelle a été votre réaction lorsque les policiers sont venus à votre domicile pour cette affaire ?

Bluetouff :  Quand les officiers de police judiciaire sont venus me chercher, j’ai vu que leur convocation provenait de Levallois. Je me suis tout de suite douté qu’il s’agissait de la DCRI [Direction Centrale du Renseignement Intérieur] parce qu’elle a son siège dans cette ville. Mais je pensais vraiment être convoqué pour être entendu sur les affaires concernant les sociétés Qosmos ou Amesys. [Sur son site Reflets, Bluetouff a contribué à révéler que ces deux sociétés informatiques françaises avaient vendu du matériel d’espionnage aux dictatures libyennes et syriennes]. Je m’attendais à tout sauf à ce que l’on me reproche d’avoir téléchargé des documents publics non confidentiels !

La Cour d’appel estime que vous êtes coupable de vous être maintenu frauduleusement dans un système automatisé de traitement de données. Qu’en pensez-vous ?

Je refuse cette idée de délit. J’ai reconnu avoir constaté qu’il y avait un système d’authentification sur l’extranet où j’avais atterri après une requête Google. Cela ne signifie absolument pas que j’avais conscience de télécharger des documents privés, qui n’étaient pas signalés comme tels qui plus est. Sur Facebook, par exemple, il y a des pages publiques et des comptes d’utilisateurs privés. Les deux coexistent.

On vous a reproché d’avoir voulu agir en vous cachant…

Cela relève du fantasme et de la méconnaissance technologique. On m’a suspecté de vouloir me cacher en téléchargeant les documents par l’intermédiaire d’un VPN (réseau privé virtuel) vers une adresse IP au Panama. Sauf que c’est un outil de travail que j’utilise tous les jours puisque c’est celui que commercialise ma société avec laquelle je fais des tests d’intrusion. Et ce VPN se lance automatiquement dès que je démarre ma machine ! Enfin, si j’avais voulu vraiment me cacher, j’aurai su utiliser d’autres outils et surtout, je n’aurais pas tweeté ce que j’avais trouvé !

“Je suis officiellement un cybercriminel avec un casier judiciaire !”

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?

Même en allant en cassation, je pense que le mal est fait. Je suis officiellement un cybercriminel avec un casier judiciaire. Mon image est ternie professionnellement et ce casier m’interdit de travailler avec certaines instances comme des ministères. Cela a pour conséquence une baisse directe de mes revenus. Et mon amour propre en a pris aussi un coup…Je ne fais pas n’importe quoi : j’ai une éthique ! Il m’est arrivé de faire des intrusions dans des systèmes informatiques. Mais toujours pour avertir ensuite une entreprise ou un site de presse qu’il y avait une faille de sécurité. Ou pour défendre les libertés fondamentales et combattre la censure syrienne, par exemple.

Sinon, je suis plutôt fatigué par cette affaire. La perspective de m’embarquer encore pour deux ans de procédures judiciaires et de devoir débourser 6500 euros, en plus des 3000 euros d’amende, pour pouvoir déposer mon pourvoi en cassation ne me réjouit pas. D’ailleurs je n’ai pas les moyens d’assumer ces frais et j’ai autre chose en tête à ce moment de ma vie personnelle. [Un appel aux dons a depuis été lancé avec succès sur le site Reflets.info pour financer ce pourvoi].

Pensez-vous que cette histoire soit un prétexte pour vous nuire ?

Je ne sais pas mais je m’interroge. Curieusement, dans les affaires Qosmos et Amesys qui sont autrement plus graves, j’attends toujours d’être entendu. Alors que cette histoire concernant l’ANSES [l’Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments pour les humains et les animaux] a été jugée à une vitesse prodigieuse. Deux/trois mois pour le procès en première instance, 5 mois pour l’appel. Pas de partie civile et j’ai pris plus que ce qui était requis ! On m’a vraiment déroulé le tapis rouge ! Tout cela pour des documents qui n’étaient pas confidentiels.. Il y a de quoi se poser des questions… et j’ai de bonnes raisons de penser, au mieux, que des coups de fils ont été passés pour accélérer la procédure.

Avez-vous reçu beaucoup de témoignages de soutien ?

Oui, beaucoup. Des médias, des internautes et de mes collègues de Reflets qui sont consternés comme moi. Je dois avoir encore 200 ou 300 mails à lire en retard ! Ca me touche énormément et c’est aussi une pression. Tout le monde me pousse pour que j’aille en cassation. C’est normal. Ma condamnation pourrait créer un précédent et remettre en cause beaucoup d’enquêtes journalistiques.

Participez à votre forum : La justice s’acharne-t-elle sur Bluetouff ?

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Amélie Charnay